Si je devais définir ma relation au travail, je choisirais le statut "c'est compliqué"
Je ne travaille pas à temps plein en CDI, je ne fais que "passer donner un coup de main" comme disent parfois mes collègues, que je dépanne sur une période plus ou moins longue pour remplacer ceux qui partent en vacances ou pour renforcer l'équipe sur les semaines festives/événementielles (pensez aux employés surmenés quand vous faites vos courses alimentaires de nowel, c'est très dur pour nous...). Je le fais à la fois pour l'
expérience, l'argent (je culpabilise de ne pas avoir de revenus réguliers pour contribuer à la santé financière du foyer) et certains collègues dont j'apprécie l'organisation, les méthodes de travail et les directives concises et précises. Si j'ai le malheur de travailler avec des gens qui ne communiquent pas de façon claire et qui sont chaotiques dans leurs méthodes et/ou leur organisation, je trouve un prétexte quand ils refont appel à moi, pour ne plus avoir à les côtoyer (je dépanne sur plusieurs magasins d'une grosse enseigne, je suis un peu un CDD de luxe, car je connais énormément de choses sur son fonctionnement et du coup, je peux accomplir une plus grande diversité de tâches et suis plus rapide et efficace qu'un CDD qu'on doit prendre le temps de former, sans être sûr de le revoir un jour après la fin de son contrat).
Il y a deux fonctions principales, très différentes, qu'on doit alterner à tout moment dans la journée :
- la première consiste à réapprovisionner le magasin. C'est la partie physique qui me plaît, car le contact client est alors peu fréquent et assez bref, le temps d'un renseignement dans une allée du magasin. Du moment qu'on m'informe du changement de place des produits, tout va bien (enfin, ça me contrarie de devoir apprendre de nouveaux emplacements par-dessus les anciens, mais on fait avec...), puisque je retiens facilement. J'aime beaucoup gérer les stocks et les ranger, même si la contrainte de rapidité est très stressante.
- la seconde est mon pire cauchemar, à savoir la caisse. Selon l'affluence et la cadence, mon accueil peut très vite se dégrader, n'ayant pas le temps de me recentrer entre deux clients, surtout si un détail me contrarie. Par exemple, le client qui ne dit ni bonjour ni merci ni au revoir ni merde (avoir un Léodagan me ravirait presque), celui qui dépose directement son panier plutôt que de sortir les produits, quand il ne les pose pas du mauvais côté, celui qui range son panier au mauvais endroit ou qui le pose de travers sur un panier de forme différente (ces gens-là, j'ai la furieuse envie de leur demander de retourner en maternelle pour réapprendre à emboîter les carrés dans les carrés et les ronds dans les ronds), celui qui te jette sa carte bancaire au visage alors que l'appareil dédié se trouve sous son nez. L'aspect le plus pénible, c'est quand je me retrouve toute seule en magasin, assignée à la caisse, sans plus rien d'autre à faire sinon d'attendre les clients, et que mes collègues ont disparu sans que je sache où ils sont, ce qu'ils font, alors que j'ignore quelle sera la suite du programme et que je ne peux donc pas m'y préparer mentalement (certains ont compris que ça me stresse à mort et pensent parfois à m'en informer quand je n'ai pas eu le temps de les interpeller avant leur longue disparition dans les locaux annexes, d'autres n'ont pas cette délicatesse).
Bref, ce genre de travail, ça dépanne financièrement, mais ça m'épuise et ça m'use nerveusement et psychiquement (le bruit ambiant, la musique en continu, le bruit que font les clients et surtout leurs enfants, les néons sont des stimulations extrêmement désagréables et irritantes). En général, il me faut une semaine de repos pour récupérer d'une semaine de travail à 35h. En dehors des grosses périodes de fêtes, je m'arrange pour travailler moins de 25h, à cause des cours, des répétitions et des concerts, car je n'ai pas assez d'énergie pour tout (et c'est une catastrophe pendant les menstruations, mais ça, c'est une autre histoire). Par exemple, il m'est impossible de travailler en magasin en journée et de donner un concert le soir : j'aurais à peine la force de me traîner jusqu'au lieu et de me tenir debout, mais je serais incapable de partager quoi que ce soit avec le public. Ça m'est arrivé une fois, je me sentais tellement mal pour mon groupe et pour le chef qui comptaient sur moi...
Mon rêve serait de parvenir à me faire une place dans le milieu artistique et d'y gagner ma vie. Se pose alors le problème de la socialisation, car il faut être capable de se créer un réseau, de collectionner des relations et de les "faire jouer" (je n'ai toujours pas compris en quoi ça consistait ni comment ça fonctionnait. Si quelqu'un a un mode d'emploi...
). Je m'exerce sur internet, parfois j'arrive à réseauter un peu en vrai, mais comme j'ai énormément de mal avec les codes sociaux, je ne sais jamais à quel moment faire ou dire telle ou telle chose, qui paraît pourtant évident à mes collègues musiciens, et je passe à côté de plein d'opportunités.