Frédérique Bonnet-Brilhault, chercheuse en l'âme
Frédérique Bonnet-Brilhault, au CHRU Bretonneau de Tours, le 1er avril.
CYRIL CHIGOT/DIVERGENCE POUR " LE MONDE "
Cette spécialiste des troubles du développement cérébral, dont l'autisme, œuvre pour une prise en charge des patients
Cela nous prend peut-être quinze ans, mais nous sauvons des vies ", affirme souvent Frédérique Bonnet-Brilhault à ses équipes. Et la pédopsychiatre de raconter, un sourire aux lèvres, l'histoire de ces enfants atteints d'autisme suivis au centre hospitalier de Tours. Comme cegarçon âgé de 5 ans en l'an 2000 : " Il faisait toujours le même dessin, parlait très peu et souffrait de comportements anormaux. Il a failli ne jamais rentrer en CP. " Pourtant, quinze années plus tard, le jeune homme obtient le bac avec mention puis intègre un BTS. " En grandissant, il a développé un réel souci d'autrui, ça m'a beaucoup touchée ", confie le médecin. L'heureux résultat d'une prise en charge médicale intense, mais pas seulement. Des enseignants exceptionnels, un soutien familial sans faille : le garçon était bien entouré, reconnaît la spécialiste avec admiration. Si toutes les histoires ne se terminent pas ainsi, elle s'estime chanceuse, avec son équipe, de participer à de telles évolutions.
Le professeur Bonnet-Brilhault dirige depuis 2011 le centre universitaire de pédopsychiatrie du centre hospitalier de Tours. Chaque année, ce service accueille 500 enfants et jeunes adultes dans un bâtiment coloré et lumineux : un site réservé aux troubles du développement, dont l'autisme fait partie. Ces pathologies hétérogènes se caractérisent par des troubles du comportement, ainsi que des difficultés à établir des interactions sociales et à communiquer. Les signes cliniques, variés, rendent le diagnostic périlleux. Psychologues, orthophonistes, pédiatres, neurologues… L'évaluation s'appuie sur une équipe pluridisciplinaire.
Deuxième défi, une fois le diagnostic posé : définir pour chaque enfant un programme individualisé, en lien étroit avec les familles et des partenaires comme l'école. Avec ses -confrères, Frédérique Bonnet-Brilhault coordonne diagnostics et propositions thérapeutiques, et suit des enfants en groupe ou en consultation. Sa posture : soutenir les familles et ne jamais baisser les bras. " Le professeur Bonnet-Brilhault a toujours été à notre écoute. C'est une femme accessible et spontanée. Elle a su nous ouvrir les yeux et nous -accompagner dans notre cheminement ", -confirme la maman d'un enfant suivi plusieurs années par la pédopsychiatre.
La médecine, pour elle, est une vocation. " Petite, je créais des carnets de santé pour mes baigneurs. Je savais déjà que j'étais faite pour ce métier. " Passionnée, la jeune femme suit des études de médecine à Angers. Interne au milieu des années 1990, elle fait ses premières armes dans un service de psychiatrie à Rouen. Troublée par l'univers de l'hôpital spécialisé, " un monde oublié où tout restait à faire ", elle s'interroge : quels sont les liens entre ces troubles psychiatriques et le fonctionnement -cérébral ? " A l'époque, les connaissances en -psychiatrie étaient balbutiantes. Les neuro-sciences n'avaient pas encore changé le regard sur ces pathologies. " Persuadée que la recherche pourrait mieux bénéficier à ces patients, l'interne se lance dans la génétique moléculaire. Mais une année à la paillasse suffit à lui rappeler sa vocation première.
Son nouvel impératif : associer, au quotidien, l'activité clinique et la recherche. Chef de clinique, Frédérique Bonnet-Brilhault rejoint en 2000 l'équipe du professeur Catherine Barthélémy, au centre de pédopsychiatrie de Tours. Là, elle trouve un terrain d'exercice idéal. Car en un même lieu sont réunies l'unité de diagnostic, l'exploration fonctionnelle médicale, l'intervention thérapeutique, ainsi qu'une équipe de recherche sur l'autisme (unité Inserm). " Cette organisation illustre la vision pionnière du professeur Gilbert Lelord, dès la fin des années 1970. Son idée : mettre les découvertes sur l'autisme au service des patients ", souligne la pédopsychiatre.
L'histoire du service restera marquée par les professeurs Lelord et Barthélémy. Le cheval de bataille de ces deux pionniers ? Faire reconnaître l'autisme comme un trouble neurodéveloppemental, et non plus une psychose infantile causée par la mère. Un combat difficile, car la théorie psychanalytique a longtemps prévalu et causé un net retard français dans le développement de prises en charge adaptées. Aujourd'hui, Frédérique Bonnet-Brilhault a repris les rênes avec ardeur : " Elle est ma fille spirituelle, une femme remarquable et courageuse, admire Catherine Barthélémy, qui lui a transmis les clés du -service. La succession s'est passée dans une réelle harmonie. Elle m'a emboîté le pas avec beaucoup d'énergie et de clairvoyance. "
Le défi, pourtant, était de taille : maintenir l'excellence du service médical tout en poursuivant l'indispensable activité de recherche. La jeune femme, responsable de l'équipe autisme de l'unité Inserm, compare la recherche sur l'autisme à la visée d'" une cible en mouvement ". Autrement dit, un cerveau en plein développement. Justement, c'est ce caractère dynamique du développement qui la passionne. Et chez l'enfant, ce phénomène est éminent. " C'est une chercheuse dans l'âme, se réjouit Catherine Barthélémy. Elle a cette capacité à se poser en permanence de nouvelles questions. L'attitude du médecin sans certitude. " Une soif de connaissances que Frédérique Bonnet-Brilhault a partiellement assouvie lors de séjours au centre des neurosciences de Berkeley, aux côtés de Robert Knight. Lui estime que le travail de la chercheuse a " des implications considérables pour le diagnostic et le traitement des troubles neuro-développementaux de l'enfant ".
La compréhension de ces pathologies reste en perpétuelle évolution. Récemment, l'équipe autisme a mis au jour un nouveau dysfonctionnement cérébral, grâce à des mesures de l'activité électrique du cerveau. Normalement, l'enfant est capable de distinguer la voix humaine d'un autre bruit, et de traiter préférentiellement l'information socio-émotionnelle. Mais le cerveau du jeune autiste, lui, ne sait pas le faire : " Le système de l'attention automatique émotionnelle ne se met pas en place spontanément. L'enfant va accorder trop d'importance aux bruits parasites, et pas assez à la voix humaine. L'autisme, c'est une forme d'atypicité de l'attention au monde ", analyse la professeure. Le but de ces recherches : compléter le tableau clinique par un profil neurophysiologique. Et améliorer la prise en charge, dans la perspective d'une médecine individualisée. " L'enfant, pris en compte dans sa globalité, doit être placé au centre, prévient la pédopsychiatre, qui met en garde contre l'application de solutions toutes faites. La méthode miracle n'existe pas. "
Son remède pour se prémunir de toute vision dogmatique ? " Réaffirmer la place de la médecine et de la recherche dans le champ de l'autisme. Et diffuser les nouvelles connaissances aux professionnels, dès les bancs de la fac. " Une position qu'elle souhaite transmettre aux jeunes générations. Afin de passer le relais, dans l'avenir, puis de poursuivre son engagement à l'étranger. Toujours en mouvement.
Nathalie Picard
http://www.lemonde.fr/sciences/article/ ... 50684.html
Je croyais que Monica Zilbovicius l'avait déjà démontré il y a 10 ans.Récemment, l'équipe autisme a mis au jour un nouveau dysfonctionnement cérébral, grâce à des mesures de l'activité électrique du cerveau. Normalement, l'enfant est capable de distinguer la voix humaine d'un autre bruit, et de traiter préférentiellement l'information socio-émotionnelle.