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Troubles du spectre de l’autisme : les centres de diagnostic pour adultes sous pression
Adèle Pétret
Les centres de ressources autisme français destinés aux adultes font face à une demande en constante augmentation. Et affrontent souvent le désarroi des personnes chez qui ce diagnostic est finalement écarté.
Cela fait bien « longtemps » qu’Ethan n’a pas eu d’amis. Depuis le collège, selon sa mère Patricia (son prénom et celui de son fils ont été modifiés à leur demande). Assis, les mains jointes posées sur ses cuisses, la jambe droite tressautant, le jeune homme de 21 ans répond d’une petite voix aux questions du neuropsychologue Ruben Miranda Marcos, du Centre de neurodéveloppement adulte (CNA) de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière, à Paris.
Des réponses courtes, lapidaires, qui surprennent parfois. « Qu’est-ce qu’un ami pour toi ? » « Quelqu’un qui est content quand l’autre réussit. » Rien de plus, rien de moins. S’il est peu loquace, le jeune homme l’explique par une difficulté à « mettre les mots dans l’ordre » et des sensations de pressions sur le visage qui lui rendent la vie impossible, en particulier les interactions sociales.
Accompagné de ses deux parents, Ethan est venu ce mercredi de juin pour une demi-journée de diagnostic du trouble du spectre de l’autisme (TSA) au CNA. Le service fait partie des 27 centres de ressources autisme en France. Sur les neuf d’Ile-de-France, c’est le seul spécialisé dans les adultes. Intégrée au service de psychiatrie adulte de l’hôpital, l’équipe pluridisciplinaire du CNA a élargi son expertise à toutes les formes de troubles du neurodéveloppement (TND). Ces derniers englobent les anomalies du fonctionnement cérébral allant des troubles dys, du langage et de l’attention aux troubles du développement intellectuel.
Depuis une vingtaine d’années, le nombre de demandes de diagnostic de TND est en constante augmentation, notamment chez les adultes. En 2023, le Groupement national des centres de ressources autisme (GNCRA) constate, dans sa synthèse d’activité, une hausse de 257 % du nombre de demandes de diagnostic en dix ans. Au CNA, on note « une augmentation majeure de demandes ces dernières années ». La plupart ciblent l’autisme.
Prévalence en hausse
Selon la Haute Autorité de santé, le TSA est un trouble du neurodéveloppement qui se traduit par « les déficits persistants de la communication et des interactions sociales observés dans des contextes variés, et le caractère restreint et répétitif des comportements, des intérêts ou des activités » depuis l’enfance. Il toucherait entre 1 % et 2 % de la population, soit 600 000 adultes et 100 000 jeunes de moins de 20 ans en France, selon les estimations officielles. Une prévalence qui a elle aussi augmenté.
« Il y a une vingtaine d’années, nous parlions d’une personne pour 1 000 », souligne Caroline Demily, cheffe du pôle hospitalo-universitaire autisme et déficiences intellectuelles au centre hospitalier Le Vinatier, à côté de Lyon. Aux Etats-Unis, des statistiques des Centers for Disease Control and Prevention publiées fin mai évaluent à 1 sur 31 le nombre d’enfants de moins de 8 ans présentant un TSA en 2022. En 2000, cette estimation était de 1 sur 150.
Toutefois, la hausse de la prévalence du TSA ne saurait expliquer à elle seule l’augmentation des demandes de diagnostic. Celle-ci serait due à plusieurs facteurs : « L’élargissement du périmètre du TSA par rapport aux anciennes classifications, une amélioration du repérage précoce, une meilleure visibilité et communication autour du TSA, ainsi qu’une reconnaissance sociale accrue du diagnostic qui valorise les besoins des personnes concernées », liste la synthèse d’activité du GNCRA. En 2023, selon le document, 67 % des diagnostics établissaient un TSA. Les 33 % restants concernaient d’autres TND (dont le trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité – TDAH) ou des troubles psychiatriques comme le trouble borderline ou une dépression. Si Ethan et ses parents n’attendent pas un diagnostic en particulier, mais « des réponses pour avancer », d’autres se montrent plus exigeants.
« De plus en plus d’adultes sollicitent une évaluation diagnostique en étant persuadés d’être autistes. Et certains ont le sentiment d’être “dé-diagnostiqués” », rapporte la docteure Hélène Vulser, responsable du CNA. Après que l’équipe n’a pas confirmé le diagnostic d’autisme, une personne aurait ainsi exprimé son désarroi avec l’impression qu’on lui enlevait son « identité » et sa « communauté ». A Lyon, Caroline Demily fait le même constat : « Certaines personnes se reconnaissent dans ce diagnostic en raison de difficultés psychiques diverses, mais elles ne correspondent pas aux critères cliniques. » Pour la psychiatre, cela peut s’expliquer par le décalage ressenti avec une société plus exigeante en matière de communication et de relations sociales.
Un trouble médiatisé
Mais, selon les soignants rencontrés, le phénomène s’explique surtout par la médiatisation des personnes autistes. Les personnalités comme Elon Musk ou Greta Thunberg, les séries et les réseaux sociaux auraient conduit à une idéalisation du TSA sans déficience intellectuelle – le fameux syndrome d’Asperger, dont la dénomination est aujourd’hui décriée par les spécialistes pour les connivences de son découvreur avec le nazisme.
« C’est parti d’une bonne idée, mais elle a été pervertie », estime Candice Mollaret. Cette dernière est médiatrice santé-pair au CNA. Elle-même diagnostiquée d’un TSA il y a cinq ans, elle a pour rôle d’accompagner les personnes dans l’acceptation du diagnostic. D’abord secrétaire médicale au CNA, Candice Mollaret a reçu des salves de mails de personnes mécontentes que leur diagnostic de TSA ait été écarté. « J’ai déjà reçu des menaces de mort », se rappelle la quadragénaire. Or, pour elle, cela relève « d’une hiérarchisation des troubles ». « Personne n’insiste pour recevoir un diagnostic de schizophrénie ! »
« Nous devrions nous inquiéter de la tendance croissante à qualifier d’autisme un comportement socialement bizarre. (…) Le surdiagnostic de l’autisme entraîne souvent une mauvaise allocation des ressources, très limitées, au détriment des personnes aux formes les plus sévères qui en ont le plus besoin », abonde, dans un billet publié le 23 juin dans le New York Times, le psychiatre américain Allen Frances. Ce spécialiste avait présidé le groupe de travail chargé d’élaborer la quatrième et avant-dernière édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM, Elsevier Masson).
Pour diagnostiquer un TSA, les soignants utilisent l’Autism Diagnostic Observation Schedule, dit « ADOS », qui prend la forme d’échanges autour d’un puzzle ou d’un livre d’images afin d’évaluer les capacités de communication, de jeu, d’imagination et d’interaction sociale de la personne. En complément, ils mènent l’Autism Diagnostic Interview-Revised, ou « ADI-R », un entretien à destination des parents qui permet d’estimer la présence de signes d’un TSA durant l’enfance. Chez les adultes, ces diagnostics sont particulièrement sensibles, car les TND peuvent s’additionner, parfois même avec des troubles psychiatriques. Une difficulté, alors que les psychiatres ne sont pas tous bien formés à leur repérage.
Etienne Pot, le délégué interministériel à la stratégie nationale pour les troubles du neurodéveloppement, estime que la situation s’est améliorée récemment. « Depuis l’année dernière, nous avons intégré des évaluations nationales sur les troubles du neurodéveloppement pour les internes en psychiatrie », précise-t-il. Auparavant, ces derniers n’étaient pas évalués sur ce module. Selon Caroline Demily, il faudrait aller plus loin et les intégrer dans la formation initiale de tous les étudiants en médecine. Car des failles persistent. « Le TSA est toujours sous-diagnostiqué », souligne Etienne Pot. C’est le cas pour les femmes, mais aussi pour les personnes les plus vulnérables, souligne la professeure Demily. Dans le cadre d’une étude en cours, elle a relevé une incidence dix fois plus forte de l’autisme chez les adultes sans abri que dans la population générale.