Je ne lui en ai toujours pas parlé.
Je suis coincée à la maison suite à mon problème d'immigration au Canada, et j'en profite beaucoup pour le "coacher".
Il suit un programme en alternance, mais il n'a toujours pas trouvé de mi-temps, ni de stage pour l'été (or c'est indispensable pour sa validation d'année). Encore une fois ses difficultés verbales et orales le lèsent beaucoup, mais en ce moment c'est aussi et surtout son manque de concentration et de sérieux : si on ne lui fait pas de rappels réguliers, le jeudi et le vendredi où il n'a pas cours puisque la semaine est aménagée pour l'alternance, il les vit comme si c'était le weekend, il passe toute la nuit à jouer, se lève à 2h de l'après-midi ce qui lui laisse à peine quelques heures pour envoyer peut-être une ou deux candidature de stage… avant de très vite reprendre ses jeux, puisque la journée se termine déjà.
Ses rapports avec notre père notamment sont devenus très tendus à cause de ça, nos rencontres avec lui s'articulent essentiellement autour de l'engueulade continuelle sur cette attitude "
d'abruti qui se fiche du monde et qui joue au con" (ce sont les mots de notre père, que je ne trouve pas spécialement pédagogues, même si mon frère a clairement pas été sérieux dans son travail, les insultes ne sont pas un remède).
En ce moment, puisque je suis coincée à la maison, je m'affaire donc à être la grande-sœur-conseil, à m'assurer gentiment qu'il ne se laisse pas distraire. Aussi inconséquente que son attitude puisse paraître, je crois que son cerveau occulte "sincèrement" les priorités trop abstraites dès qu'une distraction interne ou externe se présente, car quand je lui rappelle gentiment ce qu'il a promis de faire, ce qu'il était convenu, et pourquoi, il s'y remet sans rechigner, et manifestement il ne m'en veut pas… par contre, Papa qui le traite de "con", mon frère n'écoute plus un seul mot de ce qu'il dit, il lève les yeux au ciel, grogne et se fait totalement mutique dès que "ça recommence", alors que mon père croit certainement qu'utiliser des mots très durs et blessants a plus d'impact et devrait susciter des réactions d'intensité proportionnelle.
Ce que je fais, donc, c'est que j'essaye d'instaurer une routine pour ces journées là, une heure de lever fixe obligatoire, les emails le matin, le travail sur son site perso l'après-midi, des missions du jour clairement résumées le matin et à horaires réguliers... Après quelques répétitions, il se laissait moins facilement distraire, grâce à ce pseudo-cadre (on a remarqué qu'en internat et au boulot, il était toujours irréprochable, c'est ce qui m'y a fait penser).
Alors en ce moment j'ai un contact avec lui assez soutenu… mais lui parler d'Asperger je ne le sens toujours pas.
J'en suis de plus en plus convaincue, à mesure que j'apprend sur les subtilités d'Asperger, et mon frère n'a pas le profil le plus invisible qui soit, mais je vérifie bien.
J'ai tenté quelques indices, par exemple nous discutions de surcharges sensorielles et les difficultés à se concentrer en présence de stimuli trop nombreux dont nous souffrons tous les deux, et je lui ai dit avoir découvert sur "un forum fréquenté par des autistes Asperger où je traîne"

que ça s'appelait un "déficit d'inhibition latente".
Il dit
"présenté comme un déficit c'est plutôt péjoratif non?"
Bon, attention donc, mon frère est clairement méfiant avec les étiquettes potentiellement péjoratives.
L'autre raison pour laquelle je ne lui en ai toujours pas parlé de façon directe, c'est cette question que je me pose depuis le début et que mon beau-père m'a re-posée il y a quelques semaines alors que, seul à seul, je lui faisais part de mon hypothèse…
"bon, supposons qu'il ait un Syndrome d'Asperger, quel changement est-ce que ça apporterait pour lui, sans sa vie de le savoir aujourd'hui ?"
Parce que c'est vrai que, autant un diagnostic est précieux pour adapter et optimiser la scolarité d'un enfant à ses besoins et difficultés… autant à 23 ans bientôt, certes ses difficultés sont encore présentes, mais
est-ce qu'un tel diagnostic va apporter tant de changements concrets que ça dans une vie de jeune adulte ?
Est-ce que ça vaut le coup que moi je fasse intrusion avec ce concept, qu'il n'acceptera peut-être pas, si ça ne l'avance pas concrètement… On le disait sur un autre topic, le HPI est souvent en quête active et désespérée de cette réponse à sa différence, mais l'Asperger pas systématiquement, et je n'ai pas l'impression que ce soit le cas de mon frère. Tout le monde autour lui rabâche, mais lui ne semble pas se demander s'il est différent ni pourquoi (ou bien il ne le dit pas).
Les moments où je suis le plus tentée de lui en parler, c'est après ces conversations brutales avec mon père, car c'est dans la cadre de cette relation-là, je crois, que peut-être un diagnostic pourrait lui servir un tant soit peu pour apaiser et réajuster l'attitude de mon père, et les trombes verbales qu'il lui assène et qui tétanisent littéralement mon frère. J'ai essayé de dire à mon père qu'il ne laissait pas à mon frère le temps de répondre, que chaque fois qu'il rajoutait une phrase pour exprimer son mécontentement que mon frère ne réponde pas et s'exclamer qu'il
"se fiche du monde", c'était autant de temps en plus que mon frère prendrait à assimiler, encaisser, et éventuellement à formuler une réponse. Un problème qui se mord la queue quoi. Mon frère a discrètement hoché la tête, mais mon père n'a vraiment pas eu de patience, parce que
"dans la vraie vie on ne te donnera pas trois quarts d'heure pour répondre à chaque fois"… Ça me parait limite plus utile et urgent que de faire valoir un diagnostic de SA dans le cadre de ses études ou de son travail.
D'un autre côté, évidemment mon frère est tétanisé et très contrarié par chacune de ces rencontres avec le paternel, alors d'un autre côté, juste après ça, je doute que ça soit le meilleur moment pour lui balancer ma théorie à la tronche.
J'ai lu différents blogs d'Aspies aujourd'hui, et je constate que même les personnes qui font des démarches de diagnostic par elles-mêmes ont souvent des doutes sur la réelle utilité de le faire, rendu à l'âge adulte (d'ailleurs les CRA donnent la priorité aux enfants, rendant les démarches plus longues pour les adultes).
Je ne sais pas trop,
pensez-vous que c'est utile de le lui dire ça alors qu'il est déjà jeune adulte ?