CRITIQUE de Télérama
bravo
Elle habite une petite ville tristouille et marronnasse d'Australie. Lui vit à New York la noire, où tout le monde fait la gueule, même la statue de la Liberté. Elle vit avec des parents barges (père empailleur, mère klepto et alcoolo : le sherry, y a que ça de vrai !). Lui est seul ou presque : est-ce que ça compte, un ami invisible qui se taille quand bon lui semble, un chat borgne et un poisson rouge - Henry, neuvième du nom, car il est arrivé des bricoles aux huit précédents...
Mary est moche, Max est obèse. Elle a 8 ans et lui plus de 40. Sauf que tous les deux ressemblent à d'éternels enfants terrifiés, frustrés de tendresse et fous de chocolat...
Ils reflètent si bien nos angoisses et nos chagrins, ces deux-là, qu'on oublierait presque qu'ils ne sont pas tout à fait humains. Car Mary et Max, comme leurs deux cent huit collègues, sont des créatures en pâte à modeler, issues de l'imaginaire mystérieux et tourmenté d'Adam Elliot.
Après un moyen métrage acclamé, c'est son premier long, à ce jeune homme, dont on soupçonne qu'il ressemble peu ou prou à ses personnages (son père était clown-acrobate, éleveur de crevettes et quincaillier, et Adam dit avoir hérité de sa mère un tremblement physiologique...). D'un seul coup d'un seul, Mary et Max renvoie à leur médiocrité tous les films d'animation dont on (Hollywood !) nous abreuve : gros machins moralisateurs et neuneus.
Au départ, la petite Mary trouve par hasard le nom de Max dans un annuaire. Max Horovitz, quel drôle de nom ! se dit-elle. Elle lui écrit. Il lui répond. Dès lors, durant près de vingt ans et sans se voir jamais, ils vont correspondre. Aussi perdus l'un que l'autre, et donc parfaitement comiques et pitoyables, ils vont affronter brouilles et retrouvailles, gaffes et regrets. De ces lettres pas vraiment roses, pas toujours drôles, la vie va surgir, avec son cortège d'espoirs entêtants et de désillusions féroces.
Car Max, que chaque missive et chaque question de Mary plongent dans le désarroi (« Est-ce que tu connais des filles, Max ? » « Est-ce qu'on ne s'est jamais moqué de toi, Max ? »), va tout subir : l'emprisonnement, l'internement, les électrochocs et, même, incroyable, la chance : « Un débile gagne au Loto », titrera alors le journal...
Mary, elle, grandit, se marie avec l'amour de sa vie - un Grec bégayant et, hélas, fan de Boy George -, devient, grâce à Max, la spécialiste mondiale des maladies nerveuses et des pathologies obsessionnelles, avant de renoncer brusquement à la gloire et de sombrer dans la dépression. La scène où - cernée par les sons inquiétants de Que sera sera, interprété par Pink Martini, et ses photos de famille, qui tournoient autour d'elle comme des menaces - elle tente vraiment d'en finir est un moment de grâce absolue, un pur bonheur cinématographique et psychanalytique...
Paradoxe : tout est drôle dans ce film sombre. Mais d'une drôlerie acide, grinçante, dénuée de guimauve. Car la moindre silhouette d'Adam Elliot provoque en nous un amusement attendri : Max et le pompon rouge posé sur sa kippa, mais aussi l'incroyable mère de Mary, avec ses grosses lèvres de vamp défraîchie, la vieille petite voisine ridée de Max, suffisamment miro pour faire bouillir le pauvre Henry IX dans son bocal. Sans oublier le psy - l'incroyablement moustachu Dr Hazelhoff - ni, au bas de l'immeuble de Max, son clodo détesté, rivalisant de formules inventives pour provoquer la pitié des passants indifférents...
Loin de nous plomber, cet hymne aux solitaires, aux paumés, aux doux-dingues - nettement moins fous que les gens dits normaux, au demeurant - rassure : ouf, il existe donc encore, de par le monde, des créateurs aussi doués qu'Adam Elliot pour savoir peindre la misère humaine avec une telle ferveur et mêler aussi bien l'insolence à la magie... Car, dans le ciel au-dessus de la maison australienne de Mary, brille une lune à la Méliès. Et dans le New York de Max, l'ombre fugitive d'Audrey Hepburn, échappée de Diamants sur canapé, semble attendre le taxi qui la déposera, à l'aube, devant les vitrines de Tiffany's...
Ce film est une merveille.
Pierre Murat
Télérama, Samedi 03 octobre 2009
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