Cathy Lord - Établir des normes pour le diagnostic de l'autisme
par Virginia Hughes, 30 juin 2008
Une compétence particulière: ses collègues disent que Cathy Lord a un contact immédiat avec les enfants autistes.
À la fin des années 1960, en tant qu'étudiante de premier cycle en psychologie à l'Université de Californie à Los Angeles,
Cathy Lord passait quelques heures par jour à enseigner à deux jeunes garçons autistes.
Elle travaillait pour le psychologue clinicien
Ole Ivar Løvaas, l'un des rares médecins qui croyaient en la thérapie comportementale pour l'autisme. Løvaas avait retiré d'un hôpital public les garçons autistes de son traitement non conventionnel, qui se concentrait sur le renforcement positif des bons comportements - des M&M's aux applaudissements enthousiastes.
L'un des deux garçons avec qui Lord travaillait faisait d'énormes progrès. «Il avait été une petite terreur», se souvient Lord, et avait été institutionnalisé pendant des années. Mais après quelques mois de thérapie intense, ses comportements perturbateurs ont cessé.
L'approche n'a cependant pas fonctionné aussi bien avec le deuxième garçon, qui avait une grave déficience intellectuelle en plus de l'autisme. «J'étais supposée lui apprendre à parler, mais il ne comprenait rien à ce que j'essayais de faire», dit Lord. Elle a été contente de pouvoir juste lui apprendre à se laver les mains et à appuyer sur un bouton d'ascenseur.
Lord est sortie de cette expérience avec deux enseignements: que les enfants autistes sont bien mieux en dehors des institutions de santé mentale, et que la thérapie comportementale est inadéquate. Elle a fait des études supérieures, dit-elle, «pour découvrir ce qu'on peut faire d'autre pour eux.»
Depuis, Lord a acquis une réputation d'étude rigoureuse du phénotype de l'autisme. Elle a travaillé avec des milliers d'enfants dans neuf écoles et cliniques aux États-Unis, au Canada et en Angleterre. Elle et ses collègues ont mis au point l'étalon-or du domaine des diagnostics de l'autisme, et en 2001 elle a lancé le UMACC (University of Michigan Autism & Communication Disorders Center).
«C'est probablement la personne la plus intelligente avec laquelle j'ai jamais travaillé», dit sa collègue de longue date Pam DiLavore, directrice adjointe du
centre TEACCH (Treatment and Education of Autistic and Related Communication-Handicapped Children = traitement et éducation des enfants avec autisme et handicaps apparentés de la communication) à Raleigh. «[Lord] est l'une des rares psychologues que je connaisse à pouvoir entrer dans une salle d'évaluation avec une personne de n'importe quel âge et de n'importe quelle partie du spectre autistique et établir un contact immédiat», dit DiLavore.
Lord a aussi développé de solides relations avec ses collègues, son équipe et ses étudiants. Même si à ce qu'ils disent elle jongle perpétuellement avec une douzaine de projets, elle a encore du temps pour ses étudiants diplômés et pour sa famille.
«Elle m'a fait participer à la rédaction de quelques articles à un stade très précoce», se souvient John McLennan, qui était étudiant en médecine quand il a rencontré Lord à l'Université de l'Alberta à la fin des années 1980. «Ses critères sont très, très élevés. Mais elle poussait les gens d'une manière positive, et elle cherchait toujours des occasions de faire connaître ses étudiants», dit-il.
Premières expériences:
Lord a commencé ses études de doctorat en psychologie et relations sociales en 1971 à l'université Harvard. Trois ans plus tard, quand son mari a pris un emploi à Dartmouth, elle y a terminé sa thèse et a travaillé à temps partiel dans une école pour enfants handicapés.
Aucun des huit enfants, âgés de 2 à 8 ans, n'avait été à l'école auparavant. Le premier jour de classe, l'enseignant prévu ne s'est pas présenté. Lord a pris la relève pour la journée, puis pour le reste de l'année, pendant que l'école essayait de trouver un remplaçant. «C'était terrifiant», se souvient-elle. «Je n'avais aucune idée de ce que je faisais.»
Une fille avait un retard de développement tel qu'elle ne pouvait pas s'asseoir de façon cohérente. Quatre des huit enfants étaient autistes: «Ces quatre-là étaient si différents les uns des autres, et j'ai pensé que c'était tellement intéressant», dit-elle.
Cette expérience vécue était encore présente à son esprit en 1976, quand elle a terminé son doctorat et a commencé un stage clinique dans le programme TEACCH à l'Université de Caroline du Nord.
À l'époque, les enfants qui habituellement recevaient un diagnostic d'autisme étaient gravement handicapés. «Si un enfant parlait, nous débattions pour savoir s'il pouvait vraiment être autiste», dit-elle. Mais au fil du temps, les cliniciens sont devenus de plus en plus conscients de la présence d'enfants avec des formes plus légères d'autisme, même très verbaux. «Alors pour moi, la question est devenue: et eux?»
En 1982, Lord est allée à Londres travailler avec Sir Michael Rutter, psychologue de renommée mondiale, à un outil diagnostique qui permettrait de distinguer les enfants autistes de ceux avec d'autres types de déficiences mentales.
Ensemble, ils ont élaboré l'ADOS (Autism Diagnostic Observation Schedule = protocole d'observation pour le diagnostic de l'autisme) qui se compose de quelques heures de tâches demandant une interaction sociale verbale, comme jouer à faire semblant avec des figurines. Chaque tâche est notée par un évaluateur formé et les notes sont totalisées à la fin.
Une distance à parcourir...
Lord et Rutter ont ensuite modifié l'ADOS pour qu'il ne comprenne que les tâches qui permettaient le mieux de prédire si un enfant recevrait un diagnostic d'autisme. Ils ont publié leur protocole, le premier du genre, en 1989.[1] Cette version était conçue pour les enfants de 5 à 12 ans ayant des compétences verbales assez élevées. Au cours des années suivantes, Lord a adapté les procédures aux enfants plus jeunes.
La nouvelle version, appelée Pre-Linguistic-ADOS (PL-ADOS), mettait l'accent sur des tâches non verbales comme regarder gonfler des ballons, qui testaient les aptitudes sociales.[2]
Lord avait un problème personnel en travaillant sur le développement du PL-ADOS: elle n'arrivait pas à gonfler un ballon. «C'était tellement drôle pour nous parce qu'il n'y avait pas beaucoup de choses de difficile pour elle», plaisante DiLavore.
Après des années d'efforts, Lord a finalement appris à gonfler un ballon, l'une des rares choses qu'elle n'arrivait pas à faire.
Pendant plusieurs années, DiLavore et ses collègues ont donné des leçons à Lord, en commençant par des ballons déjà à moitié gonflés. Elle a finalement réussi. «Elle était si fière d'elle», se souvient DiLavore en riant. «Quand je regarde le site web de l'UMACC, il y a même une photo d'elle en train de gonfler un ballon.»
En 1999, Lord a combiné les deux versions précédentes de l'ADOS, en en créant une nouvelle version avec quatre modules différents basés sur les capacités linguistiques de l'enfant.[3] Cette version exhaustive est devenue très vite populaire auprès des autres chercheurs: des dizaines de milliers de personnes ont depuis participé aux ateliers de formation à l'ADOS organisés par Lord et son équipe.
Lord faisait les coffrets elle-même, achetant 150 poupées à la fois dans les magasins de jouets locaux et demandant à son fils adolescent de l'aider à remplir les coffrets. «Il ne m'a jamais laissé oublier cela, parce qu'il avait mal aux doigts à force de déballer les boîtes», dit-elle en plaisantant.
Elle en a presque terminé avec la quatrième et dernière version, la Toddler ADOS, qui est conçue pour les enfants non verbaux dont le développement est inférieur à celui d'un enfant normal de 15 mois. Une base de données d'enfants testés avec l'ADOS que Lord a lancée en 1990 contient plus de 2000 familles. On y trouve un groupe de jeunes de 14 ans qu'elle suit depuis l'âge de 2 ans. «Nous pouvons utiliser leurs données PL-ADOS pour prédire leur comportement actuel», dit-elle. «Ça ne veut pas dire que c'est parfait, mais ça marche plutôt bien.»
...avant de s'endormir:
Il n'y a qu'une seule façon pour que Lord puisse réaliser tout ce qu'elle fait, amis et collègues le soupçonnent: elle doit dormir très peu.
«Si vous allez au travail à 8 heures du matin, elle a déjà écrit un demi-chapitre et il y a souvent quelques messages qui vous attendent sur vos données», dit DiLavore. «Elle ne donne pas l'impression de quelqu'un qui travaille tout le temps, mais elle emplit assurément chaque moment de sa vie avec sa famille et son travail.»
Un peu après 7 heures du matin, un jeudi de ce mois de mai alors qu'elle préparait un cappuccino dans le hall de son hôtel de Manhattan, Lord s'est excusée d'être en retard de quatre minutes. Son client e-mail avait été indisponible toute la matinée, explique-t-elle, l'empêchant d'envoyer une nouvelle demande de subvention à la National Science Foundation - une demande qu'elle avait écrite plus tôt ce matin-là.
«De temps à autre, je reste à me demander: Comment gère-t-elle tout cela?», dit Susan Risi, psychologue clinicienne à l'UMACC qui a travaillé pour la première fois avec Lord à l'Université de Chicago en 1996.
Maintenant à l'UMACC et travaillant sous la direction de Lord avec une trentaine d'autres chercheurs et membres de l'équipe, Risi est toujours étonné des capacités administratives de Lord.
L'UMACC a été le premier parmi 13 centres à contribuer à la Simons Simplex Collection, un catalogue commun des gènes, antécédents médicaux et schémas de comportement de 2000 familles autistes. Lord est la chercheuse principale de tout le projet. «C'est incroyable ce qu'une seule femme peut faire», dit Risi.
Références:
[1] Lord C. et al.
J. Autism Dev. Disord. 19, 185-212. (1989)
PubMed
[2] DiLavore P.C. et al.
Autism Dev. Disord. 25 355-79. (1995)
PubMed
[3] Lord C. et al.
J. Autism Dev. Disord. 30, 205-23 (2000)
PubMed