Voilà le débat à la commission des affaires sociales:
https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/ ... c256000036
Amendements identiques AS359 de la rapporteure, AS330 de M. Philippe Vigier, AS344 de M. Laurent Marcangeli, AS354 de Mme Caroline Janvier et AS355 de M. Christophe Naegelen, amendements identiques AS269 de M. Stéphane Peu et AS301 de M. Hadrien Clouet, amendements identiques AS88 de M. Julien Bayou et AS255 de Mme Clémence Guetté, amendements AS168 de M. Gérard Leseul et AS236 de M. Aurélien Taché (discussion commune).
Mme la rapporteure. Nous en venons à la question de la déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés (AAH), qui a fait l’objet d’âpres débats dans notre assemblée, dans lesquels se sont impliqués des collègues de différents groupes dont Stéphane Viry, Pierre Dharréville ou encore notre ancienne collègue Jeanine Dubié.
La majorité s’y était montrée défavorable, pour plusieurs raisons. En premier lieu, cette mesure, si elle aurait un effet financier favorable pour la plupart des intéressés, aurait aussi des conséquences négatives pour 45 000 personnes. Ensuite, l’AAH s’assimile à une compensation de l’absence de revenus liés au travail : comme d’autres prestations sociales, elle est rattachée au foyer. Déconjugaliser l’AAH conduirait donc à remettre en cause le fonctionnement de l’ensemble de notre système de protection sociale. Traiter cette question à part serait discutable, puisque cela reviendrait à appliquer un traitement particulier aux personnes en situation de handicap.
Néanmoins, après tous ces débats, je crois que nous avons la possibilité d’aller vers un changement de mode de fonctionnement, en engageant la coconstruction que, d’une certaine manière, les Français ont appelée de leurs vœux. Nous pourrions tous faire un pas les uns vers les autres pour aboutir à un compromis qui satisfasse la grande majorité d’entre nous. De son côté, le Président de la République a infléchi sa position et s’est engagé à aller vers la déconjugalisation. Lors de son discours de politique générale, la Première ministre l’a confirmé et nous a autorisés à intégrer cette question dans le présent texte, en annonçant qu’elle lèverait le gage.
Tous les groupes politiques ont donc déposé un amendement visant à déconjugaliser l’AAH. Ont été déclarés irrecevables ceux qui essayaient de régler le problème des perdants de la réforme, ce gage‑là n’ayant pas été levé par la Première ministre – il l’a été, mais trop tardivement, après la date limite de dépôt des amendements, par le ministre Olivier Dussopt lors de son audition. Nous sommes donc saisis de plusieurs propositions de déconjugalisation « sèche » de l’AAH. En déposant moi‑même un tel amendement, je veux réaffirmer l’engagement de la majorité à aller dans cette direction. Toutefois, il nous faut continuer à travailler afin de régler la question des perdants, à savoir les personnes en situation de handicap qui sont le seul membre du couple à travailler.
Après de nombreuses discussions, le consensus qui se dégage est que s’il faut procéder à la déconjugalisation, il ne faut pas qu’elle se fasse de manière brutale, sans un système d’accompagnement et de gestion des perdants. Je pense aussi qu’un tel sujet mérite autre chose qu’une discussion en commission. Je propose donc que nous ne votions rien aujourd’hui et que nous continuions à travailler en coconstruction d’ici à la séance – je me tiens à la disposition des groupes pour ce faire – pour aboutir à une solution qui conviendrait à la grande majorité de l’Assemblée. Le dispositif doit assurer à la fois la déconjugalisation et la gestion des perdants. C’est pourquoi je vous propose de retirer l’ensemble des amendements de déconjugalisation sèche pour discuter en séance d’un amendement plus solide qui couvre l’ensemble des enjeux que je viens d’évoquer.
M. Philippe Vigier. Ces cinq dernières années sont en effet marquées par cet échec. Nous nous n’avons pas su régler cette question, alors que la déconjugalisation de l’AAH avait été défendue par de nombreux députés sur tous les bancs, à commencer par Jeanine Dubié. C’est un moment important que nous vivons, et je suis heureux que nous nous engagions dans une démarche de coconstruction et que le Parlement, enfin de retour, prenne le problème à bras‑le‑corps.
Je ferai néanmoins deux remarques. D’abord, s’il ne doit pas y avoir de perdants, cela signifie, comme il s’agit d’une charge nouvelle pour les finances publiques, que le ministre doit s’engager à régler la situation de ces 45 000 personnes.
Mme la rapporteure. Il l’a fait.
M. Philippe Vigier. Il faut donc qu’un amendement soit proposé à l’ensemble des groupes politiques. Nous aurons ainsi fait notre boulot de façon efficace, solidaire et transversale, dans le seul objectif de répondre à l’injustice actuelle.
Ensuite, vous indiquez dans votre amendement, madame la rapporteure, que la réforme doit entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2024. On ne peut pas en rester là. Vu le contexte, un délai de six mois semblerait préférable – c’est en tout cas la proposition que j’émets au nom du groupe Dem.
Porter un tel amendement de façon transversale, comme cela s’est déjà fait par le passé, serait un acte fort.
M. Paul Christophe. C’est en effet un sujet important pour nombre d’entre nous. Si des avancées importantes, notamment la revalorisation de l’AAH, ont été obtenues au cours des cinq dernières années, il restait cette pierre d’achoppement. Nous avons été nombreux, sur divers bancs, à soutenir la déconjugalisation. Cependant, la rapporteure a raison : une déconjugalisation sèche ne serait pas satisfaisante, parce qu’elle aurait un effet pervers pour 45 000 personnes. Je suis donc d’accord pour retirer notre amendement AS344 et travailler à un amendement collectif en vue de la séance, mais à condition que l’ensemble des groupes soient associés, car c’est une question qui concerne tout le monde. J’appelle aussi votre attention sur le fait que déposer un amendement de manière collégiale dans les délais impartis demandera beaucoup d’agilité. Nous comptons sur vous, madame la rapporteure.
Mme Caroline Janvier. Il est utile, en effet, de rappeler ce qui a été fait au cours des cinq dernières années pour ne pas rester sur une impression d’échec du fait du non-vote de la déconjugalisation.
Nous avons revalorisé de 12 % le montant de l’AAH, le portant de 810 à 910 euros, ce qui est substantiel – cela a d’ailleurs représenté un coût important pour nos finances publiques, mais c’était nécessaire. Nous avons instauré le droit à vie à l’AAH, suivant les préconisations du rapport d’Adrien Taquet, pour 150 000 personnes dont le handicap n’est pas susceptible d’évoluer. Enfin, nous avons réformé le système d’abattement sur les ressources du conjoint de sorte que les bénéficiaires de l’AAH dont le conjoint est rémunéré au SMIC restent allocataires à taux plein.
L’avancée qui nous est proposée répond à une demande légitime et unanime du secteur du handicap. Il est heureux que nous ayons la perspective d’aboutir en séance à un amendement identiquement défendu par tous les groupes et qui puisse concerner l’ensemble des bénéficiaires, y compris les 45 000 personnes pour qui les amendements en discussion auraient un effet négatif.
M. Paul-André Colombani. Avec notre amendement AS355, je veux rappeler le travail acharné de Jeanine Dubié pendant la précédente législature : c’est grâce à elle que la disposition avait été adoptée en première lecture dans le cadre de la niche parlementaire du groupe Libertés et Territoires. La navette avec le Sénat avait alors permis de combler un angle mort qui faisait des perdants – malheureusement, la majorité avait choisi de ne pas nous suivre. Je suis heureux que tout le monde ait retrouvé la raison et je suis entièrement d’accord pour une coconstruction, ainsi que pour avancer la date d’application au 1er janvier 2023.
M. Stéphane Peu. Dès sa création en 1974 par le secrétaire d’État auprès de Simone Veil qui en était chargé, l’AAH a été conçue comme une allocation d’autonomie. C’est au fil du temps qu’elle est devenue une prestation sociale. En la déconjugalisant, on revient ainsi à sa fonction originelle.
J’avais présenté la proposition dans l’hémicycle à trois reprises avec Jeanine Dubié : je pourrais en dire beaucoup sur les cinq années passées...
Nous soutenons l’idée d’une coconstruction, mais qui permette à chaque groupe de déposer son amendement, même identique aux autres, afin de pouvoir livrer sa propre interprétation dans son exposé sommaire.
Enfin, le délai d’application doit effectivement être beaucoup plus court. On a beaucoup trop traîné, l’attente est immense, les associations sont unanimes : il faut aller vite.
Mme Clémence Guetté. Sans vouloir briser le consensus général – nous soutiendrons évidemment la déconjugalisation de l’AAH, nous avons déposé les amendements AS301 et AS255 en ce sens – je tiens à dire la surprise que nous a inspiré l’épiphanie de Mme Borne dans son discours de politique générale. Pendant cinq ans, alors qu’il y avait déjà urgence, nous avons proposé cette mesure. En mars 2019, vous avez refusé. En décembre 2019, vous avez refusé. En juin 2021, en octobre 2021, en décembre 2021, vous avez refusé ! Je le rappelle, même si cela vous gêne !
Tant mieux si vous vous rangez à notre avis, mais les gens ont déjà trop attendu. Selon une enquête APF France handicap menée auprès de femmes en situation de handicap – celles qui pâtissent le plus de la situation – le revenu de près de 45 % des répondantes est affecté par le dispositif actuel. Ce n’est peut-être pas le dernier sujet sur lequel vous vous rangerez à notre point de vue après coup...
L’inflation s’ajoutant à l’urgence, il faut absolument agir vite. Je suis également d’accord pour que chaque groupe rédige l’amendement à sa manière.
Mme Marie-Charlotte Garin. Nous nous réjouissons de parvenir à un consensus. Par notre amendement AS88, nous sommes favorables à une déconjugalisation effective en 2023 : la dignité n’attend pas et nous sommes déjà en retard. La succession de refus lors du précédent quinquennat a été particulièrement choquante. L’enjeu est l’indépendance économique, principalement des femmes. Si une femme sur trois est victime de violences sexistes et sexuelles au cours de sa vie, ce chiffre est triplé pour les femmes en situation de handicap, et le lien entre cette situation et la dépendance économique est très marqué dans leur cas.
La mesure a été demandée de manière répétée par les associations et par les premières concernées. S’il y a un enseignement à en tirer, c’est une leçon de méthode : on pourrait travailler de manière plus constructive avec les unes et les autres !
Nous sommes donc favorables à une coconstruction ambitieuse. Nous jugerons sur les actes, puisque c’est ainsi que nous serons tous jugés.
M. Jean-Hugues Ratenon. Je défends l’amendement AS255. Ce consensus est bienvenu. Clémence Guetté a eu raison de pointer les manquements successifs à l’exigence de justice sociale. Enfin, nous allons rendre justice à beaucoup de familles. Cette situation touche énormément les femmes, brise des couples, rompt la cohésion sociale et complique souvent la recherche d’un emploi. Elle pose des problèmes de pouvoir d’achat et crée des situations dramatiques dans l’Hexagone, mais aussi dans les outre-mer.
Mme Christine Pires Beaune. Merci de m’accueillir au sein de votre commission.
Je salue le travail accompli pendant les cinq dernières années, en particulier par Jeanine Dubié. À plusieurs reprises au cours du quinquennat, nous – c’est‑à‑dire des députés siégeant sur presque tous les bancs – avons tenté de faire adopter la déconjugalisation, hélas sans succès. Chargée de suivre cette mesure au nom du groupe Socialistes et apparentés dans différentes propositions de loi, j’avais parlé à l’époque de procrastination. Il nous paraissait tellement injuste de laisser toutes les personnes concernées dans cette situation !
Dans son discours de politique générale, la Première ministre s’est dite favorable à la déconjugalisation et a levé le gage. Nous allons enfin faire cesser cette humiliation selon laquelle une personne subissant un handicap doit dépendre des revenus de son conjoint ou de sa conjointe. Le handicap ne se partage pas ! C’est la solidarité nationale qui doit permettre l’autonomie des personnes handicapées, non la solidarité familiale.
Notre amendement AS168, qui vise à corriger cette situation, fait malheureusement, tel qu’il est rédigé, des perdants. Nous suivrons les autres groupes en le retirant et en saisissant la main que vous nous tendez pour rédiger ensemble un amendement qui parvienne au même but sans présenter cet inconvénient. Plus exactement, il faudra un amendement par groupe, identique aux autres mais ayant son exposé sommaire spécifique.
Quant à la date, l’effectivité au 1er janvier 2024 n’est tout simplement pas possible : nous attendons, ils attendent depuis trop longtemps ! Il faut que le Gouvernement nous entende sur ce point.
Enfin, il faudra prévoir la possibilité de changer de système pour tenir compte des événements de la vie et du caractère évolutif des situations.
Mme Sandrine Rousseau. L’amendement AS236 est défendu.
Mme la présidente Fadila Khattabi. Il y a donc consensus sur les points suivants : un amendement par groupe, une date d’entrée en vigueur en 2023, ne pas faire de perdants.
Mme la rapporteure. Merci à tous de vous joindre à cette démarche collective. L’objectif est bien de s’accorder sur le texte de l’amendement tout en permettant à chacun de défendre ses propres positions dans l’exposé sommaire. Je suis également tout à fait d’accord pour avancer la date d’entrée en vigueur.
Les amendements sont retirés.
M. Aurélien Pradié. Je souhaite exprimer la position du groupe Les Républicains sur le sujet.
Le moment que nous vivons est important pour notre fonctionnement démocratique et pour la vie du Parlement. Depuis plus de cinq ans, les uns et les autres bataillent – ou prêchent dans le désert ; et alors que nous avons parfois eu le sentiment que nous n’y arriverions pas, nous sommes en passe de réussir. Le fait que nous soyons désormais tous d’accord montre que la répétition des débats est utile, dans une démocratie parlementaire.
Une autre bonne nouvelle est que la vie de plus de 270 000 de nos concitoyens va changer. De tels changements sont la raison première pour laquelle nous faisons de la politique et sommes députés.
Nous soutiendrons la méthode consistant à déposer des amendements identiques aux exposés sommaires différents, car nous avons chacun nos histoires politiques, nos combats, notre façon de les mener ; il serait absurde et insultant d’effacer les débats que nous avons eus ces cinq dernières années et dont l’âpreté nous a permis d’aboutir.
La mesure doit être appliquée le plus rapidement possible : pas question de traîner davantage.
Le traitement des perdants n’est pas un détail. Près de 50 000 de nos concitoyens sont concernés, plus peut-être demain. Mais de toute façon, une mesure de justice ne saurait créer une nouvelle injustice.
Enfin, il serait utile que nous adoptions la mesure dans une version déjà travaillée par le Sénat, qui avait étudié le sujet de près ; ainsi, la navette ne prendra pas trop de temps. En effet, nous voulons tous que cette mesure vivement attendue entre en vigueur au plus tôt.
Un dernier mot : en l’occurrence, une matière très technique, ne concernant pas un si grand nombre de nos concitoyens, a beaucoup marqué les débats politiques au cours du quinquennat passé. C’est une leçon : il n’y a pas de petit sujet technique, il y a des sujets qui révèlent une vision de la société – ici, de la solidarité, de l’autonomie et de la dignité.