J'ai eu très tôt le sentiment d'une différence qui me mettait en danger, et le camouflage est dès lors apparu comme la seule stratégie de survie possible. Toujours en retrait, j'ai observé, classifié, mimé, ressassé, tenté d'assimiler tous les comportements de mes "semblables" que je percevais comme adéquats dans telle situation, afin d'être capable de les régurgiter à bon escient. Caméléon bien rôdé, on me dépistait pourtant parfois: "tiens, tu n'as pas la même voix / le même accent / les mêmes mimiques quand tu parles à untel..." Sans savoir pourquoi, j'étais mortifiée. J'en suis venue à penser que je n'avais pas de véritable personnalité.
Mais oui, comme le dit Shadow c'est usant quand à l'arrière-plan, votre cerveau turbine en continu pour analyser, décortiquer et anticiper ce qui s'est dit/se dit/va peut-être se dire (ou pas), et lorsque le show avait trop duré, j'avais moi aussi l'impression que mon cerveau s'éteignait, et que je regardais l'autre personne sans plus rien capter en hochant la tête, un sourire plus ou moins adéquat plaqué sur le visage.
Ajouté à tous les autres traits que j'ai fait taire pendant des années, le seau s'est rempli et a fini par déborder, burn-out autistique, un grand classique apparemment. Le pâle secret était éventé. Juste après le diagnostic, j'ai eu envie de me couper du monde moi aussi, de jeter définitivement le masque, je ne supportais plus rien ni personne. Et puis les thérapeutes m'ont aidée à comprendre que ces stratégies que je méprisais tant aujourd'hui m'avaient malgré tout permis une certaine insertion sociale et professionnelle, une autonomie appréciable, que n'ayant de toute façon pas eu les outils pour comprendre ce que je faisais en les adoptant, j'avais juste fait au mieux, comme je le pouvais, mais que cela avait eu un coût élevé. Et aussi qu'aujourd'hui, entre une vie de lemming phagocyté par son environnement et un isolement total, il y avait une marge et des aménagements, ce que j'essaie à présent de négocier...
Une vie sur le fil
