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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Comment deux « petits juges » ont mis à terre les sociétés de crédit
LE MONDE | 02.08.2016 à 10h38 • Mis à jour le 02.08.2016 à 11h25
Ils n’ont pas vu le bonheur sur le visage du juge, ils étaient trop tendus les uns contre les autres, avec cette histoire de fenêtres à crédit qui leur gâchait la vie. Comment auraient-ils pu imaginer que l’homme qui présidait le tribunal d’instance de Saintes (Charente-Maritime) les espérait depuis longtemps ? Que là, dans cette salle d’audience, allait se jouer la première manche d’un Austerlitz juridique ?
Pour l’heure, Philippe Florès fait son métier de « petit juge ». Il les écoute patiemment déverser leurs problèmes. Max et Marie-Jeanne Rampion racontent comment, trois ans plus tôt, ils ont décidé de changer les fenêtres de leur pavillon à Royan. Le commercial qui les avait démarchés avait un bon sourire et une franche poignée de main, ils avaient signé un devis de 6 150 euros, financé via un crédit du même montant. Tout se passait pour le mieux, les délais étaient tenus. Mais, le jour de la pose, le couple découvre que le bâti destiné à accueillir les nouvelles fenêtres est infesté de parasites. Max et Marie-Jeanne Rampion demandent aussitôt de résilier le contrat et le prêt qui l’accompagne. A partir de là, tout se gâche. Au gentil commercial se substitue l’accueil glacé de l’entreprise et de la société de crédit. Vous avez signé, vous devez payer, leur dit-on. Lettres recommandées, huissiers et, pour finir, assignation devant la justice. Philippe Florès se frotte les mains. « J’étais heureux comme un enfant qui aurait attrapé la queue de Mickey ! », dit-il en souriant à l’évocation de ce moment.
Pour comprendre les raisons pour lesquelles un contentieux de fenêtres à 6 150 euros inonde de bonheur un juge très sérieux et parfaitement sain d’esprit, il faut remonter quelques années en arrière.
Philippe Florès est un de ces magistrats qui ont délibérément choisi d’exercer leur fonction au plus près des justiciables, dans les tribunaux d’instance de Niort, d’Angoulême et de Saintes, là où, dit-il, « il y a le plus besoin de droit ». Dès sa sortie de l’Ecole nationale de la magistrature, en 1990, sa confrontation avec la réalité est brutale. S’il y a bien un endroit où l’on peut évaluer l’ampleur de la crise, ce sont ces audiences d’instance où s’accumulent les affaires de crédits impayés depuis que l’inflation a disparu et que les salaires – lorsqu’il y en a - n’augmentent plus. C’est là aussi, dans cette confrontation quotidienne entre citoyens surendettés et organismes créanciers, que se mesure au plus près l’inégalité des armes entre les justiciables. Le déséquilibre est d’autant plus fort que, dans nombre de dossiers de surendettement, le crédit ne finance plus l’achat d’un écran de télévision plus grand ou d’une voiture plus puissante, mais qu’il est devenu nécessaire pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de la vie.
« LA QUESTION DERRIÈRE TOUT CELA, C’EST : QUEL EST NOTRE RÔLE ? SI ON EST LÀ SEULEMENT POUR DISTRIBUER DES TITRES DE CONDAMNATION, IL N’Y A PAS BESOIN DE JUGE »
Issu lui-même d’un milieu modeste, Philippe Florès pense que « le droit est fait pour protéger les ignorants, les imbéciles, pas ceux qui en maîtrisent les arcanes ». Les contrats que la plupart des acheteurs ne parcourent que d’un œil avant d’apposer leur signature, le juge les lit. De la première à la dernière ligne. Surtout celles qui sont écrites si petit qu’elles usent les yeux. Il connaît la loi et le code de la consommation, qui fixent des règles précises aux contrats de prêts afin de renforcer la protection des consommateurs face aux organismes de crédit. « J’avais une liste, c’était le jeu des sept erreurs », raconte Philippe Florès. La loi dit par exemple que le contrat doit être rédigé en corps 8. Que fait le juge ? Il acquiert une de ces règles graduées qu’utilisaient jadis les imprimeurs et les ouvriers typographes pour s’assurer que la consigne est respectée. Au début, lorsqu’ils le voient sortir son typomètre, les vieux routiers du barreau qui défendent les sociétés de crédit ricanent. Ils rient moins lorsque le juge constate que le contrat est irrégulier et annule les intérêts et les pénalités qu’ils exigeaient du débiteur.
Mais, s’ils pestent contre cet emmerdeur de « petit juge » – un « rouge » assurément, pensent-ils –, les plus aguerris des avocats savent que, pour l’heure, le droit est avec eux. La jurisprudence de la Cour de cassation est claire : le juge ne peut pas soulever d’office un moyen de nullité dans un contrat. Si les parties au procès ne le font pas, tant pis pour elles, le juge ne peut pas réparer un tort dont celui qui l’a subi ne se plaint pas lui-même, ni substituer sa science à leur ignorance. En appel, Philippe Florès se fait donc systématiquement rappeler à l’ordre et la cour infirme ses jugements. Au mieux, la bonne conscience qu’il s’est donnée fait gagner un peu de temps aux débiteurs, au pis, elle leur coûte plus d’argent en procédure. Ce n’est évidemment pas satisfaisant. « La question derrière tout cela, c’est : quel est notre rôle ? Si on est là seulement pour distribuer des titres de condamnation, il n’y a pas besoin de juge », observe Philippe Florès.
Comment faire tomber ce mur que la Cour de cassation dresse devant lui ? Tant qu’il est seul, Philippe Florès ne menace pas la forteresse juridique qui protège les sociétés de crédit. Il a besoin de renfort de troupes pour mener la guérilla dans d’autres points du territoire, et va les chercher auprès de ses pairs de l’Association nationale des juges d’instance. Etienne Rigal répond aussitôt présent. A Vienne (Isère), il est lui aussi confronté chaque jour au drame du surendettement. Ceux qui défilent dans son tribunal ont parfois accumulé vingt ou vingt-cinq dossiers de crédits impayés. Comme Philippe Florès, il ne se résout pas à l’impuissance et traque les nullités dans les contrats, pour prononcer l’effacement des intérêts et des pénalités. Comme lui, il est maudit par les sociétés de crédit qui font des pieds et des mains pour tenter de lui échapper et faire juger leurs dossiers par un de ses collègues d’un tribunal voisin, beaucoup plus respectueux des contraintes de la loi et donc de leurs intérêts.
Caractère abusif d’une clause
Les lecteurs d’Emmanuel Carrère connaissent la suite, qui ont rencontré Florès, le fils d’ouvrier, et Rigal, le fils de bourgeois atteint d’un cancer à 18 ans auquel il doit l’amputation d’une jambe, parmi les personnages de son livre D’autres vies que la mienne (éditions P.O.L., 2009). A eux deux, ces petits juges d’instance vont mener une offensive victorieuse contre la toute-puissance des sociétés de crédit et bouleverser le droit de la consommation. Leur arme : le droit, rien que le droit. En écumant les revues juridiques, Etienne Rigal tombe en octobre 2000 sur un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) – renommée Cour de justice de l’Union européenne en 2009 – rendu à propos d’une affaire de clause abusive en Espagne. La Cour est catégorique : après avoir rappelé que, dans les litiges relatifs à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, ce dernier se trouve de facto dans une situation d’infériorité, elle conclut qu’une « protection efficace du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause ».
Une faille s’est donc ouverte dans laquelle Etienne Rigal et Philippe Florès s’engouffrent. Ce que la Cour de cassation leur refuse, ils vont aller le chercher auprès de la Cour de justice européenne. Si elle suit son raisonnement, comme ses décisions sont d’un ordre hiérarchique supérieur au droit national, la plus haute juridiction française n’aura d’autre choix que de s’incliner. Encore faut-il trouver l’occasion de la saisir. Or les deux juges butent sur une difficulté : en France, la loi prévoit qu’au bout de deux ans les irrégularités contenues dans les contrats ne peuvent plus être soulevées devant un tribunal. On appelle cela le délai de forclusion. Une vraie peine de mort juridique, dont les deux compères doivent d’abord obtenir l’abolition.
L’opportunité attendue se présente à Vienne dans une petite affaire qui oppose un débiteur, Jean-Louis Fredout, à la société Cofidis. Etienne Rigal a découvert dans le contrat plusieurs clauses abusives, mais la signature date de janvier 1998 et l’assignation d’août 2000, les délais de contestation sont donc expirés. L’avocat de la société de crédit est tranquille, ce pinailleur de juge ne va rien pouvoir dire contre lui. A l’audience, Etienne Rigal se garde bien de lui confier ses intentions. Mais, une fois rentré chez lui, il rédige quatorze pages d’argumentation, dans lesquelles il explique qu’il ne peut pas rendre de jugement sans avoir préalablement recueilli l’avis de la Cour de justice européenne sur un point qui n’est pas clair dans la loi. Ce point est le suivant : est-il conforme à la directive européenne de protection des consommateurs que le juge national ne puisse soulever d’office une clause abusive à l’expiration du délai de forclusion ?
Dans le mémoire qu’ils rédigent à l’intention de la CJCE, les avocats de Cofidis commencent par dire tout le mal qu’ils pensent du « climat de rébellion improductif » et de la « fronde entretenue par certains juges relayés par certains syndicats et même par certains membres du Syndicat de la magistrature », avant de demander à la juridiction européenne de siffler la fin de la récréation. La Cour ne partage pas leur avis. Deux ans plus tard, le 21 novembre 2002, dans son arrêt Cofidis contre Fredout, elle répond qu’en effet la directive nationale sur le délai de forclusion n’est pas conforme à sa jurisprudence sur la nécessaire protection des consommateurs et qu’elle ne peut donc être opposée au juge. La victoire d’Etienne Rigal est totale. Dans la foulée, la loi française supprime ce délai guillotine.
« ON A FAIT PLUS QUE NOTRE PART, ON EST ALLÉ AU-DELÀ DE NOTRE BOULOT QUOTIDIEN. EN CELA, ON A ÉTÉ DE GRANDS JUGES »
On en était là, lorsque les Rampion avec leur histoire de cadres de fenêtre infestés de parasites se sont présentés devant Philippe Florès. La société de crédit qui avait accordé le prêt et qui refusait son annulation faisait valoir pour sa défense qu’elle n’était pas concernée par les déboires de menuiserie des emprunteurs. En effet, soulignait-elle, rien n’indique dans le contrat que le prêt en question serait exclusivement consacré au financement de cet investissement. En droit national, le raisonnement semblait imparable, quand bien même l’emprunt avait été signé le même jour que la commande des fenêtres et qu’il portait, à l’euro près, sur le même montant.
Voilà exactement ce que le stratège Florès espérait : une affaire qui lui permettrait de soumettre deux questions à la CJCE, la première sur la reconnaissance d’une faille dans la protection des consommateurs, qui se voient privés d’un droit de recours quand la destination du crédit n’est pas spécifiée dans le contrat. La seconde qui porte sur le droit reconnu, ou non, au juge de soulever d’office le caractère abusif d’une réglementation relative au crédit à la consommation. L’enjeu de ce deuxième point est considérable : il revient à autoriser rien moins que l’intervention du judiciaire dans ce qui, jusque-là, relevait exclusivement de l’organisation du marché.
« Il fallait voir la tête de la greffière de Royan quand je lui ai annoncé qu’on allait poser une question préjudicielle à la Cour de justice européenne ! », raconte Philippe Florès. Dix-huit mois plus tard, en octobre 2007, et en dépit de l’opposition des représentants du gouvernement français, la réponse tombe : aux deux questions, c’est oui. « Maintenant, je peux prendre ma retraite ! », écrit-il aussitôt à son complice de Vienne. « Le juge d’instance de Royan qui obtient un arrêt qui va s’appliquer non seulement au territoire national, mais à toute l’Union européenne, c’est l’anneau du pouvoir de Gollum ! », observe-t-il aujourd’hui, en ajoutant : « L’arrêt consacre aussi le rôle du juge comme un artisan indispensable à l’application de la loi destinée à protéger les justiciables. »
« On a fait plus que notre part, on est allé au-delà de notre boulot quotidien. En cela, on a été de grands juges », confirme Etienne Rigal, reprenant ainsi à son compte l’une des recommandations de la fameuse « harangue » lancée en 1974 par Oswald Baudot, membre du Syndicat de la magistrature qui a influencé des générations de magistrats.
Tsunami juridique
Dans les mois qui suivent l’arrêt de la CJCE, Philippe Florès a été invité à Bercy par la ministre de l’économie de l’époque, Christine Lagarde, et ses conseillers qui voulaient l’entendre sur leur projet de réforme du code de la consommation. Et, peu de temps après, un amendement déposé au Sénat a modifié le texte en indiquant explicitement que le juge peut soulever d’office toutes les irrégularités relevant du code de la consommation.
On connaissait l’histoire du battement d’ailes de papillon au Brésil susceptible d’entraîner une tornade au Texas. On connaît désormais celle des parasites de Royan qui ont déclenché un tsunami juridique en Europe. La part du juge dans la théorie du chaos.
LE MONDE | 02.08.2016 à 10h38 • Mis à jour le 02.08.2016 à 11h25
Ils n’ont pas vu le bonheur sur le visage du juge, ils étaient trop tendus les uns contre les autres, avec cette histoire de fenêtres à crédit qui leur gâchait la vie. Comment auraient-ils pu imaginer que l’homme qui présidait le tribunal d’instance de Saintes (Charente-Maritime) les espérait depuis longtemps ? Que là, dans cette salle d’audience, allait se jouer la première manche d’un Austerlitz juridique ?
Pour l’heure, Philippe Florès fait son métier de « petit juge ». Il les écoute patiemment déverser leurs problèmes. Max et Marie-Jeanne Rampion racontent comment, trois ans plus tôt, ils ont décidé de changer les fenêtres de leur pavillon à Royan. Le commercial qui les avait démarchés avait un bon sourire et une franche poignée de main, ils avaient signé un devis de 6 150 euros, financé via un crédit du même montant. Tout se passait pour le mieux, les délais étaient tenus. Mais, le jour de la pose, le couple découvre que le bâti destiné à accueillir les nouvelles fenêtres est infesté de parasites. Max et Marie-Jeanne Rampion demandent aussitôt de résilier le contrat et le prêt qui l’accompagne. A partir de là, tout se gâche. Au gentil commercial se substitue l’accueil glacé de l’entreprise et de la société de crédit. Vous avez signé, vous devez payer, leur dit-on. Lettres recommandées, huissiers et, pour finir, assignation devant la justice. Philippe Florès se frotte les mains. « J’étais heureux comme un enfant qui aurait attrapé la queue de Mickey ! », dit-il en souriant à l’évocation de ce moment.
Pour comprendre les raisons pour lesquelles un contentieux de fenêtres à 6 150 euros inonde de bonheur un juge très sérieux et parfaitement sain d’esprit, il faut remonter quelques années en arrière.
Philippe Florès est un de ces magistrats qui ont délibérément choisi d’exercer leur fonction au plus près des justiciables, dans les tribunaux d’instance de Niort, d’Angoulême et de Saintes, là où, dit-il, « il y a le plus besoin de droit ». Dès sa sortie de l’Ecole nationale de la magistrature, en 1990, sa confrontation avec la réalité est brutale. S’il y a bien un endroit où l’on peut évaluer l’ampleur de la crise, ce sont ces audiences d’instance où s’accumulent les affaires de crédits impayés depuis que l’inflation a disparu et que les salaires – lorsqu’il y en a - n’augmentent plus. C’est là aussi, dans cette confrontation quotidienne entre citoyens surendettés et organismes créanciers, que se mesure au plus près l’inégalité des armes entre les justiciables. Le déséquilibre est d’autant plus fort que, dans nombre de dossiers de surendettement, le crédit ne finance plus l’achat d’un écran de télévision plus grand ou d’une voiture plus puissante, mais qu’il est devenu nécessaire pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de la vie.
« LA QUESTION DERRIÈRE TOUT CELA, C’EST : QUEL EST NOTRE RÔLE ? SI ON EST LÀ SEULEMENT POUR DISTRIBUER DES TITRES DE CONDAMNATION, IL N’Y A PAS BESOIN DE JUGE »
Issu lui-même d’un milieu modeste, Philippe Florès pense que « le droit est fait pour protéger les ignorants, les imbéciles, pas ceux qui en maîtrisent les arcanes ». Les contrats que la plupart des acheteurs ne parcourent que d’un œil avant d’apposer leur signature, le juge les lit. De la première à la dernière ligne. Surtout celles qui sont écrites si petit qu’elles usent les yeux. Il connaît la loi et le code de la consommation, qui fixent des règles précises aux contrats de prêts afin de renforcer la protection des consommateurs face aux organismes de crédit. « J’avais une liste, c’était le jeu des sept erreurs », raconte Philippe Florès. La loi dit par exemple que le contrat doit être rédigé en corps 8. Que fait le juge ? Il acquiert une de ces règles graduées qu’utilisaient jadis les imprimeurs et les ouvriers typographes pour s’assurer que la consigne est respectée. Au début, lorsqu’ils le voient sortir son typomètre, les vieux routiers du barreau qui défendent les sociétés de crédit ricanent. Ils rient moins lorsque le juge constate que le contrat est irrégulier et annule les intérêts et les pénalités qu’ils exigeaient du débiteur.
Mais, s’ils pestent contre cet emmerdeur de « petit juge » – un « rouge » assurément, pensent-ils –, les plus aguerris des avocats savent que, pour l’heure, le droit est avec eux. La jurisprudence de la Cour de cassation est claire : le juge ne peut pas soulever d’office un moyen de nullité dans un contrat. Si les parties au procès ne le font pas, tant pis pour elles, le juge ne peut pas réparer un tort dont celui qui l’a subi ne se plaint pas lui-même, ni substituer sa science à leur ignorance. En appel, Philippe Florès se fait donc systématiquement rappeler à l’ordre et la cour infirme ses jugements. Au mieux, la bonne conscience qu’il s’est donnée fait gagner un peu de temps aux débiteurs, au pis, elle leur coûte plus d’argent en procédure. Ce n’est évidemment pas satisfaisant. « La question derrière tout cela, c’est : quel est notre rôle ? Si on est là seulement pour distribuer des titres de condamnation, il n’y a pas besoin de juge », observe Philippe Florès.
Comment faire tomber ce mur que la Cour de cassation dresse devant lui ? Tant qu’il est seul, Philippe Florès ne menace pas la forteresse juridique qui protège les sociétés de crédit. Il a besoin de renfort de troupes pour mener la guérilla dans d’autres points du territoire, et va les chercher auprès de ses pairs de l’Association nationale des juges d’instance. Etienne Rigal répond aussitôt présent. A Vienne (Isère), il est lui aussi confronté chaque jour au drame du surendettement. Ceux qui défilent dans son tribunal ont parfois accumulé vingt ou vingt-cinq dossiers de crédits impayés. Comme Philippe Florès, il ne se résout pas à l’impuissance et traque les nullités dans les contrats, pour prononcer l’effacement des intérêts et des pénalités. Comme lui, il est maudit par les sociétés de crédit qui font des pieds et des mains pour tenter de lui échapper et faire juger leurs dossiers par un de ses collègues d’un tribunal voisin, beaucoup plus respectueux des contraintes de la loi et donc de leurs intérêts.
Caractère abusif d’une clause
Les lecteurs d’Emmanuel Carrère connaissent la suite, qui ont rencontré Florès, le fils d’ouvrier, et Rigal, le fils de bourgeois atteint d’un cancer à 18 ans auquel il doit l’amputation d’une jambe, parmi les personnages de son livre D’autres vies que la mienne (éditions P.O.L., 2009). A eux deux, ces petits juges d’instance vont mener une offensive victorieuse contre la toute-puissance des sociétés de crédit et bouleverser le droit de la consommation. Leur arme : le droit, rien que le droit. En écumant les revues juridiques, Etienne Rigal tombe en octobre 2000 sur un arrêt de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) – renommée Cour de justice de l’Union européenne en 2009 – rendu à propos d’une affaire de clause abusive en Espagne. La Cour est catégorique : après avoir rappelé que, dans les litiges relatifs à un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, ce dernier se trouve de facto dans une situation d’infériorité, elle conclut qu’une « protection efficace du consommateur ne peut être atteinte que si le juge national se voit reconnaître la faculté d’apprécier d’office le caractère abusif d’une clause ».
Une faille s’est donc ouverte dans laquelle Etienne Rigal et Philippe Florès s’engouffrent. Ce que la Cour de cassation leur refuse, ils vont aller le chercher auprès de la Cour de justice européenne. Si elle suit son raisonnement, comme ses décisions sont d’un ordre hiérarchique supérieur au droit national, la plus haute juridiction française n’aura d’autre choix que de s’incliner. Encore faut-il trouver l’occasion de la saisir. Or les deux juges butent sur une difficulté : en France, la loi prévoit qu’au bout de deux ans les irrégularités contenues dans les contrats ne peuvent plus être soulevées devant un tribunal. On appelle cela le délai de forclusion. Une vraie peine de mort juridique, dont les deux compères doivent d’abord obtenir l’abolition.
L’opportunité attendue se présente à Vienne dans une petite affaire qui oppose un débiteur, Jean-Louis Fredout, à la société Cofidis. Etienne Rigal a découvert dans le contrat plusieurs clauses abusives, mais la signature date de janvier 1998 et l’assignation d’août 2000, les délais de contestation sont donc expirés. L’avocat de la société de crédit est tranquille, ce pinailleur de juge ne va rien pouvoir dire contre lui. A l’audience, Etienne Rigal se garde bien de lui confier ses intentions. Mais, une fois rentré chez lui, il rédige quatorze pages d’argumentation, dans lesquelles il explique qu’il ne peut pas rendre de jugement sans avoir préalablement recueilli l’avis de la Cour de justice européenne sur un point qui n’est pas clair dans la loi. Ce point est le suivant : est-il conforme à la directive européenne de protection des consommateurs que le juge national ne puisse soulever d’office une clause abusive à l’expiration du délai de forclusion ?
Dans le mémoire qu’ils rédigent à l’intention de la CJCE, les avocats de Cofidis commencent par dire tout le mal qu’ils pensent du « climat de rébellion improductif » et de la « fronde entretenue par certains juges relayés par certains syndicats et même par certains membres du Syndicat de la magistrature », avant de demander à la juridiction européenne de siffler la fin de la récréation. La Cour ne partage pas leur avis. Deux ans plus tard, le 21 novembre 2002, dans son arrêt Cofidis contre Fredout, elle répond qu’en effet la directive nationale sur le délai de forclusion n’est pas conforme à sa jurisprudence sur la nécessaire protection des consommateurs et qu’elle ne peut donc être opposée au juge. La victoire d’Etienne Rigal est totale. Dans la foulée, la loi française supprime ce délai guillotine.
« ON A FAIT PLUS QUE NOTRE PART, ON EST ALLÉ AU-DELÀ DE NOTRE BOULOT QUOTIDIEN. EN CELA, ON A ÉTÉ DE GRANDS JUGES »
On en était là, lorsque les Rampion avec leur histoire de cadres de fenêtre infestés de parasites se sont présentés devant Philippe Florès. La société de crédit qui avait accordé le prêt et qui refusait son annulation faisait valoir pour sa défense qu’elle n’était pas concernée par les déboires de menuiserie des emprunteurs. En effet, soulignait-elle, rien n’indique dans le contrat que le prêt en question serait exclusivement consacré au financement de cet investissement. En droit national, le raisonnement semblait imparable, quand bien même l’emprunt avait été signé le même jour que la commande des fenêtres et qu’il portait, à l’euro près, sur le même montant.
Voilà exactement ce que le stratège Florès espérait : une affaire qui lui permettrait de soumettre deux questions à la CJCE, la première sur la reconnaissance d’une faille dans la protection des consommateurs, qui se voient privés d’un droit de recours quand la destination du crédit n’est pas spécifiée dans le contrat. La seconde qui porte sur le droit reconnu, ou non, au juge de soulever d’office le caractère abusif d’une réglementation relative au crédit à la consommation. L’enjeu de ce deuxième point est considérable : il revient à autoriser rien moins que l’intervention du judiciaire dans ce qui, jusque-là, relevait exclusivement de l’organisation du marché.
« Il fallait voir la tête de la greffière de Royan quand je lui ai annoncé qu’on allait poser une question préjudicielle à la Cour de justice européenne ! », raconte Philippe Florès. Dix-huit mois plus tard, en octobre 2007, et en dépit de l’opposition des représentants du gouvernement français, la réponse tombe : aux deux questions, c’est oui. « Maintenant, je peux prendre ma retraite ! », écrit-il aussitôt à son complice de Vienne. « Le juge d’instance de Royan qui obtient un arrêt qui va s’appliquer non seulement au territoire national, mais à toute l’Union européenne, c’est l’anneau du pouvoir de Gollum ! », observe-t-il aujourd’hui, en ajoutant : « L’arrêt consacre aussi le rôle du juge comme un artisan indispensable à l’application de la loi destinée à protéger les justiciables. »
« On a fait plus que notre part, on est allé au-delà de notre boulot quotidien. En cela, on a été de grands juges », confirme Etienne Rigal, reprenant ainsi à son compte l’une des recommandations de la fameuse « harangue » lancée en 1974 par Oswald Baudot, membre du Syndicat de la magistrature qui a influencé des générations de magistrats.
Tsunami juridique
Dans les mois qui suivent l’arrêt de la CJCE, Philippe Florès a été invité à Bercy par la ministre de l’économie de l’époque, Christine Lagarde, et ses conseillers qui voulaient l’entendre sur leur projet de réforme du code de la consommation. Et, peu de temps après, un amendement déposé au Sénat a modifié le texte en indiquant explicitement que le juge peut soulever d’office toutes les irrégularités relevant du code de la consommation.
On connaissait l’histoire du battement d’ailes de papillon au Brésil susceptible d’entraîner une tornade au Texas. On connaît désormais celle des parasites de Royan qui ont déclenché un tsunami juridique en Europe. La part du juge dans la théorie du chaos.
père autiste d'une fille autiste "Asperger" de 41 ans
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Pas de braderie à Lille cette année ...
https://m6info.yahoo.com/la-braderie-de ... 93654.html
Et plus de peur que de mal !
https://m6info.yahoo.com/italie-un-avio ... html?nhp=1
https://m6info.yahoo.com/la-braderie-de ... 93654.html
Et plus de peur que de mal !
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Aspi.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
La fin de la série judiciaire de Pascale Robert-Diard
Quand la basse-cour entre au prétoire
LE MONDE | 06.08.2016 | Par Pascale Robert-Diard
On ne saurait clore une enquête sur la « part du juge » sans rendre hommage à celle qu’il consacre chaque jour aux picrocholines querelles de ses concitoyens. Pour une haie trop haute, un mur qui ne l’est pas assez, une ombre trop épaisse, des cloisons trop fines, des enfants turbulents et mille autres contrariétés, tout ce que le pays compte de voisins belliqueux vient se déverser au tribunal. Des très longues heures passées à les écouter se déchirer, à supporter des plaidoiries dont l’intérêt et la longueur sont inversement proportionnels à l’intérêt de la cause qu’elles défendent, à tenter d’évaluer le seuil tolérable du niveau de décibels d’un aboiement de chien, d’une cloche de vache ou d’un carillon d’église, du coassement printanier des grenouilles ou du caquètement des poules, naissent parfois des jugements savoureux, qui font le régal des connaisseurs et vengent de l’ennui du quotidien judiciaire. La justice, c’est parfois aussi cela : offrir la ciselure d’une décision en réponse aux esprits échauffés des justiciables.
Prenons l’histoire du couple P., qui ne supporte plus le coq des époux G. et sa fâcheuse habitude d’élire domicile dans l’étroit passage qui sépare leurs deux maisons. Le conflit s’envenime lorsque, rendus inconsolables par la mort suspecte de leur coq, les époux G. lui trouvent aussitôt un successeur plus jeune et encore plus vigoureux. L’affaire vient devant le tribunal, les juges écoutent les plaignants d’un air las et décident de laisser le coq chanter. Les P. font appel et la cour de Dijon est à son tour saisie de leurs nuits sans sommeil. Bien leur en prend, car l’oreille du président s’avère plus délicate que celle de ses pairs du tribunal.
Poulailler bruyant et malodorant
Le 2 avril 1987, il rend la décision de paix suivante :
« Attendu qu’il résulte de plusieurs attestations et de constats d’huissier qu’à des heures matinales, réservées d’ordinaire à un repos bien mérité, le volatile des époux G. coquerique toutes les dix ou vingt secondes avec une régularité, une vaillance et une persévérance qui seraient dignes d’admiration en toutes circonstances (…) Attendu que la Cour se doit de rendre aux époux P., autant qu’il est possible, cette tranquillité qui, sans la méchanceté des hommes, ferait l’agrément d’une vie rurale, mais sans attenter à l’existence d’un animal innocent ni priver les époux G. d’une compagnie qu’ils semblent affectionner ; que la solution du dilemme consistera à éloigner le coq de son territoire actuel où son chant prend une ampleur excessive, en enjoignant aux propriétaires de le maintenir derrière leur habitation ; que l’on est en droit d’espérer en outre qu’ainsi placé dans un cadre plus aimable et pour tout dire moins carcéral le volatile n’éprouvera plus le besoin de s’exprimer avec autant d’impétuosité. »
Bonne fille, la justice accorde un délai de quinze jours aux époux G. pour éloigner leur coq.
Plus fameuse encore est la décision prononcée le 7 septembre 1995 par la cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme) dans une affaire qui opposait deux habitants du village de Sallèdes, le premier reprochant au second la trop grande proximité d’un poulailler bruyant et malodorant. Saisi de la querelle, le tribunal de l’industrieuse Clermont-Ferrand avait donné raison aux plaignants et ordonné la destruction dudit poulailler. Le président de la cour de Riom a contredit ses collègues en leur délivrant une leçon de ruralité.
« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Sallèdes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme. » Et d’infirmer donc le premier jugement.
« Sans remords »
Les tribunaux d’instance et leurs modestes causes ne sont pas les seuls à donner envie aux juges de se venger des chicanes qui leur sont soumises. Avant de quitter ce salon des vanités froissées qu’est parfois la 17e chambre du tribunal de Paris où il avait siégé pendant sept ans, le juge Joël Boyer a saisi l’occasion d’une dernière affaire pour rendre un jugement qui valait revanche sur les heures passées à feuilleter les magazines people et à visionner des émissions stupides à la recherche de la considération perdue ou de l’honneur bafoué de telle ou telle personnalité. L’histoire en cause opposait une starlette de la télé-réalité au magazine people Oops, qui s’était autorisé à publier des reproductions photo petit format des ébats sexuels entre la jeune femme et son petit ami sous le titre « Léo : c’est lui qui a vendu sa sextape avec Emilie ! »
Dans le cruel jugement prononcé en juin 2011, le juge Joël Boyer présente d’abord les deux héros de ce mélodrame amoureux : « Emilie et Léo sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de télé-réalité intitulé par antiphrase Secret Story (Saison 3), où il n’y a ni secret ni histoire. » Il se livre ensuite à une analyse sociologique du téléspectateur, qui « finit par s’attacher aux créatures qu’il contemple, comme l’entomologiste à l’insecte, l’émission ne cessant que lorsque l’ennui l’emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse. Mais un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Alors, sevrés du programme télé qui s’achève, les aficionados se ruent sur les gazettes, sûrs qu’elles sauront entretenir aussi durablement que possible le feuilleton du rien, passion toujours inassouvie des sociétés contemporaines. Les cobayes, trop heureux de voir quelques flashs qui crépitent encore, et désormais adeptes de l’exposition de soi, courent de l’une à l’autre, comme un canard sans tête, accordant interviews ou posant pour des photos. »
EN LIEU ET PLACE DES 20 000 EUROS QU’ELLE EXIGE, LE JUGE CONSIDÈRE QU’UN EURO DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS SUFFIRA À « RÉPARER CE QUI EST RÉPARABLE » DANS LE PEU QU’IL RESTE DE L’INTIMITÉ DE LADITE EMILIE
Ces préliminaires posés, le juge s’attelle à son devoir de rendre justice. La tâche est rude, souligne-t-il, puisqu’il lui faut distinguer « le vrai du faux, la part du jeu et de l’argent et celle des indignations sincères, ce que montre le miroir et ce qui se joue non loin, la caverne et les ombres ». Etudiant les arguments présentés en défense par le magazine, qui évoquent l’impérieuse nécessité de l’« actualité » et s’abritent derrière la « délicatesse » d’une mise en scène – un « flouté » pudique jeté sur des photos obscènes – pour justifier leur choix de publication, Joël Boyer n’y voit rien de vraiment convaincant. C’est donc « la main tremblante mais sans remords » qu’il décide de condamner le journal, en considérant qu’il a porté atteinte à la vie privée et au droit de la plaignante à voir respectée l’intimité de sa sexualité.
Reste à évaluer le montant du préjudice subi. Celui-ci, rappelle le juge Boyer, ne doit pas s’apprécier « au regard de la publicité » recherchée par la victime, mais à l’aune « des valeurs que le droit protège ». En lieu et place des 20 000 euros qu’elle exige, le juge considère qu’un euro de dommages et intérêts suffira à « réparer ce qui est réparable » dans le peu qu’il reste de l’intimité de ladite Emilie.
Les lois supérieures de la biologie
Il arrive aussi qu’une de ces affaires d’apparence anodine offre au juge l’opportune occasion de régler quelques comptes avec les lois qu’il est chargé d’appliquer. Les lecteurs de cette série connaissent désormais le « bon juge » Paul Magnaud et sa riche contribution à l’œuvre de justice. Un an après avoir prononcé l’acquittement de la jeune voleuse de pain qui l’a rendu célèbre, le président du tribunal de Château-Thierry (Aisne) voit comparaître devant lui, au printemps 1899, trois hommes accusés d’un vol de grenouilles.
Les délinquants sont des pères de famille qui gagnent trois sous en vendant leur pêche miraculeuse aux amateurs de cuisses de batraciens. Le plaignant est le propriétaire de l’étang. Magnaud est ennuyé : comment faire preuve d’indulgence alors que les faits sont établis et que le procureur, en féroce garant de la loi et de l’ordre établi, a rappelé que la propriété est un droit sacré qu’il convient de protéger ? Magnaud trouve la solution. Il délaisse les rigueurs du code pénal au profit des lois supérieures de la biologie.
« Attendu que la grenouille est un animal amphibie, séjournant beaucoup plus sur terre qu’au fond des eaux et se déplaçant facilement. Qu’elle est d’humeur vagabonde, surtout à certaines époques de l’année. Qu’on la rencontre souvent dans certains endroits simplement humides, loin des rivières et des étangs. Qu’elle circule de marécage en marécage et de fossé en fossé, passant ainsi de la propriété de l’un dans la propriété de l’autre. Qu’à la différence du poisson qui n’est susceptible de vivre que dans l’eau et ne peut sortir de l’étang où il a été apporté et en quelque sorte emprisonné par le propriétaire, la grenouille naît dans ce même étang et s’y développe sans que le propriétaire n’ait rien fait pour l’y attirer et ne puisse rien faire pour l’y retenir. »
Le bon juge en conclut « qu’aucun droit de propriété ne saurait être assis sur un animal aussi nomade, lequel doit être considéré comme res nullius ». La démonstration est juridiquement implacable, cette « chose sans maître » ne saurait donc faire l’objet d’un vol. Magnaud ne retient contre les accusés qu’un simple délit de pêche et les condamne à un franc d’amende. La morale de l’histoire n’aurait pas déplu au plus célèbre natif de Château-Thierry, Jean de La Fontaine, avocat de formation et critique s’il en est d’une justice plus douce aux puissants qu’aux misérables.
« Un métier dangereux. Dangereux pour les autres »
Laissons les grenouilles de Magnaud, la poule de Riom ou même les canards sans tête de Joël Boyer retourner dans les rayonnages de « l’Enfer » ou du « Purgatoire » de la littérature judiciaire pour revenir à de plus sages considérations. Le 4 février 2016 à Bordeaux, 366 auditeurs de justice – la promotion la plus importante de l’Ecole nationale de la magistrature depuis 1958 – ont prêté serment de « bien et fidèlement remplir » leurs fonctions et de se « conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
Lors de cette audience solennelle, les futurs juges ont reçu du premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, une mise en garde contre « la connotation parfois trop teintée d’individualisme chez le juge judiciaire ».
« Dans le quotidien de votre action, a-t-il ajouté, il vous faudra demeurer à l’écoute des réalités pour offrir à tous la garantie d’un accueil équilibré, à égale distance des intérêts en présence, en chassant toute forme de préjugé construit ou spontané de votre esprit et avec le souci constant de la primauté du droit. C’est en vous tenant au plus près de ces réalités humaines que vous rencontrerez la satisfaction la plus forte que vous puissiez espérer : la justification de soi-même éprouvée par celui ou celle qui s’est dévoué avec droiture et humanité au bien collectif. »
Avant d’affronter l’insatiable appétit de justice de leurs concitoyens, les 366 futurs juges pourront méditer la recommandation autrement plus éloquente et rude que le grand magistrat Pierre Truche avait livrée à leurs aînés : « Vous allez exercer un métier dangereux. Dangereux pour les autres. N’oubliez jamais ça. »
Fin
Popinot contre Camusot, les deux figures du juge balzacien
De tous les romans mettant en scène des magistrats, L’Interdiction, de Balzac, est l’un de ceux qui traduisent le mieux la part du juge dans les décisions de justice. Jean-Jules Popinot et Camusot sont deux figures que tout oppose. Le premier est un modeste magistrat, au physique ingrat, que l’exercice de ses fonctions a rendu plus repoussant encore. « Quiconque a fréquenté le Palais de justice à Paris, endroit où s’observent toutes les variétés du vêtement noir, pourra se figurer la tournure de M. Popinot. L’habitude de siéger pendant des journées entières modifie beaucoup le corps, de même que l’ennui causé par d’interminables plaidoyers agit sur la physionomie des magistrats. Enfermé dans des salles ridiculement étroites, sans majesté d’architecture et où l’air est promptement vicié, le juge parisien prend forcément un visage renfrogné, grimé par l’attention, attristé par l’ennui ; son teint s’étiole, contracte des teintes ou verdâtres ou terreuses, suivant le tempérament de l’individu. Enfin, dans un temps donné, le plus florissant jeune homme devient une pâle machine à considérants, une mécanique appliquant le Code sur tous les cas avec le flegme des volants d’une horloge. »
Mais, sous sa lugubre apparence, Jean-Jules Popinot est un magistrat qui se fait une haute idée de sa fonction. « Frappé des injustices profondes qui couronnaient ces luttes où tout dessert l’honnête homme, où tout profite aux fripons, il concluait souvent contre le droit en faveur de l’équité. La bonté de son cœur le mettait constamment à la torture, et il était pris entre sa conscience et sa pitié comme dans un étau. Il passa donc parmi ses collègues pour un esprit peu pratique. » Hors du palais, Popinot est un citoyen qui se consacre secrètement aux œuvres de bienfaisance, donnant audience chaque matin chez lui, à tous les indigents du quartier. « Pour achever ce portrait, il suffira d’ajouter que Popinot était du petit nombre des juges du tribunal de la Seine auxquels la décoration de la Légion d’honneur n’avait pas été donnée. »
Lorsque en 1828, la jeune et jolie marquise d’Espard – elle avait « trente-trois ans sur les registres de l’état civil, et vingt-deux ans le soir dans un salon » – demande à la justice la mise sous tutelle de son riche et vieux mari, dont elle vit séparée mais qu’elle accuse de dilapider sa fortune au profit d’une famille inconnue, la malchance pour elle veut que Jean-Jules Popinot soit chargé d’instruire son affaire. « Elle avait compté sur quelque magistrat ambitieux, elle rencontrait un homme de conscience. » Il ne tarde pas à percer les mensonges et la voracité de la marquise et à comprendre que celui dont elle exige « l’interdiction » en le faisant passer pour dément est en réalité un homme d’honneur, parfaitement sain d’esprit. Popinot découvre les vraies raisons qui le poussent à se séparer de sa fortune : ayant appris l’origine trouble de son patrimoine, le marquis avait décidé de consacrer le reste de son existence à rendre à la famille protestante que ses ancêtres avaient dépouillée deux siècles plus tôt, les biens dont il estimait avoir injustement hérité.
Alors qu’il s’apprête à rendre son rapport rejetant la demande de mise sous tutelle du vieux marquis, Jean-Jules Popinot est convoqué par le président du tribunal qui, sous un prétexte fallacieux, exige qu’il lui donne sa récusation et lui annonce que son remplaçant est déjà nommé. En voyant Camusot s’avancer pour saluer le président, « Popinot ne put retenir un sourire ironique. Ce jeune homme blond et pâle, plein d’ambition cachée, semblait prêt à pendre et à dépendre, au bon plaisir des rois de la terre, les innocents aussi bien que les coupables. »
Quand la basse-cour entre au prétoire
LE MONDE | 06.08.2016 | Par Pascale Robert-Diard
On ne saurait clore une enquête sur la « part du juge » sans rendre hommage à celle qu’il consacre chaque jour aux picrocholines querelles de ses concitoyens. Pour une haie trop haute, un mur qui ne l’est pas assez, une ombre trop épaisse, des cloisons trop fines, des enfants turbulents et mille autres contrariétés, tout ce que le pays compte de voisins belliqueux vient se déverser au tribunal. Des très longues heures passées à les écouter se déchirer, à supporter des plaidoiries dont l’intérêt et la longueur sont inversement proportionnels à l’intérêt de la cause qu’elles défendent, à tenter d’évaluer le seuil tolérable du niveau de décibels d’un aboiement de chien, d’une cloche de vache ou d’un carillon d’église, du coassement printanier des grenouilles ou du caquètement des poules, naissent parfois des jugements savoureux, qui font le régal des connaisseurs et vengent de l’ennui du quotidien judiciaire. La justice, c’est parfois aussi cela : offrir la ciselure d’une décision en réponse aux esprits échauffés des justiciables.
Prenons l’histoire du couple P., qui ne supporte plus le coq des époux G. et sa fâcheuse habitude d’élire domicile dans l’étroit passage qui sépare leurs deux maisons. Le conflit s’envenime lorsque, rendus inconsolables par la mort suspecte de leur coq, les époux G. lui trouvent aussitôt un successeur plus jeune et encore plus vigoureux. L’affaire vient devant le tribunal, les juges écoutent les plaignants d’un air las et décident de laisser le coq chanter. Les P. font appel et la cour de Dijon est à son tour saisie de leurs nuits sans sommeil. Bien leur en prend, car l’oreille du président s’avère plus délicate que celle de ses pairs du tribunal.
Poulailler bruyant et malodorant
Le 2 avril 1987, il rend la décision de paix suivante :
« Attendu qu’il résulte de plusieurs attestations et de constats d’huissier qu’à des heures matinales, réservées d’ordinaire à un repos bien mérité, le volatile des époux G. coquerique toutes les dix ou vingt secondes avec une régularité, une vaillance et une persévérance qui seraient dignes d’admiration en toutes circonstances (…) Attendu que la Cour se doit de rendre aux époux P., autant qu’il est possible, cette tranquillité qui, sans la méchanceté des hommes, ferait l’agrément d’une vie rurale, mais sans attenter à l’existence d’un animal innocent ni priver les époux G. d’une compagnie qu’ils semblent affectionner ; que la solution du dilemme consistera à éloigner le coq de son territoire actuel où son chant prend une ampleur excessive, en enjoignant aux propriétaires de le maintenir derrière leur habitation ; que l’on est en droit d’espérer en outre qu’ainsi placé dans un cadre plus aimable et pour tout dire moins carcéral le volatile n’éprouvera plus le besoin de s’exprimer avec autant d’impétuosité. »
Bonne fille, la justice accorde un délai de quinze jours aux époux G. pour éloigner leur coq.
Plus fameuse encore est la décision prononcée le 7 septembre 1995 par la cour d’appel de Riom (Puy-de-Dôme) dans une affaire qui opposait deux habitants du village de Sallèdes, le premier reprochant au second la trop grande proximité d’un poulailler bruyant et malodorant. Saisi de la querelle, le tribunal de l’industrieuse Clermont-Ferrand avait donné raison aux plaignants et ordonné la destruction dudit poulailler. Le président de la cour de Riom a contredit ses collègues en leur délivrant une leçon de ruralité.
« Attendu que la poule est un animal anodin et stupide, au point que nul n’est encore parvenu à le dresser, pas même un cirque chinois ; que son voisinage comporte beaucoup de silence, quelques tendres gloussements et des caquètements qui vont du joyeux (ponte d’un œuf) au serein (dégustation d’un ver de terre) en passant par l’affolé (vue d’un renard) ; que ce paisible voisinage n’a jamais incommodé que ceux qui, pour d’autres motifs, nourrissent du courroux à l’égard des propriétaires de ces gallinacés ; que la cour ne jugera pas que le bateau importune le marin, la farine le boulanger, le violon le chef d’orchestre, et la poule un habitant du lieu-dit La Rochette, village de Sallèdes (402 âmes) dans le département du Puy-de-Dôme. » Et d’infirmer donc le premier jugement.
« Sans remords »
Les tribunaux d’instance et leurs modestes causes ne sont pas les seuls à donner envie aux juges de se venger des chicanes qui leur sont soumises. Avant de quitter ce salon des vanités froissées qu’est parfois la 17e chambre du tribunal de Paris où il avait siégé pendant sept ans, le juge Joël Boyer a saisi l’occasion d’une dernière affaire pour rendre un jugement qui valait revanche sur les heures passées à feuilleter les magazines people et à visionner des émissions stupides à la recherche de la considération perdue ou de l’honneur bafoué de telle ou telle personnalité. L’histoire en cause opposait une starlette de la télé-réalité au magazine people Oops, qui s’était autorisé à publier des reproductions photo petit format des ébats sexuels entre la jeune femme et son petit ami sous le titre « Léo : c’est lui qui a vendu sa sextape avec Emilie ! »
Dans le cruel jugement prononcé en juin 2011, le juge Joël Boyer présente d’abord les deux héros de ce mélodrame amoureux : « Emilie et Léo sont deux intrépides aventuriers de la médiatisation télévisée ayant illustré les meilleures heures du programme de télé-réalité intitulé par antiphrase Secret Story (Saison 3), où il n’y a ni secret ni histoire. » Il se livre ensuite à une analyse sociologique du téléspectateur, qui « finit par s’attacher aux créatures qu’il contemple, comme l’entomologiste à l’insecte, l’émission ne cessant que lorsque l’ennui l’emporte, ce qui advient inéluctablement, comme une audience qui baisse. Mais un seul être vous manque et tout est dépeuplé. Alors, sevrés du programme télé qui s’achève, les aficionados se ruent sur les gazettes, sûrs qu’elles sauront entretenir aussi durablement que possible le feuilleton du rien, passion toujours inassouvie des sociétés contemporaines. Les cobayes, trop heureux de voir quelques flashs qui crépitent encore, et désormais adeptes de l’exposition de soi, courent de l’une à l’autre, comme un canard sans tête, accordant interviews ou posant pour des photos. »
EN LIEU ET PLACE DES 20 000 EUROS QU’ELLE EXIGE, LE JUGE CONSIDÈRE QU’UN EURO DE DOMMAGES ET INTÉRÊTS SUFFIRA À « RÉPARER CE QUI EST RÉPARABLE » DANS LE PEU QU’IL RESTE DE L’INTIMITÉ DE LADITE EMILIE
Ces préliminaires posés, le juge s’attelle à son devoir de rendre justice. La tâche est rude, souligne-t-il, puisqu’il lui faut distinguer « le vrai du faux, la part du jeu et de l’argent et celle des indignations sincères, ce que montre le miroir et ce qui se joue non loin, la caverne et les ombres ». Etudiant les arguments présentés en défense par le magazine, qui évoquent l’impérieuse nécessité de l’« actualité » et s’abritent derrière la « délicatesse » d’une mise en scène – un « flouté » pudique jeté sur des photos obscènes – pour justifier leur choix de publication, Joël Boyer n’y voit rien de vraiment convaincant. C’est donc « la main tremblante mais sans remords » qu’il décide de condamner le journal, en considérant qu’il a porté atteinte à la vie privée et au droit de la plaignante à voir respectée l’intimité de sa sexualité.
Reste à évaluer le montant du préjudice subi. Celui-ci, rappelle le juge Boyer, ne doit pas s’apprécier « au regard de la publicité » recherchée par la victime, mais à l’aune « des valeurs que le droit protège ». En lieu et place des 20 000 euros qu’elle exige, le juge considère qu’un euro de dommages et intérêts suffira à « réparer ce qui est réparable » dans le peu qu’il reste de l’intimité de ladite Emilie.
Les lois supérieures de la biologie
Il arrive aussi qu’une de ces affaires d’apparence anodine offre au juge l’opportune occasion de régler quelques comptes avec les lois qu’il est chargé d’appliquer. Les lecteurs de cette série connaissent désormais le « bon juge » Paul Magnaud et sa riche contribution à l’œuvre de justice. Un an après avoir prononcé l’acquittement de la jeune voleuse de pain qui l’a rendu célèbre, le président du tribunal de Château-Thierry (Aisne) voit comparaître devant lui, au printemps 1899, trois hommes accusés d’un vol de grenouilles.
Les délinquants sont des pères de famille qui gagnent trois sous en vendant leur pêche miraculeuse aux amateurs de cuisses de batraciens. Le plaignant est le propriétaire de l’étang. Magnaud est ennuyé : comment faire preuve d’indulgence alors que les faits sont établis et que le procureur, en féroce garant de la loi et de l’ordre établi, a rappelé que la propriété est un droit sacré qu’il convient de protéger ? Magnaud trouve la solution. Il délaisse les rigueurs du code pénal au profit des lois supérieures de la biologie.
« Attendu que la grenouille est un animal amphibie, séjournant beaucoup plus sur terre qu’au fond des eaux et se déplaçant facilement. Qu’elle est d’humeur vagabonde, surtout à certaines époques de l’année. Qu’on la rencontre souvent dans certains endroits simplement humides, loin des rivières et des étangs. Qu’elle circule de marécage en marécage et de fossé en fossé, passant ainsi de la propriété de l’un dans la propriété de l’autre. Qu’à la différence du poisson qui n’est susceptible de vivre que dans l’eau et ne peut sortir de l’étang où il a été apporté et en quelque sorte emprisonné par le propriétaire, la grenouille naît dans ce même étang et s’y développe sans que le propriétaire n’ait rien fait pour l’y attirer et ne puisse rien faire pour l’y retenir. »
Le bon juge en conclut « qu’aucun droit de propriété ne saurait être assis sur un animal aussi nomade, lequel doit être considéré comme res nullius ». La démonstration est juridiquement implacable, cette « chose sans maître » ne saurait donc faire l’objet d’un vol. Magnaud ne retient contre les accusés qu’un simple délit de pêche et les condamne à un franc d’amende. La morale de l’histoire n’aurait pas déplu au plus célèbre natif de Château-Thierry, Jean de La Fontaine, avocat de formation et critique s’il en est d’une justice plus douce aux puissants qu’aux misérables.
« Un métier dangereux. Dangereux pour les autres »
Laissons les grenouilles de Magnaud, la poule de Riom ou même les canards sans tête de Joël Boyer retourner dans les rayonnages de « l’Enfer » ou du « Purgatoire » de la littérature judiciaire pour revenir à de plus sages considérations. Le 4 février 2016 à Bordeaux, 366 auditeurs de justice – la promotion la plus importante de l’Ecole nationale de la magistrature depuis 1958 – ont prêté serment de « bien et fidèlement remplir » leurs fonctions et de se « conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
Lors de cette audience solennelle, les futurs juges ont reçu du premier président de la Cour de cassation, Bertrand Louvel, une mise en garde contre « la connotation parfois trop teintée d’individualisme chez le juge judiciaire ».
« Dans le quotidien de votre action, a-t-il ajouté, il vous faudra demeurer à l’écoute des réalités pour offrir à tous la garantie d’un accueil équilibré, à égale distance des intérêts en présence, en chassant toute forme de préjugé construit ou spontané de votre esprit et avec le souci constant de la primauté du droit. C’est en vous tenant au plus près de ces réalités humaines que vous rencontrerez la satisfaction la plus forte que vous puissiez espérer : la justification de soi-même éprouvée par celui ou celle qui s’est dévoué avec droiture et humanité au bien collectif. »
Avant d’affronter l’insatiable appétit de justice de leurs concitoyens, les 366 futurs juges pourront méditer la recommandation autrement plus éloquente et rude que le grand magistrat Pierre Truche avait livrée à leurs aînés : « Vous allez exercer un métier dangereux. Dangereux pour les autres. N’oubliez jamais ça. »
Fin
Popinot contre Camusot, les deux figures du juge balzacien
De tous les romans mettant en scène des magistrats, L’Interdiction, de Balzac, est l’un de ceux qui traduisent le mieux la part du juge dans les décisions de justice. Jean-Jules Popinot et Camusot sont deux figures que tout oppose. Le premier est un modeste magistrat, au physique ingrat, que l’exercice de ses fonctions a rendu plus repoussant encore. « Quiconque a fréquenté le Palais de justice à Paris, endroit où s’observent toutes les variétés du vêtement noir, pourra se figurer la tournure de M. Popinot. L’habitude de siéger pendant des journées entières modifie beaucoup le corps, de même que l’ennui causé par d’interminables plaidoyers agit sur la physionomie des magistrats. Enfermé dans des salles ridiculement étroites, sans majesté d’architecture et où l’air est promptement vicié, le juge parisien prend forcément un visage renfrogné, grimé par l’attention, attristé par l’ennui ; son teint s’étiole, contracte des teintes ou verdâtres ou terreuses, suivant le tempérament de l’individu. Enfin, dans un temps donné, le plus florissant jeune homme devient une pâle machine à considérants, une mécanique appliquant le Code sur tous les cas avec le flegme des volants d’une horloge. »
Mais, sous sa lugubre apparence, Jean-Jules Popinot est un magistrat qui se fait une haute idée de sa fonction. « Frappé des injustices profondes qui couronnaient ces luttes où tout dessert l’honnête homme, où tout profite aux fripons, il concluait souvent contre le droit en faveur de l’équité. La bonté de son cœur le mettait constamment à la torture, et il était pris entre sa conscience et sa pitié comme dans un étau. Il passa donc parmi ses collègues pour un esprit peu pratique. » Hors du palais, Popinot est un citoyen qui se consacre secrètement aux œuvres de bienfaisance, donnant audience chaque matin chez lui, à tous les indigents du quartier. « Pour achever ce portrait, il suffira d’ajouter que Popinot était du petit nombre des juges du tribunal de la Seine auxquels la décoration de la Légion d’honneur n’avait pas été donnée. »
Lorsque en 1828, la jeune et jolie marquise d’Espard – elle avait « trente-trois ans sur les registres de l’état civil, et vingt-deux ans le soir dans un salon » – demande à la justice la mise sous tutelle de son riche et vieux mari, dont elle vit séparée mais qu’elle accuse de dilapider sa fortune au profit d’une famille inconnue, la malchance pour elle veut que Jean-Jules Popinot soit chargé d’instruire son affaire. « Elle avait compté sur quelque magistrat ambitieux, elle rencontrait un homme de conscience. » Il ne tarde pas à percer les mensonges et la voracité de la marquise et à comprendre que celui dont elle exige « l’interdiction » en le faisant passer pour dément est en réalité un homme d’honneur, parfaitement sain d’esprit. Popinot découvre les vraies raisons qui le poussent à se séparer de sa fortune : ayant appris l’origine trouble de son patrimoine, le marquis avait décidé de consacrer le reste de son existence à rendre à la famille protestante que ses ancêtres avaient dépouillée deux siècles plus tôt, les biens dont il estimait avoir injustement hérité.
Alors qu’il s’apprête à rendre son rapport rejetant la demande de mise sous tutelle du vieux marquis, Jean-Jules Popinot est convoqué par le président du tribunal qui, sous un prétexte fallacieux, exige qu’il lui donne sa récusation et lui annonce que son remplaçant est déjà nommé. En voyant Camusot s’avancer pour saluer le président, « Popinot ne put retenir un sourire ironique. Ce jeune homme blond et pâle, plein d’ambition cachée, semblait prêt à pendre et à dépendre, au bon plaisir des rois de la terre, les innocents aussi bien que les coupables. »
père autiste d'une fille autiste "Asperger" de 41 ans
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Je fais jeune et j’en ai assez de devoir me justifier en permanence
Au quotidien, faire jeune est juste extrêmement dérangeant. On n’est pas pris au sérieux ou pas respecté comme il se doit.
Vieux geek non diagnostiqué
CIM10 F84
Insight Aspie (?) +Aphantasie, prosopagnosie, écholalie, mutisme électif....
Fan de super héros, Daredevil le pygmalion de mon fonctionnement social
Mes doigts sur un clavier communiquent plus de mots que ma bouche...
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
La jeunesse éternelle !
Le point positif de se sentir jeune lorsque le chiffre de l'age commence à être lourd comme moi la trentaine qui approche mais certains me donneraient encore 22 ans surtout si j'ai les cheveux coupés et barbe rasée.
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Aspi.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Environnement : la fin des cotons-tiges programmée pour 2020 ...
http://actu.orange.fr/societe/environne ... s7VCN.html
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Aspi.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Deux Suisses arrêtés en Inde pour usage non autorisé de téléphone satellite.
Du coup, je cherche et j'apprends que :
Du coup, je cherche et j'apprends que :
Certains pays interdisent ou restreignent l'utilisation de téléphones mobiles par satellite soit parce qu'il s'agit d'un régime politique autoritaire ou que ce pays considère qu'il constitue une arme dangereuse pour des action terroristes. Les pays concernés sont la Russie, la Corée du Nord, le Tchad, Cuba, l'Inde, le Sri Lanka, le Soudan et le Tchad.
Pardon, humilité, humour, hasard, confiance, humanisme, partage, curiosité et diversité sont des gros piliers de la liberté et de la sérénité.
Diagnostiqué autiste en l'été 2014
Diagnostiqué autiste en l'été 2014
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Les Etats sont souverains pour ce qui est des ondes radios. On ne peut pas diffuser n'importe quoi vers n'importe où comme ça.
Vous n'avez pas un site comme celui des Affaires Etrangères en Suisse ?
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/consei ... pays/inde/
Vous n'avez pas un site comme celui des Affaires Etrangères en Suisse ?
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/consei ... pays/inde/
La détention et l’usage de téléphones satellitaires sur le territoire indien sont soumis, sans l’obtention d’une autorisation préalable, à des peines d’emprisonnement. Il est nécessaire de prendre contact avec l’Ambassade d’Inde en France avant d’amener un tel équipement.
Identifié Aspie (広島, 08/10/31) Diagnostiqué (CRA MP 2009/12/18)
話したい誰かがいるってしあわせだ
Être Aspie, c'est soit une mauvaise herbe à éradiquer, soit une plante médicinale à qui il faut permettre de fleurir et essaimer.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Pardon, humilité, humour, hasard, confiance, humanisme, partage, curiosité et diversité sont des gros piliers de la liberté et de la sérénité.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
C'est écrit aussi sur une page:
https://www.dfae.admin.ch/content/eda/f ... ndien.html
(D'ailleurs ils déconseillent carrément le J&K aux touristes).
https://www.dfae.admin.ch/content/eda/f ... ndien.html
(D'ailleurs ils déconseillent carrément le J&K aux touristes).
Identifié Aspie (広島, 08/10/31) Diagnostiqué (CRA MP 2009/12/18)
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Et dire qu'il y a des personnes qui font l'éloge de l'Inde, décrivant ce pays comme un paradis. J'ai eu de la chance d'être adopté en Suisse.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Les loyers ont beaucoup augmenté dans les coins de l'Inde qui étaient réputés comme des paradis, par exemple auprès des retraités (où effectivement, on pouvait vivre pour presque rien avec des moyens d'occidental).
Bon là, c'est un coin qui n'est pas recommandé pour grand chose tant que l'Inde et le Pakistan seront en conflit.
Bon là, c'est un coin qui n'est pas recommandé pour grand chose tant que l'Inde et le Pakistan seront en conflit.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Sus à tous ces conflits de religions, de pouvoirs, de territoires.
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
http://www.topito.com/top-parents-conte ... ses-gossesTop 10 des parents trop contents d’être débarrassés de leurs gosses, le troll jusqu’au bout
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Insight Aspie (?) +Aphantasie, prosopagnosie, écholalie, mutisme électif....
Fan de super héros, Daredevil le pygmalion de mon fonctionnement social
Mes doigts sur un clavier communiquent plus de mots que ma bouche...
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Re: Articles divers à partager sur... autre chose que l'auti
Même si on s'en doutait déjà, ça se confirme :
monde connecté, monde fragilisé ... a écrit :[...]
Un gag et une étude ont démontré que 6 personnes sur 10 partagent un article sans même l'avoir lu.
La blague qui l'a démontré est simple : les auteurs d'un site américain The Science Post ont publié
un article où seul le premier paragraphe était correctement rédigé et tout le reste l'était dans une
sorte de sabir incompréhensible, que les graphistes connaissent sous le nom de"lorem ipsum".
Le drame, c'est que cet article a été partagé 48.000 fois ! Pour s'assurer que cette blague de potache
n'était pas un cas isolé, des chercheurs de l'université Columbia et un chercheur français, Arnaud Legout,
sont arrivés à la même conclusion désastreuse, à savoir que 59% des URL présentes sur Twitter n'auraient
jamais été cliqués.
[...]
TCS = trouble de la communication sociale (24/09/2014).