Enfin, quand je suis avec mes élèves je suis un enseignant avec tout ce que ça implique comme attentes : la profession, les besoins des élèves, le vocabulaire, le regard, les postures, etc. C'est quelque chose de temporaire et tu décides, ajuste le rapport que tu peux avoir avec tes élèves en fonction des cas et des situations. Mais c'est sous controle. C'est un peu moche dit comme ça, mais même si le coeur y est, je ne dois jamais oublier que pour eux je ne suis personne (j'enseigne chez les 16-22 ans). Ils ne me connaissent pas. Faire connaissance c'est un autre domaine que l'école. Même si j'ouvre pas mal de mon univers à mes élèves et que je les apprécie beaucoup, mon rôle c'est d'ouvrir des possibles, pas de faire des liens (même s'ils sont nécessaires, ce n'est pas le but). Le matin quand j'y vais, je sais faire la part des choses. Normalement cette partie du "devoir être" fait partie intégrante du travail.
Ce dont je parle c'est quand tu as une injonction "devoir être" qui est dictée par un environnement (ou même une ou des personne(s)) sur ton rapport à toi même). Je donne un exemple. Dans mon exemple, tu ne décides pas, c'est comme si c'était une attente à laquelle tu dois répondre pour concerver la relation possible. Et cette attente n'est pas forcément formulée. Personne ne sait la formuler, c'est un état de chose.
Exemple d'un environnement : tu es prof et tu as des convictions pédagogiques, une sensibilité dans l'apprentissge qui te permet d'imaginer des dispositifs pédagogiques uniques qui te sont propres. Premier jour, tu entres en classe. Ton bureau se situe sur une estrade à coté de la fenêtre, les bancs serrés en rangs d'oignons, le tableau sale, la classe est un rectangle profond. Là, le lieu porte une injonction : l'enseignement c'est un rapport frontal à l'élève. Le savoir est exposé, il doit être assimilé et restitué. S'il y a des comportements qui empèchent ce fonctionnement, ils sont sanctionnés pour préserver l'état de chose. Tout ça c'est implicite, et donc tu ne vas pas bouger les bancs, tu ne vas pas pouvoir être "flexible" pédagogiquement. Tu vas devoir adopter la même posture qu'un prof d'il y a 100 ans. Dans mon exemple, tu as une attente, un devoir être qui entre en conflit avec tes aspirations, ta sensibilité. Dans ce devoir être rien ne fait sens pour toi. Et c'est le lent travail de l'érosion de soi-même dans les formes de l'institution. C'est jamais aussi caricatural, mais il y de ça. Et comme on ne peut pas bouger les murs, il faut compenser. Soit tu t'adaptes (la compensation te coûte pour toi-même, hum...), soit tu essaies de peindre la Joconde avec une truelle, mais tu y trouves du sens.
Exemple de l'ex "belle" famille. C'était comme si être du clan était la condition. C'est quasi comme un rêve de consanguinité dans les campagnes. Quand tu arrives là dedans, on te refait de A à Z. Tes centres d'intérets, on s'en fout. Ici on parle de la terre, des jardins, de la saison passée et des espoirs en la suivante. De la météo comme d'une compagne menacante. Les outils aussi, c'est un assenceur de sociabilité. Si tu as l'outil que personne n'a et dont tout le monde à besoin, tu es quelqu'un d'important. Ils en n'ont pas conscience, c'est juste que si tu n'es pas comme eux, tu es un étranger et on finit par ne plus te parler. Dans les campagnes, le relationnel est important pour l'entraide. Il faut appartenir à la même strate, sinon on met des barrières, on ferme des portes. Mais tout ca c'est fonction des personnes, je suis juste mal tombé.
Des situations comme ça j'en vis souvent. Que ce soit en visite ou je dois adopter une attitude (pas jouer avec mes mains, ni frotter mes cuisses, ni être dans mes pensées, ni me balancer même discretement, "savoir parler de tout et de rien avec tout le monde comme personne"
