Un décortiquage est nécessaire :lucius a écrit : ↑vendredi 15 novembre 2024 à 16:19Un article amusant sur un procès perdu par la plaignante.
J'ai déjà été traité de "charmant" par une dame de 80 ans. dois-je l'attaquer pour "outrage sexiste"? Je me suis senti embarrassé car je ne savais pas comment réagir à ce gentiment compliment. Cela m'embêterait de le faire.Un chef d'entreprise avait écrit que l'ancienne sous-préfète de Château-Chinon était "délicieuse" et "charmante"
Premièrement, ce n'est pas parce qu'une chose n'est pas reconnue comme punissable qu'elle ne constitue pas un problème réel. En fait, il y a même des choses parfaitement légales (rendant d'emblée inopérante la moindre tentative de poursuite) et même acceptées sur le plan moral, qui font pourtant du mal (exemple : il est parfaitement légal de gaver un canard, d'enlever son bébé à une vache laitière, de gazer certains cochons avant la saignée, et ce même dans un contexte où l'on n'a plus besoin de le faire et donc où l'on pourrait les épargner, il suffit de ne pas être dans la clandestinité et voilà ; ce n'est pour autant qu'il n'y a pas de victime).
Ensuite, il serait intéressant de considérer le contexte précis de l'expérience que tu relates. Une dame âgée qui te dit que tu es charmant après l'avoir aidée dans la rue, c'est différent d'une dame âgée qui t'interpelle et te sort par exemple "vous êtes charmant, j'aurais bien aimée être plus jeune pour vous avoir comme amant", par exemple.
"Charmant", ça ne concerne pas que le physique. Ça peut vouloir dire agréable, pas juste physiquement ; un village peut être considéré comme charmant car il y fait bon vivre.
Vient ensuite le fait que le commentaire de cette dame dans ton anecdote était hors-propos. Le fait que ça t'ait pris au dépourvu, même si tu l'as (si j'ai bien compris) bien pris, c'est que de base ça t'est tombé dessus, que c'était de trop (aussi inoffensif ç'a ait pu être selon toi). Cela t'a tout de même mis mal à l'aise.
Et puis surtout, le contexte d'inégalité n'est pas le même.
Que cette dame ait pu te sexualiser, c'est possible, il n'y a pas de raison qu'une femme ne puisse pas avoir de comportements déplacés envers un homme.
Cependant, le contexte d'oppression, beaucoup plus général, ne permet pas de considérer ton expérience comme comparable à celle qu'a subi cette sous-préfète (j'y viens, ça y est).
Un compliment sur l'apparence d'une femme ne peut pas être sorti de la tendance à sexualiser les femmes comme objets de désir. Ça ne veut pas dire que c'est forcément dans ce but, ni qu'il ne peut y avoir des situations précises où une sexualisation soit une bonne chose, mais se rappeler de cette réalité est important, car dans beaucoup de cas elle permet une mise en perspective des "gentils compliments" beaucoup moins innocente qu'on ne le croirait si on néglige cette réalité.
Tu parles d'une anecdote... Tu en as d'autres comme ça ?
Est-ce que, quand tu sors dehors, tu peux te faire siffler, draguer, parfois toucher, appeler par des petits noms par des femmes que tu ne connais pas ? Est-ce que des groupes de femmes, à plusieurs, t'embêtent dans la rue quand tu vas d'un point A à un point B ? Pendant que des gens font comme s'il ne se passait rien ?
Est-ce que tu dois penser à ta sécurité vis-à-vis de ce qu'une femme pourrait te faire ? Éviter des lieux, des horaires ?
Est-ce que tes choix vestimentaires et cosmétiques déterminent ton intention (soi-disant) d'aguicher ?
Est-ce que des femmes t'ont déjà fait des avances très directes, des commentaires lubriques sur ton corps, et ce dans des situations pas du tout adaptées (je parle pas de rencontres dans ce but bien sûr) ?
T'es-tu fait aborder dès un très jeune âge par des femmes ayant l'âge d'être ta mère ou même grand-mère ? À la sortie d'un magasin, par exemple ?
Et surtout, même si j'oublie sûrement des trucs, l'aspect qui me semble le plus révélateur sur l'affaire avec la sous-préfète Yosr Kbairi :
Est-ce que, suite à une rencontre professionnelle avec une femme, tu trouverais normal que celle-ci, plus tard sur les réseaux sociaux, trouve quoi que ce soit à dire te concernant, sur autre chose que ce qui touche à la sphère professionnelle ?
Pour des choix de vie (ce que tu as pris à la pause déjeûner, ton véhicule, si tu portes des lentilles ou des lunettes), ou des caractéristiques physiques (handicap voyant par exemple), ou ton caractère ("charmant" au sens "trop sympa"), ce serait déplacé de donner son avis. Peu importe que ce soit un compliment, ça n'entre pas en ligne de compte.
D'autant plus que là, c'est dit après coup, sur les réseaux sociaux, et avec un bien plus grand audimat ; c'est comme un compliment de trop lors de la pause déjeûner du type "ah, vous faites attention à ce que vous mangez, c'est bien !", mais fait ensuite sur les réseaux...
Alors pourquoi des commentaires sur "l'agréabilité physique", plutôt très moyens sur l'échelle de l'obscénité ("délicieuse" ), ce serait acceptable ?
Tu ne trouverais pas insultant que l'appréciation de ton apparence soit au mieux mise au même niveau que ton professionnalisme, au pire, que ce ne soit que ça qui soit retenu ?
Ou, au minimum, tu ne trouverais pas ça sans rapport et donc hors-propos ? Je veux dire, déjà avec la vieille dame ça sortait de l'ordinaire, donc là... (À moins que ce fut une collaboratrice à une réunion de travail mais vu l'âge j'en doute. )
Je ne sais pas précisément ce que le gars a pu dire en plus de ces commentaires, l'article indique seulement :
À l’issue d’une réunion de commission de sécurité à laquelle il participait en sous-préfecture, en février, le prévenu de 59 ans s’était laissé aller à employer ces qualificatifs. Ils n’avaient pas été du goût de la représentante de l’État de l'époque.
Et si tu ajoutes à cela le climat de répétitions pour de nombreuses femmes, on n'est plus du tout sur du gentil compliment.
On est sur une femme qui n'en est sûrement pas à sa première fois avec ces comportements et qui, même à un poste à responsabilité (y'a ça aussi), est réduite au moins en partie à l'objectivation par le regard masculin.
L'article n'a donc rien d'amusant, il est le rappel que la justice n'est pas toujours du côté des victimes et peut même les enfoncer. Et aussi qu'un événement a priori "pas si grave que ça" peut être symptomatique d'une réalité fortement inégalitaire en toile de fond.
Parce que bien sûr que l'idée derrière ce que je dis, c'est pas "OH CIEL QUEL SCANDALE IL FAUT ENFERMER CE SINISTRE PERVERS !". Ce ne serait pas adéquat. En revanche, l'inverse (voir ça comme amusant) est tout aussi contreproductif car on omet énormément de choses, un contexte bien plus vaste.