La fratrie face au handicap
Largement négligées pendant des années, les fratries des personnes handicapées commencent à être le sujet d'études et de préoccupation des associations. À preuve, le colloque Fratrie et handicap qui leur fut consacré, le 28 mars dernier, à Saint-Herblain, près de Nantes.
Bien sûr, il reste encore bien des progrès à faire. Mais, depuis les lois de 1975, réformées en 2002 et 2005, la solidarité de la société face au handicap n'est pas un vain mot. Des efforts importants sont engagés pour compenser ce que la naissance ou les accidents de la vie font peser sur près de 10% de la population. Si le dispositif proposé par les Maisons départementales des personnes handicapées est conséquent, il est pour autant bien loin de rééquilibrer toutes les altérations subies.
L'aide informelle que doivent déployer les proches est considérable. Elle accapare une part essentielle du quotidien, l'enfant différent devenant très vite le centre de la famille. On sait comment la survenue du handicap bouleverse toute son organisation. Chacun de ses membres voit son rôle bousculé. On a beaucoup écrit sur la réaction des parents à l'annonce de la déficience. Il n'en va pas de même pour le vécu et les ressentis de la fratrie qui est depuis longtemps la grande oubliée. Le silence qui l'entoure est des plus fracassant.
L'association «
D'un monde à l'autre » lui consacrait une journée d'étude à Saint-Herblain, près de Nantes. L'occasion de mêler, avec bonheur, les témoignages de fières et de sœur et les propos tenus par des chercheurs ayant travaillé sur cette problématique.
Témoignages
Parmi les témoins ayant vécu cette situation, Brigitte Lamare, administratrice de l'Association des paralysés de France, à la fois sœur et mère d'une personne porteuse de handicap, est venue présenter avec beaucoup d'émotion, le récit concis et plein de retenue de son enfance largement marquée par la mission qui lui fut confiée de s'occuper de son frère déficient. Le handicap absorbe toute l'attention des parents, rappela-t-elle, réduisant considérablement l'intérêt et la disponibilité aux autres enfants valides. Quand le bien-être du frère ou de la sœur handicapé dépend de la mobilisation chronophage de l'ensemble du cercle familial, ceux qui grandissent à côté doivent se partager la portion congrue qui subsiste. Surtout ne pas gêner, devoir accepter d'être l'oublié(e) de l'histoire familiale, être placé(e) dans une situation protectrice.. .
Autant de positionnements qui situent la fratrie dans toute une série de dilemmes dont on ne peut que rarement sortir indemne : culpabiliser d'être celui ou celle qui a échappé au handicap et se révolter de ce qui frappe son proche ou encore aspirer à obtenir le même investissement de la part de ses parents en ayant la même déficience et craindre d'en être atteint(e)un jour. Ce témoignage fut relayé par la table ronde composée de frères et sœurs de personnes handicapées qui vinrent confirmer ce positionnement particulier de la fratrie. Les frères et sœurs sont confrontésà un double deuil :celui du membre de la fratrie atteint d'une déficience et celui des parents pour qui cette situation constitue une plaie vive. Ils ne s'autorisent pas toujours à évoquer leur propre souffrance, de peur d'en rajouter encore à la détresse des adultes. Ils choisissent alors parfois de les protéger en apparaissant lisses et parfaits, posture pas toujours facile à endosser. Même écho dans le film projeté lors de cette journée,
« Mon frère, ma soeur et.. le handicap » (voir encadré). On y retrouve là aussi cette quête de parents se devant d'être suffisamment généreux pour donner aussi à ceux de leurs enfants qui ne sont pas handicapés : «
Moi aussi je suis là, il faut s'occuper un peu de moi ».
Analyse
Ces témoignages livrés avec spontanéité et courage se devaient d'être relayés par une analyse conceptuelle. Régine Scelles, universitaire rouennaise, expliquera alors comment la personnalité de l'enfant ne se construit pas uniquement dans le lien avec ses parents, mais tout autant en contact avec sa fratrie qui joue un rôle tout aussi essentiel dans sa socialisation. Engueulades, jalousie, rivalité, sont alors autant d'outils qui lui permettent d'expérimenter la vie en société. L'enfant porteur de handicap grandit, lui aussi, dans le regard de ses frères et sœurs. Pourtant, il a parfois du mal à se sentir appartenir à sa fratrie : «
J'ai trois enfants et un enfant handicapé », affirme maladroitement cette maman. « J
’en ai marre d’avoir trois mères et pas de sœurs »,s'exclame cet enfant en parlant de ses deux sœurs à qui leur mère a confié un rôle parental. Pour Hervé Dalibert, formateur en école de travail social, le lien fraternel, échappant à toute volonté individuelle, s'impose à ceux qui naissent des mêmes parents. Aux racines verticales , liées à la filiation, se rajoutent des relations horizontales. Et, c'est justement ce positionnement que vient remettre en cause le handicap. Il est fréquent, par exemple, que le puîné prenne l'ascendant sur son aîné, bousculant ainsi l'ordre de naissance. Parce qu'il gagne en maturité alors que son germain stagne ou parce qu'on lui demande de veiller sur lui. Et cette forme de parentalisation ne peut encore que s'aggraver avec le temps : l'accroissement de l'espérance de vie des personnes handicapées prolonge la perspective de la prise en charge du handicap.
Cela ne peut qu'amener la fratrie à envisager d'assurer le relais de leurs parents, en assumant ce que ceux-ci faisaient jusqu'alors. Ce qui ne peut qu'altérer profondément la relation fraternelle : peut-on continuer à rester frère ou sœur quand on adopte une position de responsabilité à l'égard de son germain handicapé? La confusion s'instaure alors entre les relations horizontales et verticales. «
Mes parents sont au front et moi je suis réserviste » , confia un jeune homme âgé de trente ans à Hélène Davtian, psychologue à l'Unafam (Union nationale des amis et familles de malades psychiques).
Elle a mené une enquête auprès de six cents frères et sœurs de personnes psychotiques. Il en ressort des réactions montrant le profond désarroi face à la confrontation avec cet autre, handicapé, qui aurait pu être eux. Là où certains d'entre eux ont pris de la distance avec une famille dans laquelle ils ne se sentent plus à leur place, d'autres ont pris des attitudes de repli sur soi et d'autres encore adopté des symptômes schizophréniques par empathie fraternelle.
Près d'un tiers de la population interrogée affirme ne pas vouloir avoir d'enfant de peur d'une transmission génétique du handicap. Ce dont ont besoin ces fratries, conclut Hélène Davtian, c'est d'être aidées à envisager que leur destin puisse être distinct de celui de leur frère ou de leur sœur déficient : sortir de la dialectique d'un destin collé ou séparé et se vivre enfin semblable sans être pareil et différent sans être étranger.
Restitution de colloque disponible en DVD sur le site de l'association http://WWW.mondealautre.fr
Mon petit frère de la lune -Frédéric Philibert Film d'animation, 5mn, 2007 -Sacrebleu prod
Réalisé par le père d'un petit garçon autiste, ce dessin animé a reçu le Grand prix et le Prix du public du Festival Handica-Apicil2007. Une petite fille essaie de faire comprendre pourquoi son petit frère n'est pas vraiment comme les autres enfants. Elle explique comment il vit au quotidien et donne sa version des raisons qui expliquent pourquoi il est comme cela. «
Nous tenions à montrer graphiquement l'isolement de notre enfant qui vit à côté de nous, mais jamais vraiment avec nous, comme dans une bulle. Mais malgré tout, nous ne voulions pas donner un message triste, c'est pourquoi notre fils est dans une bulle de lumière qui peut s'agrandir un peu lorsque sa sœur réussit par moments à rentrer en contact»,explique Frédéric Philibert. Spontanéité, humour et poésie parcourent ce petit film d'animation sensible et sincère qui décrit l'autisme d'une manière à la fois simple et précise. Il est téléchargeable sur internet.
18/19 -LIEN SOCIAL n°942-24 septembre 2009