NEWS - 14 Avril 2020
Les chauves-souris sont une source essentielle des virus humains – mais elles ne sont pas les seules
Des analyses statistiques indiquent que les efforts pour la prochaine pandémie devront regarder au-delà des mammifères volants.
Clare Watson
https://www.nature.com/articles/d41586-020-01096-z
Les chauves-souris et les rongeurs sont tenus pour être des réservoirs de virus à haut risque – une source de maladies qui peuvent passer aux humains, et parfois entraîner des épidémies. Des scientifiques ont même estimé que ces animaux ont certaines caractéristiques qui accroissent la probabilité de phénomènes de contagion, même de l’animal à l’homme, et que, par conséquent, il faudrait les surveiller de plus près. Mais une nouvelle analyse indique que les chauves-souris et les rongeurs ne sont « pas exceptionnels » dans leur prédisposition à héberger des virus qui contaminent les humains.
En effectuant des recherches dans la plus grande base de données de virus et d’hôtes, à travers différents ordres de mammifères et d’oiseaux, des chercheurs en Ecosse ont découvert que le nombre de virus chez les chauves-souris et les rongeurs, ayant contaminé des gens, est proportionnel au nombre d’espèces comprises dans ces groupes.
Il y a « une explication quantitative tout à fait rationnelle à des tendances qui peuvent paraître frappantes », affirme l’écologiste des maladies Daniel Streicker, de l’Université de Glasgow, au Royaume-Uni, qui a co-dirigé l’analyse, publiée dans PNAS le 13 avril. « Les efforts futurs de surveillance pour identifier les menaces de maladies de sources animales devraient regarder au-delà de groupes animaux spécifiques, et se concentrer sur les zones de grande biodiversité », explique-t-il.
Mais tout le monde n’est pas d’avis que ce soit pratique, du fait des ressources limitées. Et, comme les chauves-souris abritent plusieurs virus qui causent de graves maladies chez l’homme, y compris la rage, Ebola et le coronavirus associé au syndrome respiratoire aigu sévère (SARS-CoV), il est logique qu’elles – ainsi que les rongeurs – soient la cible de la plupart des efforts de surveillance et de détection des virus. Les chauves-souris sont aussi le suspect principal comme source du SARS-CoV-2, le virus responsable de l’actuelle pandémie.
Un jeu de nombres
Les études examinant des espèces particulières ont découvert que les chauves-souris ont proportionnellement plus de virus que d’autres mammifères (2), mais Daniel Streiker et Nardu Mollentze, également de l’Université de Glasgow, ont décidé de rechercher plutôt si ce schéma existe à travers différents groupes de mammifères et d’oiseaux.
Selon Daniel Streiker, le fait de rechercher dans les ordres animaux retire un peu des incertitudes quant à l’espèce précise qui serait l’hôte d’un nouveau virus. Mais les chercheurs peuvent avoir une confiance raisonnable dans le groupe animal qui est impliqué, sur la base de comparaisons génétiques entre le virus infectant les humains et ceux qui circulent chez les hôtes animaux.
Les deux chercheurs ont comparé les virus infectant les humains dans 11 ordres, comprenant les chiroptères (chauves-souris), les rodentiens (rongeurs) et les passériformes (oiseaux chanteurs). En exploitant leurs propres bases de données et celles d’autres chercheurs (3), ils ont compilé des données sur 415 ADN et ARN de virus d’origine animale qui se sont étendus aux hommes. (2, 4)
Leur analyse statistique a estimé que les groupes animaux comprenant plus d’espèces ont tendance à avoir plus de virus ; de la sorte, un nombre plus important de virus qui peuvent passer à l’homme. Par exemple, les rongeurs étaient les ordres de mammifères les plus abondants en espèces dans l’étude ; ils ont aussi le plus grand nombre de virus qui se sont transmis à l’homme, nous indique Daniel Streiker.
Facteurs viraux
Dans une autre analyse statistique, les deux chercheurs ont étudié l’importance de la biologie de l’hôte par rapport aux facteurs viraux. Le modèle montrait que la biologie du virus, comme la façon dont un virus se réplique ou la possibilité qu’il soit transmis par des insectes, constituait plus un facteur de contagion que les caractéristiques physiologiques ou écologiques du réservoir.
Ainsi, même si l’on pense que les chauves-souris hébergent plus de virus différents en raison de leurs systèmes immunitaires, Daniel Streiker dément que ces caractéristiques particulières accroissent le risque que ces virus se développent. « Aucun groupe seul d’hôtes animaux n’aggravait de manière significative le risque que les virus se transmettent aux hommes. »
« Si nous voulons être capables de prédire quels virus sont les plus susceptibles de contaminer les humains, les caractéristiques des virus pourraient fournir plus d’informations que celles des hôtes », ajoute-t-il.
Daniel Streicker recommande que de futures études se concentrent sur les caractéristiques des virus les plus à même de renforcer leur propension à passer aux humains, et étudient la façon dont d’autres facteurs, comme le commerce d’animaux sauvages et le changement environnemental, mettent les animaux en contact forcé avec davantage de gens, et jouent un rôle dans l’émergence des virus.
Des hôtes aux humains
La découverte d’une correspondance entre la diversité des espèces et l’abondance de virus est une raison convaincante pour élargir la surveillance au-delà de certains groupes de mammifères, déclare l’écologiste Kevin Olival, vice-président à EcoHealth Alliance (Alliance EcoSanté), une organisation à but non lucratif pour l’environnement, à New-York.
Mais Kevin Olival ne pense pas que l’étude mettra un terme au débat sur la possibilité que des réservoirs spéciaux existent. Dans cette étude, les virus étaient étudiés à travers les ordres d’animaux hôtes, plutôt qu’à travers les espèces – ce qui signifie que les informations spécifiques aux espèces sur les hôtes étaient perdues, comme la taille de la population, la densité, l’abondance de l’espèce et la quantité de contacts avec l’homme. Tous ces facteurs peuvent influencer la diversité et la transmission des virus, déclare-t-il.
Il paraît logique, ajoute-t-il, de poursuivre des efforts ciblés sur les chauves-souris et les rongeurs, compte-tenu de leur bilan.
La virologue Jemma Geoghegan, de l’Université d’Otago, en Nouvelle Zélande, annonce qu’avant que les chercheurs puissent utiliser des caractéristiques virales pour prédire le prochain épisode de contagion, il faudra échantillonner et trouver les caractéristiques de beaucoup plus de virus, pour dévoiler la véritable diversité des virus dans la nature. D’ici là, elle pense qu’on ferait mieux de faire porter les efforts de surveillance sur la surveillance génomique, là où sont les « lignes de fractures » où hommes et animaux se rencontrent, comme les marchés d’animaux vivants. « De cette manière, nous pourrons rapidement reconnaître n’importe quel virus en train de se répandre », affirme-t-elle.
doi: 10.1038/d41586-020-01096-z
Références :
1. Mollentze, N. & Streicker, D. G. Proc. Natl Acad. Sci. USA
https://www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1919176117 (2020).
2. Olival, K. J. et al. Nature 546, 646–650 (2017). Article
3. Babayan, S. A., Orton, R. J. & Streicker, D. G. Science 362, 577-580 (2018). Article
4. Woolhouse, M. E. J. & Brierley, L. Sci. Data. 5, 180017 (2018). Article