Je me rends bien compte que la question que je me pose est tout à fait paradoxale sur un site consacré exclusivement au syndrome d'Asperger, mais j'ai tout simplement peur en lisant plusieurs personnes ici, que trop de gens en viennent à ne plus s'identifier que par leurs seuls symptômes, et finissent par oublier tout le reste, c'est à dire tout ce qui fait quand même d'eux des êtres humains au sens complet du terme.
Cela rejoint ce que je tentais de dire au sujet de ce brave Josef Schovanec lors de ma propre présentation sur ce site, en décembre dernier (pour ceux qui seraient intéressés de la relire). Loin de moi l'idée de remettre en question tous les efforts que ce cher Josef déploie inlassablement afin de sensibiliser ce que l'on nomme "le grand public" à ce trouble encore méconnu, ce n'est pas cela le problème même si l'on m'a vertement et aussitôt critiqué sur ce point. Dans le principe, ce qu'il fait est remarquable et sans doute est-il fondamentalement très bien intentionné.
Ce qui me gêne en revanche déjà bien plus, c'est de constater qu'à force de ne voir que la même personne encore encore et encore dès que l'on aborde cette question, de façon très perverse ce même "grand public" semble être en train de se servir de l'image de Josef pour se construire une nouvelle version stéréotypée et totalement caricaturale de ce que pourrait bien être un Autiste Asperger à ses yeux, c'est à dire qu'à une image d'Epinal on est très vraisemblablement en train d'en substituer une autre. Ce qui ne fait à mon humble avis en rien avancer un éventuel débat de fond.
Les symptômes de Josef sont très particuliers et dans l'ensemble assez peu représentatifs de quoi que ce soit d'autre que lui-même, or du fait de l'influence de ses livres, de ses conférences, de ses émissions et de ses nombreuses interventions un peu partout, certains milieux médiatiques voire médicaux cédant sans aucun doute à une forme de facilité, semblent actuellement tentés de se servir de lui afin de définir un nouveau genre de norme, un nouvel étalon de l'autisme, ce qui représente en réalité l'énième avatar en date de cette forme de pensée dangereuse consistant à ne plus se baser que sur quelques exemples types, c'est à dire sur cette forme de réduction du réel que l'on nomme précisément l'essentialisme. Ce type de récupération est bien entendu inévitable (les situationnistes m'en sont témoins), mais il ne s'agit pas d'en être dupe non plus.
"Comment, vous êtes diagnostiqué Asperger??? Mais vous ne ressemblez en rien à ces exemples que j'ai vu à la télé, et notamment ... blablabla" etc...
Combien de fois ai-je été confronté à ce genre de jugement, y compris par des médecins!

Car en effet, lorsqu'on se confronte à des Aspies en vrai, et bien il y a et il existe de tout. La réalité constatée est très différente. Certes, je veux bien admettre qu'il existe comme un vague bruit de fond commun -car sinon ce forum n'aurait pas lieu d'être

Mais mettons de côté ces cas d'autistes devenus autant de nouvelles icônes médiatiques (parfois malgré eux, mais pas que).
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Plus spécifiquement, il me semble qu'un vrai danger réside dans ce processus d'identification à outrance avec un symptôme affectant aussi lourdement la psyché. Car si tous ces médias tendent inévitablement à essentialiser les autistes, à les réduire à une image ou à une définition facilement et clairement identifiable pour le grand public, ce phénomène existe paradoxalement au sein des autistes eux-mêmes. C'est à dire qu'en fin de compte ce que je vois autour de moi, c'est que quantité de personnes fragiles socialement prennent le risque de ne plus se définir en tant que personne que par le prisme exclusif de l'autisme.
Or nous sommes tous bien plus que cela. Je ne suis pas que cela, en ce qui me concerne, et ça n'est pas être dans du déni que de l'affirmer clairement.
L'essentialisation, c'est le fait de considérer que l'essence précède l'existence. Or j'aurais plutôt tendance à dire que nos existences (= nos personnalités en quelque sorte, et tout ce qui nous rend unique) précèdent cette myriade de symptômes qui, additionnés éventuellement entre eux, peuvent éventuellement conduire vers un diagnostic de type Asperger.
Même pour toutes celles et ceux que l'on a diagnostiqué un jour -et c'est mon cas-, il me semble que nous avons tous des caractères différents, et que nous faisons certainement preuve en la matière d'une quantité de nuances au moins équivalente à celle de la plupart des NT, et que nombre de nos propres traits de caractère échappent d'ailleurs à ce diagnostic ou ne sont pas forcément directement concernés par ce dernier (ou de façon très marginale).
Au delà même de nos "passions" qui forcément nous distinguent les uns des autres, j'ai connu des SA qui étaient de vraies brutes sans aucune pitié avec les autres, et qui s'assumaient comme tels -sans doute une forme de défense par rapport aux persécutions autrefois subies durant leur jeunesse-. Et j'ai connu, au contraire des précédents, des SA très attentifs, d'une gentillesse et d'une douceur incroyable.
J'ai connu des SA hyper-narcissiques, et j'ai connu des SA qui au contraire doutaient presque pathologiquement d'eux-mêmes et de leurs compétences.
J'ai connu des SA broyés par leur entourage et devenus méchants, j'ai connu des SA au contraire indifférents à tout, et j'ai également connu des SA toujours prompts à aider autrui.
Et politiquement, j'ai connu des SA défendant des positions d'extrême gauche, d'autres d'extrême droite, et bien entendu des SA centristes ou libéraux bon teints. Il n'y a aucune règle de ce côté.
Toute cette gigantesque palette comportementale existe, et aucun des exemples que je prends ne seraient d'ailleurs capables de résumer à eux seuls toutes ces nuances que justement l'on y retrouve, tout ce qui fait de nous avant tout des individus tous remarquables, certes affligé d'un trouble neurologique très particulier, mais qui ne saurait devenir notre unique limite, notre seule horizon lorsqu'il s'agit de nous décrire et de nous définir auprès d'autrui.
Et nos comportements sont certainement aussi variés que nos propres apparences le sont.
Or le risque de ne plus se définir que comme "autiste", de ne plus voir et discuter de façon privilégiée qu'avec des "autistes", de ne plus vivre de façon exclusive que dans cet "Autistan" -pour reprendre ce néologisme de Josef qui semble être également devenu dans son cas un genre de prophétie auto-réalisatrice-, oui, ce risque me semble tout à fait réel pour nombre de personnes que je vois ça et là aussi bien sur la toile qu'IRL. Et c'est sans doute pensé, favorisé et voulu, là encore, avec les meilleures intentions du monde, et en pensant certainement très bien faire afin de pallier aux problèmes engendrés par nombres nos interactions parfois difficiles avec certains NT, et ce en proposant cette alternative que représenterait un "entre-soi" autiste.
Ce risque existe d'autant plus que nos propres identités ont longtemps été malmenées, que nous nous sommes très longtemps posés la question de ce qui n'allait pas forcément chez nous ou a contrario de ce qui semblait nous rendre uniques et différents, et que ce diagnostic final peut dès lors être très facilement confondu avec ce qu'il n'est pourtant pas.
Plusieurs d'entre nous sont certainement très fragiles et très vulnérables de ce côté-là.
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Je m'arrête ici pour ce soir.
Mais est-ce que d'autres ont néanmoins compris où je voulais éventuellement en venir?
Je vous remercie de m'avoir lu, et n'hésitez pas à réagir si vous vous en sentez l'envie.