Sylvie Logean
Publié mardi 13 octobre 2020 à 19:23
Modifié mardi 13 octobre 2020 à 22:25
Cela semble désormais une évidence: les aérosols, ces particules invisibles en suspension, seraient responsables d’au moins 70% des infections au coronavirus – soit bien plus qu’initialement estimé.
«Le coronavirus pourrait finalement se transmettre par l’air.» Début avril déjà,
la communauté scientifique et Le Temps alertaient sur une possible transmission du virus SARS-CoV-2 dans l’air ambiant et non pas, comme cela avait été suggéré jusque-là, uniquement via de grosses gouttelettes éjectées par la toux, les éternuements ou les postillons.
Il aura néanmoins fallu attendre la mi-juillet pour que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) intègre la question des aérosols dans ses recommandations officielles et reconnaisse la probabilité d’une dissémination de la maladie par voie aérienne.
Aujourd’hui, nombre d’études se penchent sur le rôle et la formation de ces fines particules ainsi que sur l’importance de ce mode de diffusion dans la pandémie de Covid-19. Le point sur l’état actuel des connaissances en quatre questions.
1) Comment les aérosols sont-ils émis?
Lorsque nous respirons, parlons et chantons, nous émettons des gouttelettes qui se mélangent à l’air ambiant et forment ce que l’on appelle un aérosol respiratoire composé de très petites gouttelettes de moins de 10 microns de diamètre, soit l’équivalent d’un dixième de la largeur d’un cheveu humain.
Alors que les grosses gouttelettes ne voyagent en général pas au-delà de 2 mètres, les aérosols respiratoires peuvent rester en suspension dans l’air pendant de nombreuses minutes voire pendant des heures, comme l’a notamment montré
une étude parue en 2011 sur le virus de la grippe.
Par ailleurs, si la viabilité de l’ARN viral du SARS-CoV-2 dans les aérosols est contestée par l’OMS, cette probabilité a néanmoins été émise par
une recherche publiée dans The New England Journal of Medicine. Le virus pouvant, selon les chercheurs, rester viable jusqu’à trois heures au sein de ces minuscules particules.
Vortex jusqu’à 2 mètres
Une équipe de scientifiques du CNRS, de l’Université de Montpellier et de l’Université de Princeton a, de son côté, cherché à comprendre par quels mécanismes les aérosols se propageaient durant la parole et le chant. Dans le cadre
de leurs récents travaux, publiés notamment dans la revue PNAS, ces derniers ont pu démontrer, à l’aide d’un laser et d’un brouillard produit en laboratoire, que les flux d’air générés en parlant avaient une direction et une portée dépendante des sonorités produites.
«Les consonnes occlusives telles que les «P» ou les «B» génèrent des tourbillons qui peuvent parcourir 1 mètre en une seconde. L’accumulation de ces consonances plosives produit ensuite une sorte de «jet conique» transportant le matériel expiré par une personne jusqu’à 2 mètres en trente secondes, explique Manouk Abkarian, chercheur au Centre de biologie structurale de l’Université de Montpellier et auteur de l’étude avec Simon Mendez et Howard Stone. Bien sûr il y a des variations interpersonnelles, selon que l’on parle doucement ou que l’on ait une voix bien posée, mais ces résultats sont tout de même assez perturbants, dans le sens où nous n’imaginions pas que les aérosols pouvaient atteindre cette distance.»
Ces travaux viennent compléter les nombreuses recherches déjà effectuées sur les micro-gouttelettes. «Comprendre le mécanisme de transport des aérosols permet de mieux appréhender le rôle que jouent les individus asymptomatiques et présymptomatiques dans la propagation du Covid-19, mais aussi de prendre des mesures en conséquence», ajoute Manouk Abkarian.
2) Quelle est la part des transmissions par les aérosols?
Selon Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale de l’Université de Genève, au moins 70% des contaminations se feraient par les aérosols. «Ce mode de transmission est devenu une évidence mais, étonnamment, la santé publique montre souvent une grande réticence à reconnaître le rôle des aérosols dans la propagation d’une pathologie, souligne l’épidémiologiste. C’était le cas aussi pour la tuberculose, pour laquelle on a longtemps pensé que seule une transmission par grosses gouttelettes était possible, jusqu’à ce que l’on admette enfin le rôle unique des aérosols comme moyen de diffusion.»
Pour l’épidémiologiste, qui s’appuie sur une méta-analyse de 25 essais randomisés, le lavage intensif des mains permettrait de prévenir 15% des transmissions. «La probabilité d’une contamination par les grosses gouttelettes serait encore plus faible, car cette voie de contamination nécessite que quelqu’un éternue à moins de 1 mètre et que ses postillons vous atterrissent dans l’œil, la narine ou la bouche.»
Et qu’en est-il de la fumée de cigarette ou la vapeur émise par les cigarettes électroniques? Peut-elle contribuer à une propagation du virus? «Les aérosols diffusés avec la fumée de cigarette se comportent de manière similaire aux aérosols de coronavirus que l’on expire, décrit Antoine Flahault. Si la personne qui émet de la fumée est contaminée, alors les aérosols contenus dans ce nuage le seront aussi. Le risque n’est toutefois pas supérieur qu’avec un non-fumeur, la seule différence étant que l’on voit le nuage se déplacer.»
3) Comment diminuer les risques de transmission?
A l’image de la fumée de cigarette qui se dissipe plus lentement dans un espace intérieur fermé, les aérosols vont également flotter un certain temps dans une pièce insuffisamment ventilée, d’où l’importance de prendre des précautions lorsque l’on rentre dans un lieu clos.
«Il faudrait porter un masque en tout temps en milieu intérieur et garder une certaine distance entre les personnes, appuie Antoine Flahault. Par ailleurs, il faut alléger au maximum le nombre de personnes présentes dans un espace fermé, favoriser le télétravail et renouveler l’air intérieur de l’ordre de six fois par heure. C’est en cumulant toutes ces mesures que l’on peut espérer réduire le risque de transmission du coronavirus en lieux clos.»
Ventilation suffisante
La ventilation efficace des bâtiments est d’ailleurs au cœur d’
une lettre ouverte signée par plus de 200 scientifiques et publiée en juillet dans le Clinical Infectious Diseases.
«Il y a certes des personnes qui sont des super-propagateurs, mais plus important encore, il y a des événements dits de super-propagation, au sein desquels la ventilation n’est pas suffisante pour éliminer le virus expiré dans l’air par les personnes infectées, détaille au Temps Lidia Morawska, professeure à la Queensland University of Technology (Australie) et principale auteure de cet appel aux autorités sanitaires. La durée d’exposition est en outre un facteur important: plus les gens passent de temps dans de tels environnements, comme lorsque l’on chante dans une chorale ou que l’on mange au restaurant, plus la probabilité d’infection est élevée.»
Toute la difficulté est alors de savoir dans quelle mesure l’air contenu dans une pièce est efficacement renouvelé. «Si la ventilation est uniquement re-circulante, alors cette dernière ne fera que brasser l’air, pointe Manouk Abkarian. Il est nécessaire d’avoir un système permettant de filtrer des matériaux en dessous du micron. Dans le cas contraire, il vaut mieux ouvrir les fenêtres afin de créer un renouvellement suffisant de l’air.»
4) Le masque constitue-t-il une protection efficace?
On a souvent entendu que les masques chirurgicaux ou en tissu ne constituaient pas une barrière suffisante contre les particules inférieures à 10 microns. Qu’en est-il réellement?
«Il y a des préjugés concernant les masques chirurgicaux et communautaires, analyse Antoine Flahault. En laboratoire, les masques FFP2 ont certes montré une plus grande capacité de filtration des gouttelettes et des aérosols, mais cela n’a toutefois pas été confirmé par les essais randomisés qui les ont comparés aux masques chirurgicaux. Par ailleurs, les masques en tissu ne s’avèrent pas moins performants, pour autant qu’ils soient de bonne facture et correspondent aux normes en vigueur.»