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Samedi-sciences (107): un espoir pour l’autisme
09 novembre 2013 | Par Michel de Pracontal - Blog mediapart
Une étude réalisée aux Etats-Unis suggère une piste pour détecter l’autisme dès l’âge de deux mois, et peut-être même pour tenter des traitements à partir de ce diagnostic. Warren Jones et Ami Klin, du Centre d’autisme Marcus, à Atlanta (Géorgie), ont suivi 110 enfants de la naissance à l’âge de trois ans. Leurs observations, présentées dans la revue Nature (6 novembre) montrent que les enfants qui présentent des troubles autistiques regardent moins dans les yeux les personnes de leur entourage que les enfants qui ont un développement normal. Ce déficit du contact oculaire peut être observé entre deux et six mois, ce qui offre la possibilité de diagnostic de l’autisme la plus précoce connue jusqu’ici.
Jones et Klin soulignent cependant que l’échantillon de leur étude est trop limité pour que l’on puisse, à ce stade, en tirer un outil de diagnostic de l’autisme. Mais si leurs résultats se confirment, ils sont extrêmement intéressants : en effet, ils mettent en évidence une « fenêtre temporelle » qui correspondrait au moment où le trouble autistique s’installe. Ce qui ouvre la perspective d’une intervention thérapeutique à un très jeune âge.
Dès les premières descriptions de l’autisme, on a su que cette pathologie était associée à des déficits dans le contact oculaire. Communiquer en cherchant le regard de l’autre est l’une des toutes premières aptitudes sociales chez le bébé. On savait depuis longtemps que chez les enfants autistes, cette faculté est diminuée. Mais le diagnostic étant effectué le plus souvent autour de deux ans, on ne savait pas exactement à quel moment de la vie se manifestait ce déficit du contact par le regard.
Pour trouver la réponse, Warren Jones et Ami Klin ont mené une étude prospective consistant à réaliser des observations régulières sur des bébés dès l’âge de deux mois. Les chercheurs ont présenté aux bébés des scènes en vidéo montrant les personnes qui s’occupaient d’eux ; grâce à un équipement spécial, ils ont pu enregistrer l’orientation du regard des bébés pendant qu’ils visionnaient les vidéos. Les données ont été collectées tous les mois entre 2 et 9 mois, puis à 1 an, 15 mois, 18 mois et 24 mois. Pour chaque observation, Jones et Klin ont ainsi pu déterminer le temps que chacun des enfants consacrait à fixer les yeux d’une personne apparaissant sur la vidéo, ou sa bouche, ou le reste de son corps, ou les objets placés autour.
« Les bébés viennent au monde avec de fortes prédispositions à rechercher le contact oculaire, explique Warren Jones à Nature. Les petits bébés regardent plus les yeux que toute autre partie du visage, et ils regardent plus le visage qu’aucune autre partie du corps».
Les enfants étudiés par Jones et Klin se répartissaient en deux groupes : 59 avaient un risque d’autisme supérieur à la moyenne parce qu’ils avaient un frère ou une sœur atteint d’un trouble autistique. Les 51 autres n’avaient pas de risque particulier. Dans la population générale, selon une étude récente, un enfant sur 88 est atteint d’un trouble du spectre de l’autisme.
Après avoir recueilli les données sur les 110 enfants, les chercheurs ont continué à les suivre jusqu’à trois ans, âge auquel il est possible d’obtenir un diagnostic confirmé de trouble autistique. Douze enfants du groupe à risque (dont dix garçons) ont été diagnostiqués comme atteints d’un trouble autistique, ainsi qu’un garçon de l’autre groupe. Vu le petit nombre de filles, les chercheurs ont concentré leur analyse sur les garçons.
Jones et Klin pensaient initialement que le déficit du contact oculaire apparaissait dès la naissance chez les enfants porteurs de troubles autistiques. Ce n’est pas ce que montrent leurs données : à deux mois, tous les enfants ont sensiblement la même capacité à fixer le regard d’autrui, et la différence n’apparaît qu’ensuite, entre deux et six mois. L’avantage de l’étude est qu’elle s’appuie sur de multiples observations répétées à de brefs intervalles de temps, de sorte qu’elle peut mettre en évidence la chronologie de l’émergence du trouble autistique.
« Dans les premiers mois de la vie, ce mécanisme de base de l’adaptation sociale – regarder dans les yeux – ne diminue pas immédiatement chez les enfants qui vont devenir autistes; dans un premier temps, l’aptitude à regarder dans les yeux est au même niveau (chez les autistes) et décline ensuite. »
Les enfants qui ont un développement normal regardent davantage, entre 2 et 6 mois, les yeux que la bouche, le corps et le reste de la scène. L’attention portée à la bouche augmente pendant la première année et culmine vers 18 mois, tandis que l’intérêt pour le reste du corps et les objets diminue pendant toute la première année et reste ensuite sur un plateau. Pour les enfants chez qui on diagnostique un trouble autistique, le schéma est différent : de deux mois à deux ans, l’attention portée aux yeux baisse pour arriver à un niveau d’à peu près la moitié de ce qu’elle est chez les enfants normaux, tandis que l’intérêt pour le reste du corps et les objets est plus élevé ; en revanche, l’attention portée à la bouche reste sensiblement équivalente pour tous les enfants.
Ce schéma différent peut être observé dès la période de 2 à 6 mois, ce qui ouvre la perspective d’un diagnostic précoce. Le deuxième intérêt de la découverte de Jones et Klin tient au fait que, contrairement à ce qu’avaient supposé les chercheurs, le déficit de contact oculaire n’est pas présent dès la naissance. L’étude met en évidence une fenêtre temporelle pendant laquelle le développement du futur sujet autistique diverge du développement normal. Ce qui implique que certaines aptitudes sociales sont présentes au départ chez l’autiste, et régressent ensuite. « Cela nous donne de l’espoir, dit Jones, parce que cela suggère que si l’on pouvait identifier les enfants (qui risquent de devenir autistes) à ce moment précoce de la vie, on pourrait s’appuyer sur une base existante pour tenter d’agir avec des traitements».
Le fait que l’on observe la baisse de la capacité à fixer le regard, plutôt qu’une absence pure et simple de cette capacité, ouvre au moins en théorie la possibilité d’une intervention précoce visant à empêcher le trouble de s’installer, ou à en limiter la portée. Il est encore trop tôt pour savoir si cette possibilité se réalisera. Le prochain objectif de Jones et Klin est de confirmer leurs résultats sur une population plus nombreuse, afin de vérifer que l’on peut utiliser le déficit oculaire comme prédicteur du développement de l’autisme.