Présentation :
Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines.
Pour Libération il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.
Pour découvrir :
Christian Lehmann est écrivain et médecin dans les Yvelines.
Pour Libération il tient la chronique d’une société suspendue à l’évolution du coronavirus.
Parce que cela me tracasse, j’ai pris mon téléphone, et j’ai appelé des amis urgentistes. Leur constat a été sans appel.
[...]
Oihan, 34 ans, est urgentiste au Samu lui aussi : «[...] On nous a filé des moyens temporaires pour passer la crise, qui en pratique correspondaient aux moyens dont on aurait besoin pour bosser efficacement et décemment en temps normal. Les trois-quarts de ces moyens ont été repris dès le bordel fini et on nous a gentiment expliqué que oui, mais bon, faut pas déconner non plus, hein, ça coûte du pognon tout ça. Donc on va se refaire un été en flux tendu, puis un hiver en sous-dimensionnement, et on sera surpris comme tous les ans à chaque fois qu’on apprendra que l’hôpital est en tension, et rien ne changera. Et nous… (on tiendra), on tiendra, à grands coups de burn-out et d’enfumage politique et administratif, comme d’habitude.»
C’était le 10 Juillet, sur Public Sénat. Il y a un an, une éternité. J’avais été invité pour commenter la décision du gouvernement de mettre fin au remboursement de l’homéopathie en raison de son absence d’efficacité. Face à moi, deux sénateurs, un écologiste persuadé qu’il existait une science dure et une science molle, et un sénateur du Nord, Olivier Henno, qui se trouvait avoir quelques usines à granules sur son territoire. Lorsque j’ai rappelé que la somme économisée annuellement, 130 millions d’euros, correspondait au double du plan de secours annoncé pour les services d’urgence, mes adversaires crièrent au scandale. Comment pouvais-je être assez naïf pour imaginer que cet argent serait redistribué ? J’alertai sur l’état des urgences en ce début d’été où les médecins de ville fourbus partent en vacances et où les services ferment : «Les urgences sont au bord de craquer, vous le savez bien, 200 services sont en grève. Des gens vont souffrir en attendant sur des brancards parce qu’on rembourse du sucre à 7 000 euros le kilo !» répétai-je sous l’œil indigné de mes interlocuteurs. «Mais c’est une blague !» s’étrangla Henno. «Vous plaisantez ! La dramatisation n’est jamais sérieuse.» Je regardais mes interlocuteurs, privilégiés parmi les privilégiés, railler ma mise en garde. Et je les comprenais. Les services d’urgence, comme les généralistes, avaient toujours été là. Ils avaient toujours tenu, malgré le mépris dont on les accablait. Ils tiendraient bien un été de plus, une canicule de plus, pendant que les sénateurs se reposeraient de leur harassant fardeau…
Et puis un jour, vint le Covid.