Parfois, un événement me sape tellement le moral que je me sens commencer à m'apitoyer sur mon sort, à questionner la qualité de mon intellect et l'orientation que j'ai choisie. Toutefois, ayant horreur de sombrer dans ce genre de pensées, j'essaye de fuir ces sentiments en m'enfermant dans mon monde. Lorsque je suis dans mon monde, je ne souffre plus des choses de la réalité. Comme je n'existe plus en tant qu'individu, ces angoisses n'ont véritablement plus aucune prise sur moi et je suis libérée de l'existence même. C'est pourquoi je pense que la dépression m'est impossible. Le seul risque que j'encours est de définitivement cesser d'exister en tant qu'individu et de n'exister plus qu'en tant que créateur d'autres individualités.
Fort heureusement, l'autre aspect de mon monde, qui se décline en une multitude d'univers, est qu'il est bien souvent générateur de solutions. Ces univers sont le reflet de mes tentatives de résolutions. Il n'existe jamais qu'une seule et unique version d'une même «vie». Elle est le fruit d'une multitude d'intersections, qui sont-elles mêmes le fruit de choix, qu'ils soient personnels ou liés aux conséquences de ceux d'autrui. Si je m'en laisse le temps, je suis convaincu que mon monde devrait me permettre de tout surmonter. C'est en lui que j'ai puisé les solutions qui me permettent de vivre avec mon autisme.
Mais la réalité n'aime pas qu'on lui demande du temps.
Elle nous impose des rythmes qui sont impossibles à soutenir en période de fortes crises. S'il me faudrait une semaine pour retrouver ma confiance, je n'ai que quelques heures, le soir. Et encore, les autres, vecteurs implacables de cette réalité intransigeante, nous rappellent à l'ordre. Mes devoirs, ce que je me dois de faire parce que je pense et je veux être une personne fiable, de confiance, parce que je ne veux pas d'une demie responsabilité, m'imposent d'en sortir souvent trop tôt.
Parfois, j'en arrive à me faire porter pâle, parce que si je peux travailler avec de la fièvre, je ne le peux pas avec une crise de phobie sociale. Mais par la suite, je me reproche cette faiblesse qui m'a terrassée et c'est le dégoût qu'elle m'inspire qui me permet de me relever et d'affronter cette réalité. Rester bien droit dans mes bottes, ne pas laisser les autres dicter le bien-fondé de mes actions et refuser avec entêtement de n'être qu'une demi-personne ; c'est dans la lutte que je trouve la force de me tenir debout, dans cette société si peu propice à mon épanouissement.
C'est étrange, qu'abandonner mon identité dans mon monde soit une telle source de bien-être, comme si elle n'avait au fond pas de raison d'être, alors que dès qu'un autre tente de m'imposer la sienne, je la défend avec un acharnement que rien ne peux ébranler. Cette volonté qui m'anime, d'où peut-elle bien venir ? Je sais que c'est par elle que j'ai toujours su lutter pour le respect de mon intégrité psychique. Je sais qu'elle a le pouvoir étrange de faire tomber toutes les barrières. Je sais qu'elle me permet de partir, seule, dans un pays étranger dont je ne parle pas la langue ou de prendre la parole sur une estrade, face à des centaines de personnes, pour mener un débat d'idées, quand j'ai tant de mal à sortir de chez moi le week-end et à rester dans la même pièce que des inconnus.
N'est ce pas étrange qu'à chaque fois que je me laisse aller à cette attitude défaitiste, elle finisse par éclore du sentiment d'amertume que fait naître en moi mon propre comportement ? Dans ces moments-là, j'ai parfois l'impression qu'il y a en moi une ressource insoupçonnable, cette force qui m'a permis de me tenir dans cette réalité qui pourtant m'oppresse chaque jour. J'y vois ce moi primitif, qui sans parole et sans arme, est tombé en admiration pour la ténacité de cette ombre, qui malgré les coups de lampadaires, de barrières et de murs, ne cessait jamais de poursuivre notre voiture. Obsession de mon enfance, elle m'a tirée vers la réalité. C'est par elle et pour elle que je me suis individualisée. Mon inspiration, mon modèle, elle a fait naître en moi l'envie d'exister. Son intransigeance est devenue la mienne. Je n'ai jamais su son but, et cela n'a jamais eu d'importance. Sa «personnalité» est devenue la mienne, celle de ce moi primitif qui du tréfonds de mes entrailles fait surgir l'invraisemblable force d'être.
L'invraisemblable force d'être
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Re: L'invraisemblable force d'être
Jolie texte me ressemblant presque, notamment dans l'infinité des choix à faire dans cette vie, dont on ne sait jamais la meilleur solution.
Mais par contre, j'arrive à sortir de chez moi le week end pour voir et voir des gens et des gens par centaines depuis 2009 sans que l'amitié n'aboutisse (fautes de ma part et dans ce monde on n'aime pas les timides entre autres) à tel point que chaque jours ou que je sors j'ai l'impression de voir déjà des personnes que j'ai vu et ceux ou que ce soit.
Mais par contre, j'arrive à sortir de chez moi le week end pour voir et voir des gens et des gens par centaines depuis 2009 sans que l'amitié n'aboutisse (fautes de ma part et dans ce monde on n'aime pas les timides entre autres) à tel point que chaque jours ou que je sors j'ai l'impression de voir déjà des personnes que j'ai vu et ceux ou que ce soit.
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Re: L'invraisemblable force d'être
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Re: L'invraisemblable force d'être
Ce texte -comme tes autres interventions- me touche énormément...
Surtout ce passage là:
Surtout ce passage là:
Merci pour ton écriture affûtée et percutante, elle résonne au plus profond...Mais la réalité n'aime pas qu'on lui demande du temps.
Elle nous impose des rythmes qui sont impossibles à soutenir en période de fortes crises. S'il me faudrait une semaine pour retrouver ma confiance, je n'ai que quelques heures, le soir. Et encore, les autres, vecteurs implacables de cette réalité intransigeante, nous rappellent à l'ordre. Mes devoirs, ce que je me dois de faire parce que je pense et je veux être une personne fiable, de confiance, parce que je ne veux pas d'une demie responsabilité, m'imposent d'en sortir souvent trop tôt.
Parfois, j'en arrive à me faire porter pâle, parce que si je peux travailler avec de la fièvre, je ne le peux pas avec une crise de phobie sociale. Mais par la suite, je me reproche cette faiblesse qui m'a terrassée et c'est le dégoût qu'elle m'inspire qui me permet de me relever et d'affronter cette réalité. Rester bien droit dans mes bottes, ne pas laisser les autres dicter le bien-fondé de mes actions et refuser avec entêtement de n'être qu'une demi-personne ; c'est dans la lutte que je trouve la force de me tenir debout, dans cette société si peu propice à mon épanouissement.
30 ans, autiste cru 2013, trans (il/lui), Brest. Ex AVS, artiste, diplômé en Art. Propriétaire d'un Loup intérieur et dérapeur de réalité. ⚥
"Sire, sire, on en a gros!"
En bordure du bout du monde + La manufacture des loups + BANG! + Ouroboros
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Re: L'invraisemblable force d'être
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"J'aurais pas été besoin" Nikos Aliagas, philosophe grec des Lumières
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