Depuis que je suis enfant, j'ai une forme d'aversion pour les personnes Neurotypiques. Un peu comme on pourrait avoir une aversion pour les chenilles, quelque chose qui se rapproche de la phobie, de la peur irrationnelle.
Et pourtant, certaines chenilles sont très toxiques, et le dégout qu'on peut avoir pour ces petites créatures a probablement pour origine un instinct de survie; qui s'appuierait donc en partie sur des éléments rationnels (j'imagine).
Le dégout et l'aversion se construisent en réponse à une peur instinctive. Quand j'avais 10ans, je disait que "tous les gens étaient des cons", quand j'en ai eu 18, je disais qu'ils étaient tous "des connards". Aujourd'hui je connais leur intelligence et je ne les considère plus comme forcément malveillants, mais ils me font toujours peur, et je ne peux pas m'empêcher de ressentir une forme de dégout à leur égard. Et même si je me force à être tolérant, chassez le naturel et il revient au galop.
Je pourrais faire une analogie assez simple:
Lorsque l'on cuisine en extérieur en été, on est fréquemment visité par des guêpes qui sont appâtées par l'odeur alléchante de la viande. Quand j'étais petit j'en avais un peu peur puisque je m'étais déjà fait piquer sans vraiment comprendre pourquoi. Je l'avais vécu comme une agression. Alors je tentais de les éloigner en imitant les adultes, comme eux je les considérais comme des nuisibles.
Mais très vite, et parce que je suis quelqu'un qui aime comprendre mon environnement, je me suis demandé ce que les guêpes cherchaient afin de comprendre comment on pourrait cohabiter. J'ai donc pensé que je pourrais partager mon repas avec elles, depuis je leur laisse toujours une petite assiette pas loin du barbecue afin qu'elles profitent aussi du repas.
Et je n'ai plus jamais été gêné par leur présence. Il arrive encore qu'une d'entre elle s'égare et vienne picorer dans mon assiette, auquel cas je la chasse gentiment si je n'ai pas finit mon repas (charognard=bactéries faut pas abuser

Fort de cette réussite j'ai appliqué cette stratégie aux rapports sociaux. Sauf que partager généreusement ne suffit pas, jusqu'à aujourd'hui je ne comprenais pas ce que les NT attendaient de moi, ou du moins ce que je faisais de travers. Alors ils continuaient à me piquer.
Ca a duré tellement longtemps que je me retrouve dans la situation ridicule du mec qui veut pas faire de barbecue dehors simplement parce qu'il y a des guêpes et que ça le rend fou. Parce qu'il a l'habitude de les chasser d'un mouvement brusque et qu'il se fait systématiquement piquer.
Je pense avoir compris où ca coince, avoir compris ce que les personnes normales attendent de moi et pourquoi j'ai tant de mal à leur donner. Ce qui serait à l'origine de notre cohabitation si difficile, pourquoi ça a été si compliqué pour moi de le comprendre et pourquoi ça fait tant d'années que je me fais piquer par des guêpes que j'ai effrayé en m'agitant bêtement.
Pourquoi on s'effraie mutuellement?
Je vais tenter d'étayer mais le principe de base est le suivant:
-Je vis dans la peur, je suis quelqu'un qui sent le danger, mon organisme est focalisé sur les risques potentiels et je suis habitué à la peur. J'ai donc pour habitude instinctive d'identifier les dangers et de les fuir ou de les combattre. Hypervigilance, stress constructif et courage sont mon lot quotidien.
-A l'inverse, la plupart des gens, d'après ce que j'ai observé, ont plutôt tendance à fuir la peur, et à être aveugles aux dangers potentiels. Ils n'y sont pas habitués, leur organisme n'est pas adapté pour gérer la peur au quotidien, elle peut être paralysante pour eux et extrêmement énergivore. Lorsque je suis efficace pour fuir les dangers ils sont efficaces pour fuir la peur.
Le déni, la légèreté et la perception sélective sont leur lot quotidien.
On me répète souvent que je suis trop négatif et pessimiste, certaines personnes ne supportent plus la lourdeur des sujets que j'aborde. Je me vois comme particulièrement optimiste et simplement réaliste.
C'est pourquoi on se fuit mutuellement. Ils me mettent en danger par leur déni et je les met en danger en les mettant face à la peur (leur pire ennemi).
J'ai toujours été le premier à sentir les fuites de gaz toxique dans les laboratoires, le premier à entendre le jeu sur le godet de la pelleteuse, le premier à identifier les maladies sur les végétaux. Je suis ce qu'on pourrait appeler un oiseau de malheur.
A l'inverse ils sont constamment en train de m'intoxiquer par leur légèreté face aux produits toxiques, à me faire prendre le risque de me couper une jambe en me demandant d'utiliser la tronçonneuse dans des conditions inappropriées ou a passer à 2cm de ma tête avec la pelleteuse.
Quand je leur répète qu'il nous faut des pantalons de protection contre les coupures parce qu'un collègue s'est retrouvé à l'hôpital avec une artère coupée, je leur rappel les dangers qu'ils mettent tant d'énergie à oublier. Je ne peux pas les oublier donc je ne vois pas où est le problème et je ne comprends pas leur réaction négative à mon intention de me mettre en sécurité et de les mettre en sécurité.
En réalité leur réaction est celle qu'ils ont face à la peur, à cette peur que je génère en eux en leur rappelant les dangers. Alors ils préfèrent m'éviter, voire ils se mettent à me détester. Parce qu'ils n'ont pas d'énergie à investir dans la prévention des risques, ils préfèrent l'investir dans la prévention de la peur.
Je l'ai toujours su inconsciemment. Je sais que c'est ça qui me rend inadapté, qui rend toute compensation quasiment inutile, au delà des divergences de langage et de conception du monde et des rapports sociaux. Je présente de nombreux comportements autodestructeurs qui ciblent ma capacité à reconnaitre les dangers. Je me bousille les oreilles avec la musique, l'odorat en fumant comme un pompier, la vue en passant 48h non stop à jouer sans mes lunettes, le cerveau en me droguant.
Mais rien n'y fait, cette solution n'en est pas une. Et notre incompatibilité biologique est ancrée. Je me dis que je devrais accepter qu'ils me mettent en danger et contrôler ce que je leur envoie en évitant tout ce qui pourrait les stresser, ainsi ne pas les effrayer pour éviter qu'ils se mettent à me piquer. Mais plus j'écoute mon corps et plus il me dit non. Il me dit "fuis les, ils sont dangereux".
Bref, c'était long, merci à ceux qui me liront.
J'aimerais vous demander, comment vous vivez votre phobie sociale (si c'est votre cas) et comment vous adaptez votre rapport aux personnes neurotypiques. Comment vous gérez leurs ingérences? Est-ce qu'il suffit de s'énerver chaque fois qu'ils vous mettent en danger, et de refuser systématiquement leurs demandes lorsqu'elles vous semblent inappropriées? Est-ce que vous arrivez à contrôler complètement ce que vous leurs transmettez comme informations verbales et non verbales?
ps: je savais pas où mettre le sujet, merci pour le déplacement