Extrait d'un
blog de mediapart signalé par
referentiel autisme :
A Marseille, Serge Partouche, un autiste de 48 ans est mort mercredi 21 septembre, à plat ventre, le visage en sang, menotté par 3 policiers dont l'un à genoux sur son dos. Les forces de l'ordre avaient été appelées par une voisine en conflit avec les parents. Serge n'avait jamais été violent ni menaçant.
Menottage fatal pour un colosse autiste
A Marseille, une enquête a été ouverte sur la mort d’un handicapé, lors d’une interpellation policière musclée.
Par OLIVIER BERTRAND Correspondant à Marseille - Libération - 27/09/2011
Serge Partouche avait 48 ans. Il était autiste. Plusieurs fois par semaine, il se baladait dans le quartier Saint-Loup où vivent ses parents, à Marseille. Mercredi, une voisine a appelé la police pendant cette promenade. Elle trouvait le garçon menaçant. Trois agents sont venus pour l’interpeller, il ne se serait pas laissé faire, il a fallu le maîtriser. Quand ils se sont relevés, Serge était en état de mort clinique. Depuis, ses parents tentent de comprendre.
Simah et Yvette ont 79 et 77 ans. Ils habitent depuis cinquante ans la petite maison, que le père a agrandie lui-même, afin que Serge y trouve un peu d’autonomie à leurs côtés. Simah a été routier, docker et agent d’entretien dans un centre pour handicapés. Depuis sa retraite, il s’occupait de son fils, dont il est l’administrateur légal. Serge était presque mutique depuis la sortie de l’adolescence. «Parfois seulement, raconte le père, il m’appelait au réveil. Mais il ne disait jamais "papa". Il disait "Simah". Je l’entends encore le matin, dans mon lit : "Simah !" Alors on se levait et on partait boire un café.»
Stéréotypies.
Là-bas, si un verre traînait, Serge le tapotait treize fois sur le comptoir, de plus en plus doucement. C’était l’une de ses stéréotypies, avec ces clenches qu’il pouvait actionner longuement dans le vide, ou ces arbres qu’il «plumait» pendant ses balades, en arrachant leurs feuilles. Il sortait parfois seul. Tout le quartier le connaissait.
Seule une voisine, disent les parents, entretenait des relations conflictuelles avec ce garçon différent, qui lui faisait peur. En juillet 2008 puis septembre 2010, le père a déposé une plainte puis une main courante. Il accusait la voisine de maltraiter son fils, de colporter des mensonges à son sujet, de dire qu’il se masturbait devant elle. Les policiers étaient venus une première fois en 2010, cela s’était bien passé, l’affaire avait été classée.
Un psychiatre avait témoigné que Serge ne présentait «pas d’agressivité ni d’anxiété particulière». Et Yannick Lefort, médecin traitant du garçon depuis huit ans, ajoute : «
Serge n’était pas un schizophrène. Il était autiste, donc très replié sur lui-même. Il avait un cadre de conduite qu’il suivait sans en dévier. Je n’ai jamais été appelé pour une crise, un comportement violent. Mais en revanche il était imposant physiquement. Peut-être qu’il pouvait impressionner des gens qui ne le connaissaient pas.»
Mercredi, un infirmier est venu lui faire sa toilette comme chaque matin puis Simah l’a laissé sortir pour sa balade, vers 9 h 30. «Il prenait toujours le même chemin, raconte le père. Je l’ai accompagné au bout de l’allée du jardin et je me suis arrêté pour discuter avec le vieux d’à côté.» Quelques instants plus tard, Serge passait devant chez la voisine. Une toute petite maison carrée, avec un toit plat, des volets fermés derrière de lourdes grilles, une grosse chaîne pour cadenasser un portail par ailleurs fermé à clef.
Serge l’a-t-il effrayée en passant ? Etait-il «en crise», comme le disent les policiers ? «Il n’a jamais fait de mal à personne, répond la sœur de Serge. Il était peureux. Quand quelque chose n’allait pas, sa seule façon de faire une crise, c’était d’agiter les mains au bout de ses bras ballants en roulant des gros yeux.» Serge mesurait 1 m 90, pesait plus de 100 kilos. Les policiers ont-ils eu peur de ce grand costaud qui agitait les mains en silence tandis qu’ils approchaient ?
Le père a vu passer une voiture de police, puis une seconde. Il est allé voir ce qui se passait, mime ce qu’il a vu en arrivant. Son fils à plat ventre au milieu de l’impasse, la tête au sol, du sang coulant de son visage. Les mains menottées dans le dos et un policier à genoux sur lui, au milieu de sa colonne vertébrale. «Il lui comprimait complètement le diaphragme pendant que les deux policières lui tenaient les jambes, poursuit-il. J’ai dit à l’homme de descendre de son dos mais il ne voulait pas. Quand il s’est enlevé, il a vu que Serge ne respirait plus. Il s’est mis à courir en criant "Oh putain ! Oh putain !" Une des policières s’est mise à pleurer.»
«Antécédents».
Serge est mort dans l’après-midi. Depuis, la voisine se terre chez elle et les policiers se retranchent derrière l’enquête préliminaire ouverte par le parquet. «
Nous attendons les résultats de l’autopsie pour savoir si ce monsieur avait des antécédents médicaux, indique Jacques Dallest, procureur de la République.
Ensuite, il faudra établir si tous les gestes utilisés pour l’interpellation étaient appropriés. Les policiers ne savent pas toujours à qui ils ont affaire. Au moment du menottage, il peut y avoir un danger.» L’enquête a été confiée à l’inspection générale de la police nationale.
Faire pression sur le dos et la nuque d’une personne menottée à terre est une technique d’immobilisation controversée, et interdite dans certains pays d’Europe. Elle a valu à la France d’être condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, dans un arrêt du 9 octobre 2007, à la suite de la mort de Mohamed Saoud, âgé de 26 ans, à Toulon (Var).