Recrutement : les tests de personnalité en question
LE MONDE | 24.02.2014 | Par Anne Rodier
Haro sur les tests de personnalité ! MBTI (Myers Briggs Type Indicator), Sosie et PAPI (Personality and Preference Inventory) sont des sigles familiers de tous les cadres en recherche d'emploi. Et pour cause. « Ce sont les tests d'évaluation les plus utilisés en France, indique Antoine Morgaut, directeur général Europe du cabinet de recrutement Robert Walters. Les méthodes les plus critiquées comme la graphologie ont quasiment disparu des pratiques des services des ressources humaines. »
Mais le recours aux tests de personnalité reste très fréquent : un cadre sur deux a passé des tests lors de sa dernière embauche et, dans un recrutement sur quatre, il s'est agi de tests de personnalité, selon l'enquête Sourcing Cadres 2013 de l'Association pour l'emploi des cadres (APEC), réalisée de janvier 2012 à février 2013. Le test de personnalité est toujours le meilleur moyen de pronostiquer la performance d'un candidat, estiment plus de 90 % des recruteurs.
« LA PERSONNALITÉ NE DÉTERMINE PAS LE COMPORTEMENT »
Des études de terrain nuancent pourtant cette affirmation. Testons les tests !, l'enquête de la chaire « nouvelle carrières » de Neoma Business School (fusion de Rouen Business School et de Reims Management School), publiée le 10 février, établit que « la personnalité prédit très modestement, voire pas du tout, l'évolution de la rémunération, le maintien dans l'emploi à court, moyen ou long terme, l'évolution hiérarchique et même l'évolution dans le poste ».
Testons les tests ! est le fruit de la synthèse de 76 articles de recherches faites ces dernières années au niveau international afin d'identifier « les marqueurs du succès », confirmée par 2 700 interviews de cadres menées en plusieurs vagues depuis 2009.
Les tests de personnalité ne peuvent pas être efficaces, car « la personnalité ne détermine pas le comportement », analyse Jean Pralong, psychologue et responsable de la chaire « nouvelles carrières ». Evaluer l'acceptation des autres ou l'estime de soi, par exemple, ne permet pas de pronostiquer le comportement du cadre en emploi, car « le comportement dépend du contexte et les tests sont faits hors contexte », explique le psychologue.
« ON PEUT FACILEMENT GUIDER CE GENRE DE TESTS »
Pire : « L'évaluation de la personnalité en situation de recrutement révèle moins les caractéristiques réelles des candidats que leur connaissance des stéréotypes et des attentes supposées des recruteurs », précise l'étude.
« Quand j'étais petit, mon père me faisait tester Sosie et PAPI. On peut facilement guider ce genre de tests », confirme M. Morgaut, qui leur reconnaît malgré tout une certaine efficacité.
L'affaire est d'importance, dans la mesure où le coût moyen d'une erreur de casting en recrutement serait de 40 000 euros, selon l'étude réalisée fin 2012 par l'institut Harris Interactive pour CareerBuilder (« Quel est le coût d'un mauvais recrutement ? »). Cette année-là, en France, 53 % des employeurs interrogés avaient eu à déplorer des erreurs de recrutement.
Le propos de Testons les tests ! n'est pas tant de condamner l'évaluation de la personnalité que de démontrer que les indicateurs fiables pour pronostiquer le comportement professionnel de la personne sont ailleurs : dans les capacités de raisonnement dites « aptitudes cognitives », bien sûr, mais, ce qui est plus nouveau, dans la façon dont le salarié aborde une situation professionnelle. M. Pralong dresse ainsi une typologie de quatre moteurs de la réussite professionnelle, baptisés « schémas cognitifs », qui incitent le salarié à adopter des comportements qui favorisent la performance.
« LECTURE DIFFÉRENCIÉE DE LA RÉALITÉ »
Il s'agit du rapport du collaborateur à la stratégie de l'entreprise (sa contribution), de sa conception de la carrière (vocation ou opportunité), de ses relations aux autres salariés (partenaires ou rivaux) et de sa compréhension du monde du travail (rationnel ou monde de passe-droits).
« Dans le monde du travail, les salariés avancent toujours à tâtons. Chacun a des connaissances ou des croyances mémorisées qui lui servent à interpréter ce qui arrive. Cette lecture différenciée de la réalité induit des comportements vertueux, ou pas, et qui finissent par avoir une réalité objective », explique le psychologue.
Un salarié qui reçoit un mail mal rédigé, par exemple : s'il perçoit son collègue comme un partenaire, il pensera qu'il n'a pas fini d'écrire et lui renverra un mail collaboratif ; en revanche, s'il est méfiant, il jugera que son collègue a négligé son travail et adoptera un comportement suspicieux.
« Plus les individus croient en l'importance de la stratégie, croient que les collègues sont des partenaires, rejettent l'idée de vocation et pensent que le marché du travail est rationnel, plus ils réussissent », conclut l'étude, qui précise qu'à compétences égales ces schémas déterminent le succès ou l'échec.