ChatGPT à l’école, et si c’était bien ?
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Je trouve intéressant les points de vue des différents profs et des élèves. La réflexion qu’apporte l’utilisation collégiale de l’outil et ce qu’il doit permettre de faire : aider pourquoi pas mais en étant toujours vérifié, corrigé, amendé.Spoiler :
Produire un texte sur n’importe quelle question, ChatGPT sait faire. Mais si elle rédige les devoirs des élèves, l’intelligence artificielle n’obtient pas de bonne note. À l’école elle peut pourtant être utile. Si l’on apprend à bien s’en servir. Reportage.
Une respiration en plein marathon du bac français. Françoise Cahen, professeure de lettres au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville, a réuni sa classe de première en salle d’informatique pour une séance sur l’intelligence artificielle. « ChatGPT, vous avez essayé ? » Silence. « Mais vous en avez entendu parler, au moins ? » Une main se lève : « Ça peut remplacer les humains, c’est trop puissant », croit savoir le lycéen, la mine renfrognée, encore emmitouflé dans sa doudoune. Un autre secoue la tête : « Sur M6, il y a des élèves qui s’en étaient servis et ils avaient eu 11 / 20. En vrai, c’est pas ouf… Ça écrit plein de bêtises ! » Reprenons. En novembre 2022, une version en accès libre de la nouvelle intelligence artificielle ChatGPT est mise en ligne. Un clic suffit à se connecter sur la page d’accueil, du moins quand le serveur, victime de son succès, n’est pas indisponible… On peut ensuite taper sa question et, sans attendre, obtenir une réponse du robot, qui génère en direct un texte construit et souvent cohérent, rédigé dans un français correct, sans fautes de syntaxe ni d’orthographe. De quoi séduire les élèves en quête de solutions toutes faites… et remuer le monde de l’éducation.
Interdit dans les écoles publiques new-yorkaises, Chat-GPT a fait en France une irruption fracassante dans l’enseignement supérieur, secoué par la décision de Sciences po d’encadrer son usage et par des rumeurs de tricheries à l’université. Mais cet agent conversationnel a aussi pénétré à bas bruit l’enceinte des lycées, où l’ambiance n’est pas à la panique. Claire, enseignante dans les beaux quartiers de Paris, a bien quelques inquiétudes : « Si on se mettait à déléguer au robot nos capacités d’analyse et de réflexion, ça amènerait à une rupture anthropologique. Après, dans le secondaire, les élèves rédigent encore à la main et on est nombreux à ne plus noter les devoirs à la maison, ce qui limite la gruge », se rassure-t-elle. Reste que dans l’ensemble ses pairs ont plutôt tendance à observer le phénomène avec curiosité. « Personne ne mesure encore ce que ça peut transformer en positif ou négatif dans les pratiques des élèves. Je crains qu’ils se contentent de pomper, comme d’aucuns le faisaient déjà il y a des années avec les bouquins Profil ou, plus tard, avec les sources Internet. Mais s’ils s’appuient sur ChatGPT pour construire un propos personnel, ça peut être un gain de temps », pondère par exemple Cécile, professeure en classes préparatoires.
En salle des profs, on se tâte sur la position à adopter, on pèse le pour et le contre, on laisse venir… Et, surtout, on dédramatise. « Je vois beaucoup d’enseignants qui essayent de comprendre ce que ChatGPT est capable de produire, mais aussi ses limites », résume Françoise Cahen. Des limites qui, pour l’heure, se comptent à foison. Sans sourciller, la machine peut ainsi attribuer un poème de Du Bellay à Aragon, disserter sur les Mémoires d’outre-mer (sic) de Chateaubriand, voire créer de toutes pièces des vers et des citations… Et si Sandrine Weil se doutait que ChatGPT aurait du mal à entrer dans la complexité des Fausses Confidences, de Marivaux, elle n’imaginait pas qu’il irait jusqu’à inventer des personnages. « C’est amusant mais on est vraiment très loin du niveau demandé à un élève de première », affirme cette professeure de lettres au lycée d’Estournelles-de-Constant, dans la Sarthe. Même son de cloche du côté de son collègue Loys Bonod, « bluffé » par la présentation formelle, mais on ne peut plus circonspect sur le fond. « ChatGPT ne comprend pas du tout ce qu’on lui demande. J’ai entré un sujet que j’avais soumis à mes élèves sur les différentes formes d’éducation dans Gargantua, l’œuvre de Rabelais, et le résultat s’est avéré complètement à côté de la plaque ! »
Résultat qui ne semble guère plus concluant dans les disciplines scientifiques, à en croire Sophie (le prénom a été changé), professeure de SVT : « Le contenu n’est pas du tout d’un niveau spécialité. En revanche, ça peut servir de canevas à améliorer, à condition d’être capable de repérer les erreurs qui s’y glissent. » En tout état de cause, mieux vaut ne pas laisser la machine mouliner dans son coin, pour éviter de courir à la catastrophe. Début février, Frédéric Gouffier, professeur d’histoire--géographie au lycée Auguste-Blanqui de Saint-Ouen, a vécu son baptême du feu. Au milieu de son paquet de copies, il tombe sur un devoir qui l’interpelle. « J’ai eu une impression un peu étrange, c’était bizarrement écrit, sans fautes de syntaxe, mais ça manquait de chair. L’élève ne donnait aucun exemple précis, les éléments n’étaient pas développés, donc je lui ai mis 12 », raconte l’enseignant. Le lendemain, une chronique radiophonique lui met la puce à l’oreille. Il fonce essayer le générateur de contenus développé par la société OpenAI, et soudain tout s’éclaire. « Ça me paraît pour l’instant facile à repérer, mais si l’outil progresse, ça le sera peut-être de moins en moins… »
De fait, cette intelligence artificielle est amenée à se perfectionner. « Alors que Google vient de sortir un robot rival, on parle déjà de la prochaine version de ChatGPT », prévient Mehdi Khaneboubi, maître de conférences en sciences de l’éducation à l’université de Cergy. « Le fonctionnement de tels programmes, qui sont des modèles de langage, consiste à prédire le mot qui suit en fonction de probabilités. Plus on les nourrit de données, plus ils sont capables de simuler la parole. Ils sont en pleine évolution. » Raison de plus pour que l’école tâtonne, comme chaque fois que surgit dans le paysage un nouvel appendice susceptible de réaliser certaines tâches à notre place. « Les systèmes scolaires ont toujours au début des difficultés à s’accommoder d’instruments qui réalisent en partie les tâches demandées aux élèves. On a eu les mêmes discussions autour des machines à calculer, d’abord interdites puis autorisées », rappelle Éric Bruillard, professeur des universités, spécialiste de l’usage des technologies informatiques en éducation. Si on a fini par apprivoiser la calculette en cours de mathématiques, les traducteurs en ligne restent la bête noire des professeurs de langues vivantes, qui continuent de bouder des logiciels… que les élèves utilisent en cachette.
“Ils finiront tous par l’utiliser, alors autant qu’ils sachent l’exploiter.” Françoise Cahen, professeure de lettres au lycée Maximilien-Perret d’Alfortville
C’est que les outils efficaces, qu’on le veuille ou non, sont impossibles à déloger une fois qu’ils ont pris place dans le paysage. « Hurler au drame absolu ou se boucher les oreilles ne sert à rien. ChatGPT existe, donc autant s’en emparer ! » clame Emmanuel Menetrey, secrétaire régional de l’Association des professeurs d’histoire-géographie. Dès la fin du mois de janvier, il a organisé en Bourgogne un « café virtuel » sur l’intelligence artificielle. « On a invité un doctorant pour nous aider à comprendre de quoi on parle et à réfléchir aux usages qu’on peut en faire. » Dans l’académie de Créteil, c’est aussi au programme du prochain séminaire annuel « Lettres et numérique », qui aura lieu en mars. Et alors que du côté du ministère Pap Ndiaye dit encore réfléchir à la « bonne voie » pour « intégrer cette nouvelle donnée dans le travail des élèves et des professeurs », sur le terrain certains formateurs ont pris les devants.
Débats, diaporamas, séquences pratiques… Et si ChatGPT devenait un outil pédagogique ? Dans sa salle d’informatique, Françoise Cahen a commencé à se retrousser les manches. Ce jour-là, elle propose à ses élèves des exercices de vérification des faits. « Je tombe de haut, il faut vraiment vérifier les dates et les noms. Sur la forme, c’est crédible, on se laisse prendre, mais le fond est bancal », découvre Keyne, 16 ans, à sa stupéfaction. Installé avec quelques camarades autour d’un ordinateur, Max (le prénom a été changé) reconnaît du bout des lèvres avoir testé ChatGPT en éducation morale et civique. Son professeur leur avait demandé de plancher sur une question au programme : « Les fondements du lien social sont-ils fragilisés en France ? » Mais « ce n’est pas du plagiat, souligne-t-il. Je me suis juste inspiré des arguments autour de la pauvreté et des politiques publiques, mais j’ai tout écrit… » Son voisin l’interrompt : « Vas-y, on prend des idées pour le contrôle d’histoire ! »
L’occasion pour Françoise Cahen de les mettre en garde. « Ils finiront tous par l’utiliser, alors autant qu’ils sachent l’exploiter, qu’ils apprennent à corriger et enrichir ses contenus. Le but, c’est qu’ils puissent déployer un regard critique », insiste l’enseignante. Qui a eu une autre idée : proposer aux adolescents de confronter leurs propres productions à celles du robot. « ChatGPT est moins performant que l’intelligence humaine pour développer un traitement original, fantaisiste, inattendu. Ses réponses sont très académiques, c’est toujours un peu tiède comme raisonnement, voire langue de bois. » On a envie de dire : « Peut mieux faire. »