12 novembre 2014 - Mélanie Loisel - Le Devoir

Photo: Jacques Nadeau Le Devoir «L’image des autistes à la Rain Man est fausse. Ce n’est pas la réalité», dit Étienne D. Laurin, qui continue d’être fasciné par ces êtres uniques.
Étienne D. Lorrain ne s’en cache pas : il n’est pas très sociable. Il le dit clairement : il en a marre d’être forcé à créer des liens avec tous ceux qui l’entourent. « Sincèrement, je n’ai jamais eu l’intention de me sociabiliser. C’est une idée de mes enseignants, une conception qu’ils ont eue en tête et qu’ils m’ont imposée depuis des années », lance-t-il, soulignant l’ampleur de l’effort consenti pour parler de son trouble du spectre de l’autisme (TSA) en entrevue.
Lors de la rencontre au Musée des beaux-arts de Montréal, il avait plutôt envie de discuter de sa passion pour ce qu’il appelle « les temps bibliques ». Jésus, Moïse, Abraham le fascinent actuellement. Mais il y a quelques mois, il était plutôt intrigué par les tueurs en série ! Il savait tout d’eux, déployant un savoir quasi encyclopédique comme c’est souvent le cas chez certaines personnes autistes.
Quand il avait trois ans, on a diagnostiqué à Étienne le syndrome d’Asperger, un diagnostic que risque de recevoir une personne sur 250, majoritairement les garçons. Ce syndrome n’est pas une maladie mentale ni même un handicap, mais un trouble de développement où la communication et les interactions s’exercent de façon différente de celles communément employées.
Dans le milieu scientifique, les chercheurs peinent d’ailleurs à s’entendre sur une définition exacte de l’autisme même si ce trouble est diagnostiqué depuis plus de 70 ans. Le Dr Laurent Mottron parle de ce trouble comme étant « une forme d’adaptation de l’organisme humain à des variations de conditions de vie initiale qui peuvent donner d’énormes difficultés dans la vie de tous les jours ». « Dans le fond, c’est une forme de vie différente où les intérêts et les émotions ne fonctionnent pas du tout de la même manière », précise ce grand spécialiste de l’autisme de l’hôpital Rivière-des-Prairies. Selon lui, il y aurait même de 30 000 à 40 000 cas d’autisme qui n’auraient toujours pas été diagnostiqués au Québec.
Quatre axes
Il faut dire qu’il existe plusieurs formes d’autisme, qui peuvent être décrites selon quatre axes principaux. « Un autiste est plus ou moins adapté, plus ou moins intelligent, sait plus ou moins parler ou souffre d’un trouble associé à des maladies. C’est tout un spectre où on retrouve des autistes avec une intelligence supérieure et d’autres avec des déficiences », explique le Dr Mottron.
Bien malgré eux, les autistes sortent du lot parce qu’ils ont des conceptions et des réactions différentes. « Les autistes ont aussi une espèce d’incrédulité en voyant que le monde dirigé par les non-autistes fonctionne », mentionne le Dr Mottron. « Ils se demandent par quel miracle notre monde marche alors qu’il y a tant d’abominations. Parce qu’ils se disent que, logiquement, ça ne devrait pas marcher ! »
En fait, les autistes ont leur propre conception de la vie avec leur langage, leur codification et leurs repères. Ce qui donne au commun des mortels l’impression d’un autre monde et conduit à leur mise à l’écart. « Mais la grande erreur est de penser qu’il faut foutre la paix aux autistes », lance le Dr Mottron. Faut-il donc les forcer à essayer d’intégrer notre monde ? Chercher à rentrer dans le leur ?
La coprésidente de la Fondation Autisme Montréal, Johanne Desrochers, qui est aussi la mère d’Étienne, estime qu’il faut essayer de naviguer entre les deux. « Pour un autiste, tout ce qui ne se dessine pas ne se conçoit pas bien », note-t-elle. Pendant des années, elle a dû apprendre à son fils à fonctionner le plus possible dans la société en lui apprenant notamment à converser. « “As-tu passé une bonne journée ?”, c’était une question trop vague pour lui. Maintenant, il a appris qu’il faut dire oui, non, bonjour, mais ça n’allait pas de soi au début », raconte-t-elle.
Les parents qui élèvent un enfant autiste doivent donc, eux aussi, accepter de changer leur façon de faire pour mieux suivre leur rythme. « Tout changement à la routine est difficile pour eux. Plus on change notre environnement, plus on rend la vie difficile à notre enfant. Pour vous dire, il peut y avoir des batailles parce que la couleur du dentifrice n’est pas la bonne », donne comme exemple Mme Desrochers, qui respire mieux maintenant que son grand homme est devenu relativement autonome.
Solitaire
À 20 ans, Étienne achève ses études dans une école spécialisée, vient de terminer un premier stage et se verrait bien travailler à relier les livres. Certes, il est encore un garçon anxieux et manque d’assurance, mais il ne panique plus pour un rien. « Enfants, ils font beaucoup de crises, parce qu’il y a tellement d’informations qu’ils ne comprennent rien. Quand tout le monde parle, ils n’en peuvent plus, alors il faut aussi leur laisser des moments pour eux », souligne-t-elle.
Étienne reconnaît qu’il en a besoin. Il aime bien sortir de temps en temps, voir des expositions, mais il se sent bien quand il a le nez dans ses bouquins. « On me dit de me sortir de mes livres. Encore là, c’est une conception de mes enseignants et je suis toujours en désaccord avec leurs conceptions ! »