Vivre entre les genres
Les personnes trans’ et autistes vivent leur genre en marge des attentes de la société, ou rejettent totalement la distinction hommes-femmes. Nombreux sont ceux qui réinventent alors la manière de définir leur identité, et ce que ça signifie d’être autiste.
Par
Deborah RUDACILLE, 13 avril 2016.
Diagnostic, science et société.
I. Introduction.
Assis près d’un ruisseau texan un après-midi, Ollie, 6 ans, se tourna vers sa mère et lui dit : « Maman, je pense que je suis à moitié garçon, et à moitié fille. ».
La mère d’Ollie, Audrey, ne fut pas particulièrement surprise de ce commentaire (Audrey et les autres parents de cet article ont souhaité que nous n’utilisions que leurs prénoms afin de protéger la vie privée de leurs enfants). À l’âge de deux ans, Ollie avait dessiné des « trucs pailletés et tutus ». Dans un magasin de chaussures, quand il avait trois ans, Ollie avait refusé d’enfiler ses habituelles chaussures marron pour des roses, déclarant avec empathie : « J’ai besoin d’habits de toutes les couleurs ». Après cela, Audrey dit que dès qu’ils allaient dans un magasin, elle le laissait choisir ses vêtements, peu importe la couleur qu’il voulait, même s’ils provenaient du rayon « garçon » ou « fille ». À 5 ans, Ollie commença à se déguiser à la maison, et se mit peu après à porter des robes en public.
« C’était effrayant, parce que nous vivions au Texas et je ne savais pas ce qui se passerait quand il serait dehors. » Selon Audrey.
Les parents d’Ollie se demandèrent si la neutralité de son identité sexuelle – comportement qui ne rentrait, ni dans les normes masculines, ni dans les normes féminines – pouvait avoir un rapport avec son autisme. Ollie avait eu un diagnostic posé avec un trouble sensoriel à l’âge de deux ans : une extrême sensibilité aux sons, à la lumière, à la texture de quelques aliments ou à certaines sensations de tissus qui pouvaient faire défaillir des enfants comme lui. Il avait aussi des difficultés pour s’endormir et pour le rester. Il faudra plus de quatre ans à ses parents pour trouver un médecin qui reconnaisse les symptômes classiques du syndrome d’Asperger ; intelligence supérieure à la moyenne combinée à des déficits sociaux, des déficits communicatifs et des intérêts restreints (Ollie fut diagnostiqué autiste Asperger avant que le diagnostic ne soit absorbé dans la large catégorie du trouble du spectre autistique en 2013).
Audrey ne pensait pas que l’autisme ait été à l’origine des goûts d’Ollie pour la couleur rose, ou de la volonté de porter des robes, mais elle se demanda si son extrême logique d’enfant pouvait assimiler le fait qu’aimer ces choses signifiait qu’il n’était pas un vrai garçon – « étant donné que « ce sont les règles de la société » », dit-elle. Son mari, qui sert dans l’armée américaine, pensait qu’à cause de l’autisme d’Ollie, l’enfant ne pouvait pas comprendre qu’un garçon, s’habillant avec des vêtements de fille, n’était pas socialement acceptable.
Les parents d’Ollie ne sont pas seuls à cogiter sur cette énigme. Une poignée d’études au cours des cinq dernières années – et une série de rapports remontant jusqu’à 1996 – montrent un lien entre l’autisme et la variation du genre. Les gens qui se sentent dans une détresse importante parce que leur identité sexuelle diffère de leur sexe biologique – un sentiment connu sous le nom de troubles de l’identité du genre – présentent un taux d’autisme plus élevé que prévu. De même, les gens qui présentent un autisme semblent avoir un taux de troubles de l’identité sexuelle plus élevé que dans la population générale.
Entre 8 et 10% d’enfants et d’adolescents vus dans les cliniques spécialisées sur la question de l’identité sexuelle dans le monde entier, correspondent aux critères du diagnostic de l’autisme, selon des études effectuées ces cinq dernières années, tandis que à peu près 20% présentent des traits autistiques tels que les capacités sociales réduites et les compétences de communication, ou les intérêts restreints et les attentions aux détails. Certains cherchaient un traitement pour leur trouble de l’identité sexuelle, sachant déjà – ou soupçonnant un autisme, mais la majorité des personnes de ces études n’ont jamais recherché ou reçu des diagnostics d’autisme. De surcroît, à peu près le même nombre de nés-garçons et filles semblent être affectés – ce qui est surprenant, étant donné que dans la population en général, l’autisme concerne plus souvent les garçons.
À ce stade précoce de la recherche sur le lien entre l’autisme et les troubles de l’identité sexuelle, il demeure beaucoup d’inconnues – par exemple, si l’identité sexuelle se développe différemment chez les personnes atteintes d’autisme. Ce manque d’information pose problème aux cliniciens et aux familles qui veulent faire de leur mieux pour les enfants transgenres.
L’association de l’autisme et de la dysphorie du genre ne représente pas seulement un double-défi, mais « une multiplication de défis », selon John Strang, un pédiatre neuropsychologue à la
Children’s National Health System à Washington D.C., et auteur en 2014 d’un article de journal sondant le taux de troubles de l’identité sexuelle parmi les enfants autistes.
Les personnes atteintes de ces troubles ont besoin de se débarrasser de nombreuses difficultés pour vivre à l’aise dans le monde. Ils doivent articuler une identité en désaccord avec leur anatomie sexuelle, et les attentes sociales de leur sexe biologique, planifier et exécuter leur changement de sexe, et faire face à l’incompréhension et l’hostilité totale, comme s’ils naviguaient sur un territoire périlleux entre les sexes.
« Cela implique beaucoup de transitions, de flexibilité et d’autodéfense » commente Strang. « Ce sont tous les domaines les plus fragiles, pour les personnes atteintes d’autisme. ».
Dans le même temps, les autistes ont des caractéristiques qui peuvent rendre ce processus facile, rajoute-t-il. Ils tendent à être moins inquiets sur ce que pensent les autres, et se sentent moins concernés par leur statut social ou leur réputation.
À 9 ans maintenant, Ollie corrobore cette affirmation. Il a enduré les moqueries, le harcèlement et la perte de ses amis et camarades de classe ; il a eu à laisser tomber certaines activités, telles que le taekwondo, parce que ses professeurs ou les parents d’autres étudiants étaient mal-à-l’aise avec l’affirmation de son identité sexuelle. Il voit un conseiller pour l’aider à faire face à la façon dont les autres le traitent parfois. « Cela me fait faire des cauchemars, par moments. », dit-il. Il a aussi rendez-vous chaque semaine avec des spécialistes de l’autisme pour s’occuper de ses sensibilités sensorielles, de sa fine motricité, et de son processus auditif.
Un soir d’hiver, chez lui avec sa mère, son chien et son chat, Ollie est occupé avec des Lego Star Wars, simulant une bataille entre les Stormtroopers et l’alliance Rebelle. Il porte un pantalon de survêtement rose, avec une rayure rose foncée pailletée, et une barrette rose. « Je ne suis pas censé être pressé dans une boîte, je suis déjà dedans. » Fit-il. « Je suis un entre-deux, et je suis à l’aise dans l’entre-deux. ».
II. Recoupement du diagnostic.
Au cours de la dernière décennie, les transgenres ont développé de nouveaux moyens d’exprimer leur perception de soi. Alors que beaucoup s’identifient comme transsexuel ou transgenre, certains d’entre eux s’appellent eux-mêmes « genderqueer » ou « non-binary » (
NDT, expressions intraduisibles renvoyant au genre neutre). Le taux d’autismes et de traits autistiques semblent être en hausse dans ceux qui s’identifient comme
genderqueer. Comme Ollie, ces personnes considèrent généralement qu’ils ne se sentent, ni pleinement masculin, ni pleinement féminin, et rejettent explicitement la notion de deux sexes incompatibles. Le mot « trans’ » est souvent utilisé pour inclure toutes ces identités et l’expression « genre affirmé » amènent alors à traduire cette perception de soi.
Photo par J.M. Giordano.
Se trouver : Jes Grobman, autiste, était initialement terrifiée à l’idée de considérer qu’elle pouvait aussi être trans’. Aujourd’hui, ces deux aspects sont une part de son identité.
Même si de nombreuses personnes trans’ optent pour changer leurs corps avec des hormones ou des opérations, d’autres – particulièrement ceux qui s’identifient comme
genderqueer ou non-binaires – peuvent adopter un nom et un prénom qui reflète au mieux leur perception d’eux-mêmes, sans physiquement changer leur corps (Ollie a brièvement essayé d’utiliser une variante féminine de son prénom et de son pronom, mais il sentait que quelque chose clochait, alors il est revenu sur son choix).
Comme l’autisme, les causes de la dysphorie du genre sont peu connues. Des facteurs biologiques tels que les prédispositions génétiques, l’exposition prénatale aux hormones, aux toxines environnementales, et divers facteurs sociaux et psychologiques ont été supposés, mais aucun n’a pu être confirmé.
Comme l’autisme, la dysphorie du genre est hétérogène, ce qui signifie qu’il n’y a pas qu’un profil ou qu’un comportement commun à tous ceux qui s’identifient comme trans’.
Seules les récentes recherches ont commencé à systématiquement explorer le lien entre les troubles de l’identité sexuelle et l’autisme ; la première étude à estimer la convergence de ces deux états fut ainsi publiée il y a juste six ans. Elle incluait 231 enfants et adolescents qui avaient été renvoyés à la
Gender Identity Clinic of the Vrije University Medical Center à Amsterdam, entre avril 2004 et octobre 2007. Les chercheurs avaient trouvé un taux d’autisme parmi les enfants de 7,8%, dix fois plus haut que dans le taux du reste de la population. Parmi les adolescents de l’échantillon, la fréquence était encore plus élevée, à 9,4%.
Un autre groupe constata l’année dernière que plus de la moitié des 166 jeunes enregistrés au
Gender Identity Development Service, une clinique britannique spécialisée à Londres, entre décembre 2011 et juin 2013, présentaient des caractéristiques du spectre autistique, mesurées par le
Social Responsiveness Scale, un outil de dépistage de l’autisme. De ce nombre, près de la moitié de ceux qui ont eu un résultat de haut niveau, n’avaient pas estimé l’être.
Strang commente qu’il ne fut pas surpris par ces résultats. Formé en tant que spécialiste de l’autisme, il avait essayé plusieurs autres spécialisations pour son stage de médecine, y compris dans des cliniques du genre, où il avait déjà remarqué des similitudes. « Dès que possible, j’ai commencé à faire des évaluations, et je me suis senti comme revenu dans les cliniques spécialisées sur l’autisme. » Rajoute-t-il.
Inspirés par une étude néerlandaise, Strang et ses collègues s’approchèrent de cette prévalence depuis un autre angle. Au lieu de mesurer l’incidence d’autisme parmi les enfants et adolescents présentant une dysphorie du genre, ils ont évalué la variation du genre – défini pour un enfant comme le fait de « vouloir être de l’autre sexe » – chez les enfants autistes. « Nous avons trouvé un taux qui était 7,5x plus élevé que prévu. », selon Strang.
Les chercheurs n’ont pas d’explications, mais ils essaient d’établir quelques théories. Tout d’abord, les enfants autistes pourraient être moins au courant des restrictions sociales qu’impliquent une variation de leur genre. Ensuite, la sorte de pensée noir-ou-blanc caractéristique des autistes pourrait conduire les personnes présentant un autisme léger ou modéré, à croire qu’ils ne sont pas de leur sexe biologique. Enfin, il pourrait y avoir une connexion biologique entre l’autisme et les troubles de l’identité sexuelle.
Ce ne sont que des hypothèses, même la théorie selon laquelle l’identité du genre peut se dérouler différemment chez les autistes – il n’y a que trop peu de données pour la démontrer ou la réfuter.
III. Alliance Rebelle.
Jeb Grobman, 23 ans, est une trans’ autiste, qui est moins concernée par les liens autistes/trans’ que par la construction d’une société qui ne réfute pas la différence. Diagnostiquée Asperger à 11 ans, Grobman remarque que plusieurs de ses amis et connaissances trans’ont aussi un diagnostic d’autisme. « Je pense qu’il y a beaucoup de connexions entre les autistes et les trans’. » Dit-elle. « Je suis probablement plus amie avec des autistes trans’, qu’avec juste des trans’. ».
Pourtant, il a fallu longtemps à Grobman, pour trouver une communauté où elle se sentait comprise. Tout au long de son enfance à Chicago, elle était isolée et seule. « Au collège, je n’avais pas d’amis. Au lycée, je passais chaque pause-déjeuner à la bibliothèque, pour lire. ». Le collège fut particulièrement infernal, ajoute-t-elle : « J’étais harcelée et persécutée. ».
Elle commença à sortir de sa coquille à 16 ans, quand elle se fit des amis dans un groupe de jeunes juifs. Mais ce ne fut que lorsqu’elle entra à l’université américaine de Washington D.C., qu’elle commença avec hésitation à explorer ce qu’elle appelait le « sentiment du genre » – en admettant envers elle-même et auprès des autres qu’elle ne s’était jamais vraiment sentie garçon, sans vraiment saisir exactement ce que cela signifiait. « J’étais capable de le formuler, plus comme une chose intellectuelle. » Commente-t-elle. « Comme, qu’est-ce vraiment que le genre ? ».
L’idée qu’elle puisse être également trans’ l’intriguait et la terrifiait. Depuis deux ans, elle a oscillé entre une exploration et une répression de ces sentiments. « J’étais très, très effrayée. Les témoignages de femmes trans’ me faisaient peur. » Se souvient-elle. « J’avais toujours compris qu’en gros, cela me tuerait, que je serais un paria, une malade, et une déséquilibrée, et que j’allais perdre toutes les personnes qui m’étaient chères. Ce pourquoi j’ai essayé de le réprimer au fond de moi. ».
Grobman s’est battue contre l’anxiété et la dépression, qui sont des choses communes chez les transgenres et les autistes. « Pour moi, c’est impossible de séparer ma transitude (
NDT, trans-ness être trans au sens de concept) et mon autisme de mes tendances dépressives et anxieuses. » Affirme-t-elle. Elle était également très contradictoire sur ses sentiments à propos de son diagnostic d’autisme : « Je me sentais, très, très honteuse à ce propos, et j’ai essayé de le cacher auprès des autres. ».
Ce ne fut que lorsqu’elle commença à explorer sa trans’ identité en construisant plusieurs amitiés avec d’autres membres de cette communauté, que Grobman fut finalement capable « d’éliminer toute honte et tout stigmate, et d’embrasser sa condition d’autiste. ». Elle attribue cela à la confiance qu’elle a développée en parlant aux gens à propos du fait d’être trans, et d’être accepté pour ce qu’elle est, sans avoir à cacher le moindre aspect de son identité.
Au début, Grobman résista à l’identification homme-femme, et demanda à sa famille ainsi qu’aux autres, d’utiliser un pronom neutre pour la nommer : « iels /
they » et « elleux /
them ». Ses parents la soutinrent sur ce point, dit-elle. Mais en novembre 2013, au milieu d’une dispute, sa maman lui dit : « Je refuse de parler de toi avec « iels /
they ». Réalise ce que tu es, et sois-le. ».
Ce fut, selon Gromban, « l’une des choses les plus importantes que quiconque ne m’ait jamais dit, mais aussi une des choses les plus blessantes que quiconque ne m’ait jamais dit. » Elle décida alors d’adopter cette affirmation en guise de devise, et commença à utiliser les pronoms féminins ainsi que la prise d’œstrogènes peu après.
Avant d’obtenir sa licence en décembre dernier, Grobman aida à fonder un groupe de soutien et de plaidoyer baptisé
DC Trans Power. En février, elle aida à écrire une déclaration commune aux côtés de groupes LGBT et d’associations pour les droits des handicapés suite au décès ce mois-là de Kayden Clarke, un garçon trans’ et autiste de 24 ans, qui fut abattu par la police à son domicile de Mesa, dans l’Arizona, après avoir passé un appel de détresse au commissariat pour prévenir de son geste. La police prétend que Clarke a brandi un couteau, et qu’ils ont tiré en état de légitime défense. Clarke avait posté des vidéos émouvantes sur YouTube avant sa mort, décrivant les défis auxquels il devait farce face, en tant que personne autiste, recherchant à démarrer un traitement hormonal. Un thérapeute l’avait informé qu’il ne pouvait pas commencer la prise de ses hormones jusqu’à ce que son autisme soit « soigné », affirma Clarke, dans une assertion qui le remplit de désespoir.
La déclaration, co-écrite par Grobman et posté sur le site internet
Autistic Self Avocacy Network, tacle la prise en charge défaillante et inégale du traitement médical de la dysphorie de Clarke, le précipitant dans une crise qui le conduisit directement à la mort. Les personnes atteintes d’autisme et d’autres troubles du développement mental sont souvent confrontés à une résistance quand il s’agit de chercher une transition liée aux soins médicaux, les activistes parlent alors d’une forme de discrimination. « Les identités sexuelles des personnes autistes sont réelles, et doivent être respectées. » Ecrivent-ils.
Grobman voit en le décès de Clarke, un assassinat, de la même manière qu’elle voit dans le suicide des personnes trans’, une conséquence de la discrimination et des préjugés, un assassinat. « Le système entier est complice de leurs morts. » Affirme-t-elle.
« Je suis un entre-deux, et je suis à l’aise dans l’entre-deux. » Ollie, 9 ans.
IV. Ne causer de tort à personne.
Les cliniciens qui travaillent au contact des trans’ autistes, disent que même si certains individus rencontrent des difficultés dans la transition [hormonale, NDT], les services médicaux ne sont pas toujours à blâmer. Les normes sanitaires promulguées par la
World Professionnel Association for Transgender Health ne barrent pas la route des personnes autistes atteintes d’autres troubles du développement à l’accès des traitements, y compris hormonaux et chirurgicaux.
« Les critères qui s’appliquent à toute autre personne à la recherche de soins médicaux trans’, seraient également applicables aux personnes sur le spectre [autistique]. » Déclare Katherine Rachlin, une psychologue clinicienne qui a travaillé pendant 25 auprès d’adultes transgenres à New-York City, et qui est co-auteur d’un article sorti en 2014 sur la concomitance de l’autisme et de la dysphorie du genre. « Ont-ils informé les requérants ? Est-ce qu’ils comprennent parfaitement les procédures des traitements médicaux qu’ils demandent ? »
Même les personnes autistes les plus touchées peuvent répondre à ces critères, affirme Rachlin, qui siège au conseil d’administration du
World Professionnel Association for Transgender Health. « Mon expérience m’a montré que même si leurs déficits interpersonnels sont sévères, ils se sentent encore plus à l’aise quand ils peuvent affirmer le genre qu’ils souhaitent, peu importe ce qui se passe dans leur vie. ».
Les autistes ont parfois des difficultés à voir leurs besoins satisfaits par les personnels de santé, dû à leurs déficits sociaux et communicatifs associés à l’autisme, rajoute Rachlin : ils peuvent ne pas honorer leur rendez-vous, par exemple. « Cela ne veut pas nécessairement dire que les professionnels les discriminent sur base de leur autisme. », commente-t-elle.
En outre, ceux qui luttent pour comprendre que d’autres ont des croyances, des désirs et des perspectives qui diffèrent des leurs – une altération de la « théorie de l’esprit » commune aux autistes – peuvent ne pas comprendre que d’autres ne les voient pas de la même manière qu’eux se perçoivent. Une personne autiste peut ne pas réaliser que, par exemple, pour être vu par les autres comme une femme, il faille ajuster leur coiffage et leur apparence. Quelques patients de Rachlin ne veulent pas progresser vers ces petites étapes, insistant justement sur le fait qu’ils se fichent de ce que pensent les autres, alors même qu’ils expriment une grande détresse à ne pas être reconnu comme légitime dans l’affirmation de leur genre. Certains se plaignent également d’un isolement, et d’une profonde solitude, refusant d’assister à certaines situations sociales, même à des événements liés aux trans’, par exemple les groupes de soutien.
Pourtant, elle prévient que, parfois, ce qui ressemble à de l’autisme peut en réalité, se confondre avec les troubles de l’identité sexuelle. « Une grande partie de l’expérience des trans’ peut ressembler à l’expérience du spectre autistique. » Dit-elle.
Les gens qui ne veulent pas socialiser avec les personnes de même sexe semblent n’avoir que peu de compétences sociales, par exemple ; ils peuvent aussi se sentir tellement mal-à-l’aise avec leur corps qu’ils en négligent leur apparence. « Cela peut parfois être grandement atténué si vous donnez à ces personnes un soutien approprié pour exprimer leur identité sexuelle. », confirme-t-elle.
D’autres sont d’accords avec cette vision. Une étude de 2015, menée par des chercheurs du
Boston Children’s Hospital, rapportèrent que 23,1% des jeunes présentant une dysphorie du genre dans une clinique spécialisée, avait un possible, probable, très probable syndrome d’Asperger, tel que mesuré par l’
Asperger Syndrome Diagnostic Scale, bien que quelques-uns avaient déjà un diagnostic établi. Au vu de ces résultats, les chercheurs recommandent un dépistage de l’autisme systématique dans les cliniques du genre.
Mais ils notent également que certains symptômes, tels que le sentiment d’être isolé, sont associés à ces deux conditions. Les autres symptômes, incluant de ne pas maintenir le contact visuel, et de passer beaucoup de temps en ligne, selon Amy Tishelman, professeur-adjoint de psychologie à
Harvard Medical School, sont pris en compte dans l’étude. Même la préoccupation pour le genre peut être analogue aux intérêts restreints de l’autisme.
Thishelman pense qu’un meilleur dépistage et de meilleurs outils de diagnostics, ainsi que des discussions plus détaillées avec les proches lors des séances avec les spécialistes, sont nécessaires pour les enfants qui ont, à la fois un autisme, et une dysphorie du genre. « Nous devons développer ces interventions qui pourront les aider à agir plus facilement dans les situations sociales. ».
La résistance de certains parents à ce double-diagnostic présente en outre des défis. À la
Children’s National à Washington D.C., quelques parents d’enfants traités pour dysphorie du genre étaient réticents à accepter que leur enfant puisse également présenter une forme d’autisme, confirme Strang.
Inversement, les parents d’enfants et d’adolescents auparavant diagnostiqués autistes, se demandent si ce qui a l’air d’une dysphorie du genre pourrait n’être qu’un simple intérêt restreint qui disparaîtra avec le temps. « Les parents nous disent que pour certains enfants, l’identité sexuelle peut n’être qu’une fixation éphémère, comme les trains l’ont été à un moment. » Rajoute Tishelman. « Il peut y avoir une hésitation à l’idée de permettre la transition sexuelle à leurs enfants à cause de cela. ».
« Une grande partie de l’expérience trans’ peut ressembler à l’expérience du spectre. » Katherine Rachlin.
V. Choix difficiles.
Kathleen et Brad, parents d’un adolescent Asperger, furent sidérés quand Jazzie (le surnom de Brad pour sa fille), vers 14 ans, a dit au conseiller scolaire, et à sa mère, qu’elle était trans’ et qu’elle voulait commencer une thérapie hormonale afin d’amorcer une transition physique pour devenir une fille. Jazzie a été diagnostiquée Asperger à l’âge de 3 ans. Ses parents, particulièrement Kathleen, avaient mené une guerre sans fin avec l’administration et les enseignants de l’école public pour qu’elle puisse obtenir les mandats légaux des adaptations de services dont elle avait besoin.
Du point de vue de ses parents, l’annonce de Jazzie est sortie de nulle part. Ils furent réservés quant à l’approbation d’interventions médicales irréversibles, telles que la thérapie hormonale, dans le cas où cette question d’identité sexuelle ne soit qu’une fixation passagère. « [Jazzie] n’avait jamais dit « Je me sens comme ça depuis des années. » ou qu’elle l’avait ressentie depuis l’école primaire. », explique Kathleen.
Mais pour Jazzie, c’était comme si ses parents étaient « idiots », et refusaient de la croire. Elle passa la plupart de ses 15 et 16 ans à ressentir de la rancune. « Je me sentais comme si le temps m’était compté, comme si mon corps se détruisait lui-même, et que vous ne me laissiez pas le réparer. » Dit-elle maintenant, à 18 ans.
Jazzie commença à prendre des hormones et d’utiliser un prénom et un pronom féminin lors de sa dernière année de lycée, quand elle avait dix-sept ans. « J’ai l’impression que si j’avais commencé plus tôt, j’aurais été plus moi-même. Mais maintenant, depuis que j’ai commencé si tard, c’est plus difficile de devenir physiquement ce que j’aurais dû être. » Dit-elle. « Je suis plus quelqu’un de demi-formé, que ce que je devrais être physiquement. ».
Brad attribue le fait que Jazzie pense que ses parents auraient dû savoir pour sa dysphorie du genre, à son syndrome d’Asperger. La difficulté des personnes autistes réside parfois dans la compréhension des pensées et des émotions des autres, il était ainsi difficile pour elle de saisir que ses parents ne pouvaient pas avoir connaissance de quelque chose d’aussi évident à ses yeux, bien qu’elle n’ait jamais extériorisé ses sentiments sur la dysphorie du genre. « Elle pensait que nous aurions dû le savoir. » Dit Brad. « Mais nous avions essayé de l’amener à le dire. » Après avoir aidé un collègue de travail à gérer sa transition de sexe au travail il y a plus de vingt ans, Brad était mieux informé que de nombreux parents au sujet du processus, mais comme sa femme, il a préféré procéder avec prudence.
Rétrospectivement, Brad et Kathleen peuvent identifier de nombreux incidents qui auraient pu sous-entendre une dysphorie du genre pendant l’enfance – comme au moment où ils ont trouvé Jazzie, vers 6 ans, sous le lit en train de porter des collants. Kathleen a ensuite constaté que Jazzie avait caché un de ses vieux collants dans un tiroir de bureau, mais elle avait supposé que Jazzie les portait parce qu’ils procuraient un confort sensoriel du même type que les combinaisons de plongée qu’elle pouvait porter parfois à l’école.
Pendant ce temps, Jazzie insiste sur le fait qu’elle a connu la dysphorie du genre depuis la petite enfance. « Ie sentais que je n’étais pas un garçon. » Affirme-t-elle maintenant. « Mais ce fut qu’au collège que je commençai à ressentir une grande détresse à ce sujet. » Elle fait des recherches Google relatifs au genre et à ses variations depuis qu’elle a 8 ou 9 ans, dit-elle.
Une fois que les parents de Jazzie furent sûrs que ce n’était pas qu’une obsession temporaire, ils l’aidèrent à faire glisser doucement sa transition à l’école, en en parlant avec les enseignants, conseillers d’orientation et administrateurs. Ils savaient déjà comment la défendre à sa place ; leur expérience avec l’autisme les avait préparés à ce niveau défi.
Les parents de Nathalie, 5 ans, ne font qu’entamer ce voyage. Renvoyée à la clinique de l’autisme à la
Children’s National quand elle avait moins d’un an en raison de retards de développement, Natalie a montré des signes de non-conformité à son identité sexuelle dès le plus jeune âge. Lorsque leur grand-mère a pris la famille en croisière, et a fourni les costumes de capitaine miniature pour tous les enfants, ses frères se pavanaient fièrement autour de la cabine quand on leur disait à quel point ils étaient beaux. Nathalie, autour de ses 4 ans, fondit alors en larme, en disant : « Je ne veux pas être beau, je veux être jolie. ». Cette année, à Halloween, elle a insisté pour être habillée comme la Reine Elsa du film Disney « La Reine des Neiges ».
Le père de Nathalie surveilla son développement avec anticipation. « J’avais compris quelque chose depuis ses un an et demi. » Dit-il. Le choix de Natalie des jouets et jeux de fantasy, son style de jeu et ses manières pointaient toutes vers la féminité, avant même qu’elle ne soit capable d’articuler son identité sexuelle avec des mots. Cela le perturbait, il raconte : « Je voulais qu’elle soit un garçon. » Pendant un an, les deux parents se sont tenus tête, mais face à un enfant récalcitrant et profondément malheureux, « finalement, j’ai dit : « OK, sois une fille. » ».
Depuis lors, Natalie a été beaucoup plus heureuse, selon lui. Lui et sa partenaire travaillent encore aux détails de la transition de Natalie, et à son nouveau nom et prénom pour l’école, affrontant également leurs propres sentiments devant ce défi. Prendre une décision en son nom, en soutenant et en plaidant sa cause à l’école et dans la communauté, est plus difficile encore en raison du manque de données sur les liens entre la dysphorie du genre et les spectres de l’autisme. « En ce moment, nous prenons nos repères en fonction d’elle. », commente son père, « Elle est encore en train de trouver son espace. ».
Photo.
Proximité : Grobman, ici avec sa partenaire, Lane Balassie, est maintenant une activiste pour les droits des transgenres. Nombre de ses amis sont aussi des trans’ autistes.
Pour le moment, bien que la science fournisse peu d’aide aux parents d’enfants comme Natalie, les choses pourraient bientôt changer. Jusqu’à présent, toutes les études publiées sur la concomitance de l’autisme et de la dysphorie du genre ont été des études de cas, ce qui confirme que les deux conditions apparaissent ensemble plus souvent qu’on ne l’attendait. Dans l’espoir d’élever la question à un niveau supérieur, Strang a contacté tous ceux qui avaient publié une étude sur ce phénomène, ainsi que des experts de toutes les cliniques de genre dans le monde. Pendant les deux dernières années, un groupe s’est constitué et a discuté de leurs expériences et de leurs théories en ligne. Il en est ressorti une prise de position commune, et un ensemble de lignes directrices pour le diagnostic, le traitement et le soutien de toutes les personnes atteintes de dysphorie du genre et de troubles du spectre autistique, ce qui pourrait peut-être empêcher, qu’à l’avenir, les cas cliniques mal compris conduisent des gens comme Kayden Clarke au désespoir.
Strang espère que l’étude pourra être publiée dans les six prochains mois. « Ces enfants ont besoin de soutien. » Dit-il.
En mars, les législateurs de la Caroline du Nord votèrent une loi interdisant les personnes trans’ des salles de bain et des vestiaires qui ne correspondent pas au sexe de leur certificat de naissance. Pour les personnes trans’ atteintes d’autisme, qui sont souvent socialement naïf et ignorant dans la manière dont ils sont perçus par les autres, ce genre de lois peuvent présenter une menace réelle de confrontation pour laquelle ils sont mal équipés. Le groupe de travail de Strang aide alors les enfants et les adolescents dans leur programme à traiter ce genre de défis. « Nous sommes focalisés sur la sécurité. » Affirme Strang. « C’est ce que cela signifie, d’être trans’, dans différentes communautés. » L’autisme peut créer des angles morts autour de ces questions, dit-il, mais lui et ses collègues reconnaissent ses qualités, comme une grande capacité de concentration.
Grobman voit les aspects de l’autisme comme partie intégrante de son efficacité en tant que militante. Son intense focalisation sur les droits des trans’ et des handicapés peut être une obsession de n’importe n’importe qui, admet-elle, mais contrairement à son obsession d’enfant avec Pokémon, celle-ci n’est pas triviale. Vivre avec la menace d’être intimité(e), agressé(e), stoppé(e)s quand on va dans les « mauvaises » toilettes, cela génère une anxiété constante. Gromban dit qu’elle se sent poussée à travailler pour un changement de société, qui fera du monde un lieu de paix pour les personnes comme Ollie, Natalie, Jazzie et elle-même. « Nous devons créer une compréhension et une validité de l’expérience trans’-autiste. » dit Grobman. « Vous vous battez pour votre propre existence. ».
Ollie semble partager cette croyance. Immergé dans la lutte entre l’Alliance Rebelle et l’Empire Galactique, sur sa table de salle à manger, il répète un commentaire fréquemment, semblant être une subtile référence aux défis auxquels il fait face : « Ils ont besoin de renforts ! » dit-il. « Ceci est la dernière escouade de troupes, et ils essaient de survivre. »