Version courte
Director's cutJe voudrais m'adresser aux personnes pour lesquelles, un mot dans une phrase écrite ou prononcé par un autre peut-être un motif suffisant de rupture relationnelle pour soi.
Je ne parle pas du tout d'insultes. Juste d'un mot ou d'une idée qui apparait en l'autre mais qui est impossible par rapport à soi. Comment ca marche pour vous ?
Et là, je pense qu'il y a deux phénomènes :
- le premier c'est l'impossibilité du mot dans un champ relationnel. C'est très intéressant de se dire qu'il y a un horizon relationnel possible, mais qu'il y a aussi des bordures périphériques qui font sortir du champ la relation dans un impossible. C'est pas comme si c'était possible justement de déplacer son horizon dans celui d'une autre personne. Il y a rigidité. Est-ce que vous etes capables de vous adapter, ou non ?
- le second c'est la rupture elle-même. De quelle sorte est-elle pour vous ? Ambivalente ? Radicale ? Définitive, temporaire ?
Relations homme-homme c'est presque impossible. Le seul homme avec lequel je m'entends bien c'est un ami que je ne vois pas souvent et qui était mon prof à l'univ. On a le même centre d'interet. Je n'ai jamais pu nouer une relation amicale avec un homme sans tomber dans le mot impossible (assez vite). Les hommes qui me parlent des femmes, c'est souvent dégoutant. Souvent la cause de la rupture c'est une question de valeur morale
Relations homme-femme (non amoureuse). J'ai une amie de longue durée (plus de vingt ans). C'est la seule personne avec laquelle je n'ai pas eu ca. Et comme par hasard, elle a été diagnostiqué récemment tsa (la cause de l'amitié ?). Sinon c'est le même schéma que celui des hommes. Au travail c'est une grande souffrance parce que je dois cotoyer des personnes (un monde féminin essentiellement) avec lesquelles il m'est impossible d'être en relation. Meme cause de rupture que pour les hommes : je ne comprends pas ces personnes. Le maquillage, les artifices, les sujets de conversations, les mouvements, les rythmes, rien ne me touche. Il y a une distance infranchissable dans laquelle les relations sont précaires.
Relations homme-femme (amoureuse). Pour contextualiser je raconte une histoire, mais c'est quasi un archétype chez moi. Quasi, j'ai dit ! Même si je n'ai pas eu plus de relations amoureuses que de doigts dans une main.
J'avais 20 ans à l'université et je fais connaissance avec Gloria dans un cours. Elle est très intelligente, sensible, intellectuelle : la voie lactée. On se voit tout le temps. Ca dure plusieurs mois. Impossible de lui parler de ce que je pense d'elle. Un soir, au moment de l'au revoir, je n'arrive toujours pas. Je m'en vais, puis je fais demi-tour. Je ne sais pas ce que je dois dire, je reviens vers elle. Et en face d'elle, je suis physiquement là, mais ma tete n'enchaine pas. Pour m'en sortir, je dis "je pense qu'il vaut mieux que je rentre". Le métro arrive. Et elle me répond "oui c'est mieux je crois". Sa phrase a été un impossible pour moi. Le lendemain, je ne lui ai plus parlé pendant des années. Plus tard, lors d'un échange où je voulais m'excuser de ma façon d'avoir réagi, elle m'a expliqué qu'elle éprouvait alors les mêmes sentiments pour moi.
Si je me rappelle bien la logique de la rupture à l'époque dans ma tête c'était "si elle avait un sentiment pour moi elle ne m'aurait pas conseillé de partir" donc si elle l'a fait c'est qu'elle n'a rien pour moi. Logique implacable... ! Qui ne me rendait absolument pas sensible à ce qu'elle devait éprouver. C'est terrible ça. C'est comme si j'étais un hors-sujet vivant. La seule solution aurait été qu'elle fasse un pas qui brise ce truc. En ne faisant rien, elle confirmait mon raisonnement. La boucle est impitoyable.
Est-ce que vous faites des choses comme ca ?
Dans ce type de rupture, il y a deux choses qui me questionnent.
- D'abord le langage. Il y a des échanges et pourtant un mot suffit à couper toutes explications, discussions. C'est pas du tout une question de sentiments par rapport à elle et à moi-même. Tout est là, intacte. La rupture n'a rien avoir avec les sentiments c'est ça qui est dingue ! C'est comme un disjoncteur qui saute. Le courant arrive toujours mais il ne passe plus par le langage. Je crois que c'est une question de perte de confiance qui me dicte de couper.
- Ensuite le rapport à soi-même. Comment c'est possible d'être en décalage à ce point avec soi-même ? Normalement, je suppose que l'on devrait se dire que le contexte n'était pas approprié. Qu'il faudrait "tenter sa chance" à un autre moment ? Non je ne joue pas. Il n'y a pas d'arrière boutique. Et je passe alors un temps infini à essayer de comprendre pourquoi il y a eu surtension. A démêler les cables, tout ce chaos incompréhensible de signes contradictoires (dans ce que je perçois chez l'autre) qui ne me permettent plus d'envisager la relation autrement qu'à travers une souffrance parce que je ne la comprends pas. C'est comme si l'autre n'était pas ce qu'il prétendait être. Et j'ai remarqué que la seule réponse pour moi est dans le temps et le silence. Le temps m'a toujours permis de voir clair en moi et chez les autres. Mais ce schéma est un vrai probleme relationnel.
Un brise coeurs