C’est un grand artiste qui est venu nous voir, et rencontrer trois de nos lecteurs,
cette semaine. Confidences d’Hubert-Félix Thiéfaine, pour la sortie de son 17e album.
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En 48 heures, ce sont près de cent courriers électroniques qui nous sont arrivés, avec le vif
désir de rencontrer Hubert-Félix Thiéfaine…
« Quand on aime une fois Thiéfaine, c’est pour toujours »
S’il fallait douter de l’affection que suscite le chanteur, nos lecteurs ont prouvé le contraire…
Et c’est peut-être une petite phrase dans la lettre du Vendéen Laurent Macé, 35 ans, qui a
le mieux résumé le sentiment général : «
Thiéfaine est l’artiste qui m’a permis d’être
juste un peu moins con… Des paroles incroyables sur des mélodies entêtantes,
un sens de la poésie, de l’image, du cynisme… »
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La Rennaise Leïla Delefortrie, 26 ans, a rappelé qu’elle avait grandi avec la «
présence »
de Thiéfaine, que ses parents écoutent depuis qu’ils se sont rencontrés. Quant au Lorientais
Hervé Gaillard, 51 ans, son enthousiasme date d’une cassette audio de 1981, soit 33 ans
de fidélité… «
Quand on aime une fois Thiéfaine, c’est pour toujours », résumerait-on
pour paraphraser un autre poète de la chanson, Richard Desjardins.
« J’aime dompter les mots »
Bref, nos trois lecteurs n’ont pas caché leur émotion quand ils se sont retrouvés à la même
table que le Jurassien, après avoir écouté quelques chansons de son nouvel album. Dont
Karangada, un titre qui intrigue Hervé. «
Les titres de vos chansons, ils naissent avant,
ou après le texte ? Et vous les choisissez pour leur esthétisme ou leur sens ? »
Thiéfaine sourit : «
Le mot Karaganda m’évoquait cette partie un peu mystérieuse
de l’Asie centrale. Mais comme je ne suis pas un chanteur réaliste, je boycotte
la réalité. Je cherche à m’en enfuir. » Autre exemple… «
Une nuit, à quatre
heures, j’ai eu l’idée d’enregistrer deux albums qui s’opposent et de les appeler
La tentation du bonheur et Le bonheur de la tentation. » Il a fallu ensuite les écrire…
« Je suis comme un peintre devant une toile blanche »
Leïla insiste : «
Faut-il chercher une signification derrière chaque parole ou est-ce
pour la musicalité des mots ? » Thiéfaine n’hésite pas : «
Il y a forcément un sens.
Comme derrière chacun de nos rêves. Pourtant, ce n’est pas ce que je cherche
d’emblée. Je suis comme un peintre devant une toile blanche. J’utilise les mots
comme des peintures. Et je cherche à ce qu’ils présentent des formes, des images,
qu’ils claquent. Je suis un amoureux des mots. J’aime les dompter à ma façon.
Je mets un oxymore, parce que ça mord un oxymore… Une chanson, c’est trois
couplets, ça va vite. Il faut exploiter chaque mot, qu’ils glissent sur ma langue
comme une pastille, un plaisir… Mais ce qui est important est moins la question
du sens. C’est que cela te touche ou pas. »
Et ce qu’a inventé Hubert-Félix Thiéfaine, la singularité de son œuvre, touche
depuis quarante ans des dizaines de milliers de fans, sur plusieurs générations.
«
Cette écriture, reprend-il, je l’ai cherchée des années. Comme une quête. »
Et il raconte l’influence de Léo Ferré, «
le seul Français que j’ai décortiqué, écouté
en boucle, à en oublier les Stones et Dylan. »
Se dégager de Ferré
Pourtant, il a fallu ensuite s’en dégager pour créer son style. Il se souvient… Il travaillait
sur l’écriture de
L’ascenseur de 22 h 43, et ça ne collait pas. Et puis, ce soir-là, sur
une terrasse de café, en bas du Sacré-Cœur, à Paris où il a longtemps vécu, c’est venu…
«
J’estime que ma discographie débute là. »
C’est riche une discussion avec Thiéfaine. Il parle de Lucas, son fils de 20 ans, qui a co-réalisé
l’album, apportant un son différent, «
un peu plus sale, dit son père. J’ai dit à l’équipe
de me faire aimer ma voix. Ils sont partis de là. » Et, il glisse : «
Le modèle de tous
les chanteurs de rock, c’est Sinatra… »
Il raconte sa dernière et longue tournée quand, débarrassé de ses addictions aux drogues
et à l’alcool, après un sévère burn out, il a pris plaisir à rendre les spectateurs «
heureux ».
Mais il n’est pas dupe : «
Quand on prend ces substances, c’est qu’on en a besoin.
Ce qui me dérange le plus, quand on ne les fréquente plus, c’est la lucidité qui
en sort. Je n’ai plus de vacances… »
Malgré cela, à 66 ans, le Thiéfaine d’aujourd’hui avoue avoir trouvé un peu d’apaisement,
de sérénité, «
grâce à un travail sur moi-même. Par contre, je me retire souvent
dans ma solitude pour éviter le côté social, qui me procure un certain écœurement,
une certaine pitié même. » Cela lui a inspiré une chanson. Elle s’appelle
Médiocratie.