Avec leurs éducateurs, les enfants terminent la construction du voilier, à Nantes.
Marc Roger
Construire un voilier leur redonne confiance
Ouest-France vendredi 21 mai 2010
Cet après-midi, le Namnetum est mis à l'eau à Nantes. Ce bateau a été construit par six adolescents souffrant de troubles du comportement, avec leurs éducateurs. Ils participent ce week-end à une course-chasse au trésor organisée par l'école de voile des Glénans.
Dans un frottement rapeux de papier de verre, il ponce une coque de bateau. Le nez sur les pans de bois, il frotte. À l'affût de la moindre anfractuosité. « Ne reste pas trop près de la poussière », avertit un éducateur.
L'ado s'écarte. Continue sa tâche. Appliqué. Silencieux. Ils sont cinq jeunes dans l'atelier du premier étage de l'institut Lamoricière, niché dans une propriété cossue du centre de Nantes. En bas, la cour de récréation est calme. Pas de cours ce mercredi. Seulement des activités éducatives.
En tout, l'institut accueille 123 enfants de 5 à 20 ans, souffrant de troubles du comportement.
Des névroses ou des psychoses jusqu'à la limite de l'autisme. Susceptibles de les plonger dans l'angoisse ou de perturber leurs capacités d'apprentissage.
Parmi eux, l'ado toujours occupé à poncer. Comme ses camarades, il vient à l'atelier chaque mercredi, depuis octobre, en plus des cours de maths, français ou d'histoire et des activités (chorale, contes...), le reste de la semaine. « Ça m'apporte de travailler de mes mains », dit-il en fuyant le regard de son interlocuteur. Il bute sur les mots. Cherche, loin au fond de lui la bonne expression. « J'apprends la technologie. Même si je ne veux pas être menuisier. »
Le métier qu'il veut faire ? Les mots coulent alors sans obstacle. « Comédien. Ou guide. Je suis passionné d'histoire. Ça me permettrait d'apprendre des choses aux gens sur la structure d'un monument ou d'un château. » Il s'intéresse surtout à l'Antiquité et au Moyen-Âge. C'est lui qui a proposé de baptiser le bateau Namnetum. Du nom des premiers occupants de Nantes.
« L'histoire, c'est déjà écrit, ça le rassure, analysent Xavier Norreel et Pierre-Marie Bioret, éducateurs. C'est pourquoi il en parle facilement. Avec lui, on travaille la confiance en soi. » L'ado a progressé en s'entraînant en mer lors d'un stage préparatoire en avril avec les autres enfants. « J'apprends à m'occuper de tout, la voile, la barre, le vent », souffle-t-il.
Construire un dériveur voile-aviron de 3,60 mètres, avec trois équipiers à bord, aide aussi à acquérir cette confiance. Mais la concentration n'est pas toujours au rendez-vous. Ce matin, un jeune de 14 ans a un peu tendance à papillonner avant de reprendre son aspirateur.
« À l'école, je n'arrivais pas à lire »
Avec son appareil dentaire et son regard pétillant, il se livre facilement: « À l'école, je n'arrivais pas à lire. Et je m'énervais souvent. » Lui est à mi-temps à l'institut et dans un collège en quatrième adaptée. « Je préfère le collège. Là-bas, on est tous dans la même classe et pas par petits groupes. Et il y a moins d'enfants qui font des pétages de plomb. »
On le sent dans l'atelier. Soudain, le ton monte sans prévenir, entre enfants. Frottements. Mots échangés. Les éducateurs veillent, la tension retombe. « Le plus dur, c'est de maintenir l'attention sur toute une séance », commentent les adultes.
« À l'institut, on apprend à se concentrer, explique un ado de 16 ans, affairé à peindre la coque. Moi, à l'école, j'étais largué. » Il est là depuis neuf ans. Il a été interne, maintenant, il rentre chez lui chaque soir. « Petit à petit, ça va mieux pour les cours. » Il veut être vendeur. Ce que lui apporte l'atelier? « La solidarité. Et on va devenir amis avec d'autres enfants lors de la course. »
Demain, les ados partent régater autour de l'île d'Arz. Ils représenteront Nantes. « C'est important pour ces enfants, dit le président de l'association qui gère l'institut, de porter la voix d'une ville, sans être stigmatisés. »
« Monsieur, dans un article, un jour, on nous a présentés comme des handicapés qui faisaient du vélo », s'insurge l'ado de 14 ans. Tous récusent le terme. Ils n'ont qu'un souhait : être comme tous les jeunes de leur âge. Certains, disent les éducateurs, iront en entreprise adaptée, voire protégée. D'autres resteront en établissement de soin. Et certains réussiront à s'amarrer au monde du travail traditionnel.
Jacques SAYAGH.