Professeur Jacques CONSTANT (Chartres)
Jacques Constant, après nous avoir rappelé avec humour qu'il avait cessé son activité après une carrière brillante, nous a fait part de son expérience dans le cadre de la structure pour jeunes autistes (14 à 24 ans) qu'il a créée à Chartres, et dans laquelle, depuis 2000, il a accueilli 69 adolescents en SESSAD, en IME et en SAJ. Selon lui "ce qui va mal à l'adolescence, c'est l'accompagnement ».
Dans un premier temps, il nous a décrit le référentiel méthodologique et conceptuel en se posant la question suivante :dans la rencontre entre une personne neurotypique et une personne autiste (TED), qui est le plus handicapé des deux ? Comment dépasser cette situation handicapante pour les personnes non autistes ? Pour Jacques Constant c'est au dispositif de travail que revient le rôle de catalyseur. L'organisation du travail et l'utilisation des << procédures » vont servir de prothèse. Ceci avec trois objectifs réalistes :
--favoriser l'autonomie (le plus possible).
- augmenter la qualité de vie de la personne autiste et de sa famille.
- Diminuer la souffrance psychique et donc les troubles du comportement, les autistes s'expri- mant préférentiellement par leur comportement.
J. Constant insiste sur le fait que pour accompagner ces personnes << on n'a pas le choix dans les moyens « . Il faut passer par leur stratégie comportementale et donc accepter le mode « d'être au monde autiste » (théorie de << l'esprit de l'autiste ») et s'appuyer sur les ressources émergentes des personnes TED. L'équipe doit accepter le consensus actuel : il ne s'agit pas de sortir de l'autisme mais de vivre avec. Ce n'est pas parce qu'ils sont autistes qu'il n'y a pas d'espoir évolutif mais ça dépendra de leur niveau de capacité.
Il fait référence aux personnes TED SDI qui disent ce primat du système logique cognitif par rapport au système psycho affectif qui est le nôtre, et le primat du rapport visuel plutôt que langagier avec l'environnement.
Pour obtenir l'assouplissement des mécanismes autistiques, on a des paradoxes à respecter :
- - Penser l'environnement extérieur pour obtenir un apaisement intérieur.
- Ritualiser pour permettre un peu de jeu et d'adaptation aux nouveautés
- Protocoliser pour obtenir un peu de jeu spontané
- Se taire pour mieux communiquer
- Agir concrètement pour « espérer » une mentalisation symbolique
-Objectiver pour subjectiver
Dans un deuxième temps J. Constant fait le lien entre l'évaluation et le travail avec ces personnes.
À 14 ans on est dans une période de dévaluation n, il faudra donc un processus de réévaluation qui comprend un accueil informel dans les locaux (et dans notre psyché), une évaluation standardisée du diagnostic, des capacités fonctionnelles. Pour les outils, l'EFI est très utile pour les bas niveaux et le test de Raven qui est un des seuls tests de niveau qui n'emploient pas de langage et qui permettent de voir une potentialité cognitive en dehors de l'utilisation du langage. Les parents et les professionnels de terrain sont associés à ce travail. Sur 69 personnes, depuis 2000, trois groupes ont été définis :
- les plus handicapés : si l'intensité du TED est légère on les classe dans les arriérés profonds, si l'intensité est moyenne on peut les définir comme des cas lourds » et enfin si l'intensité est sévère J.Constant les dénomme « double peine » car ils cumulent la peine de l'intensité du mécanisme autistique et l'archaïsme de leurs capacités intellectuelles. Ils ont fortement bénéficié des progrès techniques.
- les niveaux moyens (les plus nombreux) : c'est avec eux que nos procédures sont de loin les plus efficaces.
- les bons niveaux (Asperger, TED SDI) qui sont très décevants car malgré l'espoir qu'ils suscitent « ils sont plus faciles à enseigner qu'à éduquer ». Le trouble de l'interaction sociale reste le plus permanent et le moins corrigé.
Si le projet issu de l'évaluation vise trop haut, il échoue. Dans l'équipe, une éducatrice référente, très expérimentée, est consultée pour faire une micro-évaluation et l'équipe réajuste le projet. Il s'agit de passer vers une pratique d'évaluation permanente à la fois du jeune, des accompagnants et du dispositif.
L'approche pragmatique et intégrative vise à une articulation entre le projet personnalisé et le projet d'établissement.
Il s'agit d'une description de la pratique pragmatique car elle vise la meilleure autonomie possible et intégrative : elle intègre différentes techniques comportementales et qu'elle utilise différents procédés de compensation.
La loi de 2002 impose de travailler « sous ordonnance parentale »,en fonction des résultats de l'évaluation fonctionnelle, donc sous ces deux contraintes. Il faut recréer les conditions institutionnelles de formatage pour arriver à ce que les petits exercices que l'on fait en vue de compenser les déficiences par des prothèses puissent s'encadrer dans un environnement prévisible et prévu sans lequel on ne peut avoir d'efficacité. C'est essentiel pour les personnes autistes mais aussi pour rassurer les professionnels. Quand on voit la compensation des déficiences cette notion de prothèse est très claire dans le domaine de la sensorialité, elle n'est pas du tout claire quand on est dans le domaine du handicap psychique.
Compenser la déficience d'interaction sociale : ça marche bien pour les bons niveaux, c'est plus difficile pour les moyens et très difficile pour ne pas dire impossible pour les niveaux faibles. On demande aux éducateurs d'être en position de « décodeur social ».
Compenser la déficience de communication :il faut rechercher le meilleur canal et s'appuyer sur des outils (PECS, HotToys, GoTalk, ...).
Compenser les modes de percevoir et de pensée : il n'y a guère que la prévisibilité de l'environnement et l'analyse méticuleuse des comportements gênants qui nécessitent des inventions à chaque fois. Dans les situations d'apprentissage, la plus grande difficulté est dans la généralisation. On se heurte à la résistance des professionnels à utiliser des outils dont ils n'ont pas l'habitude ; et, d'autre part, à la résistance de la personne autiste qui, lorsque l'environnement change, n'a pas le même usage de ses outils (emplois du temps, séquentiels visuels,, albums de communication par images, ...).
La progression vers l'autonomie utilise le TAID (Travail en Apprentissage Interactif Développemental) : stimulation sur des segments de comportement (proche de l'ABA). Puis un temps de travail seul (poste de travail TEACCH), puis un temps de travail en ligne avec les autres.
Enfin un temps de travail d'intégration dans la cité.
Autant que possible ces prestations sont en trois temps (préparer, accompagner, raconter) selon les moyens.
Le passage à l'âge adulte se prépare par :
- - la distanciation progressive des liens familiaux
- accompagner le jeune vers l'apprentissage de la citoyenneté
- accompagner dans les processus d'orientation d'une structure à une autre
- s'articuler avec les établissements
- préparer au monde professionnel (ESAT)
Des outils aident dans ce travail en réseau avec les structures pour adultes (DVD d'information sur le permis de se conduire en pays autiste).
Résultats et perspectives : « o
n dit que les autistes ont une résistance au changement mais je vous garantis que les travailleurs aussi ». Quand on change ses habitudes de travail c'est aussi changer son idéologie, ses représentations les plus profondes. La difficulté majeure est d'avoir une théorie de l'esprit de la personne autiste et puis aussi certaines équipes de direction sont intéressées plus par l'obtention des budgets liés à l'autisme que par la satisfaction des besoins des personnes autistes.
Entre 14 et 24 ans, la sémiologie des personnes autistes évolue peu dans les troubles des interactions, en revanche dans les troubles de la communication c'est là que les prothèses sont les plus efficaces, même pour les très faibles niveaux. Pour les troubles des conduites, il y a persistance de l'immuabilité mais une diminution des épisodes critiques et une amélioration de la qualité de la vie.
Malgré la stabilité du fonctionnement psychique qui est une façon « d'être au monde » on a une évolution des capacités et ces acquisitions ne semblent pas connaître de limite temporelle.