Sylvie Logean
Publié lundi 2 novembre 2020 à 11:28
Modifié lundi 2 novembre 2020 à 11:28
Trois mois, quatre mois, puis cinq… Les études concernant la persistance, dans le sérum sanguin et la salive, d’anticorps spécifiquement dirigés contre le nouveau coronavirus ne cessent de se multiplier, l’une venant remplacer l’autre dans le rythme effréné des parutions scientifiques.
Début octobre, des équipes
canadiennes et
américaines faisaient paraître leurs résultats respectifs dans la revue Science Immunology, apportant des informations sur ce que l’on appelle la cinétique de la réponse immunitaire face au SARS-CoV-2 sur une durée d’environ quatre mois.
Conclusion: alors que les immunoglobulines A (IgA) et M (IgM) – qui forment la première ligne de défense contre les agents infectieux – disparaissent pratiquement complètement après cent jours, les immunoglobulines G (IgG) – qui jouent un rôle dans la réponse mémoire, base de l’immunité durable – persisteraient au moins trois mois, période durant laquelle nous serions donc théoriquement protégés contre une réinfection par le coronavirus.
Rappelons que la présence de ces immunoglobulines, qui constituent la majorité de nos anticorps, n’est pas forcément synonyme d’immunité. En effet, la capacité d’un anticorps à reconnaître un virus ne signifie pas nécessairement qu’il est en mesure de le neutraliser. Dans le cas du SARS-CoV-2, cela implique que les anticorps, pour être neutralisants, doivent spécifiquement être dirigés contre la protéine spike du virus, ces spicules ancrés dans la membrane virale qui confèrent à ce dernier son aspect de couronne.
Manque de recul
Bien que solides, ces études semblent déjà dépassées à certains égards, si l’on se réfère à
une autre recherche sérieuse parue le 28 octobre dans Science Advances. Menée par une équipe de l’Icahn School of Medicine at Mount Sinai (à New York) sur plus de 30 000 personnes, cette dernière démontre que 90% des personnes infectées par un Covid-19 léger à modéré développent des anticorps IgG et que leurs titres resteraient stables durant une période de cinq mois environ, soit déjà plus longtemps qu’initialement annoncé.
«Nous manquons encore clairement de recul, analyse Giuseppe Pantaleo, chef du Service d’immunologie et d’allergie du CHUV, à Lausanne. La plupart de ces études s’arrêtent à un moment T, il est donc prématuré de tirer des conclusions définitives sur la persistance des anticorps sur la base de ces dernières.»
Selon le professeur lausannois, ces recherches viennent surtout confirmer un processus déjà bien connu: «Ce que l’on observe avec les patients touchés par le SARS-CoV-2 est similaire à une réponse immunitaire classique. Durant une première phase très aiguë, lorsque la réplication virale est importante, le système immunitaire est stimulé au maximum pour produire des anticorps et contrôler l’infection. Ensuite, il est normal que l’on dénote une baisse de cette réponse, y compris des immunoglobulines G, devenus dominants dans le temps. Il est désormais important de savoir si cette descente connaît un plateau, et donc une persistance sur le long terme, ou si les anticorps disparaissent complètement au bout de quelques mois, comme pour la plupart des coronavirus.»
Questions en suspens
Plusieurs questions restent également en suspens. En premier lieu, les études réalisées jusqu’ici portent essentiellement sur des personnes hospitalisées ou ayant présenté des formes plus sévères de la maladie, et donc plus à même d’avoir développé une réponse immunitaire plus importante contre le virus. Or il importe de connaître la persistance des anticorps également chez les personnes asymptomatiques, dont on estime qu’elles représenteraient jusqu’à 80% des sujets touchés par le Covid-19.
«Comprendre la situation chez les personnes asymptomatiques est la clé pour avoir un impact sur le contrôle de l’infection, appuie Giuseppe Pantaleo. On sait déjà que la réponse immunitaire est inférieure chez ces individus, il est donc possible que cette dernière ne soit que transitoire et laisse la place à de possibles réinfections. Mais pour cela, nous devons impérativement avoir des données solides, raison pour laquelle nous menons des recherches sur ces aspects au CHUV.»
Dans ce sens,
une étude en pré-publication appelée «React-2» menée par l’Imperial College de Londres semblait démontrer une perte plus rapide des anticorps chez les personnes asymptomatiques. Selon cette dernière, la proportion de personnes en Angleterre possédant des anticorps aurait chuté de plus d’un quart en l’espace de trois mois. Diffusé le 27 octobre et depuis largement repris, ce travail a été conduit sur 365 000 participants sélectionnés de manière aléatoire. Ses résultats s’appuient sur des tests sérologiques réalisés à domicile à l’aide d’une petite piqûre au bout du doigt, dits aussi fingerprints.
Selon Graham Cook, coauteur du rapport et professeur au département des maladies infectieuses de l’Imperial College, ces données
«laisseraient entendre un risque accru de réinfection à mesure que les anticorps détectables diminuent dans la population». A noter que, pour l’heure, seuls cinq cas de réinfections ont été officiellement documentés.
«Il convient de rester très prudent sur l’interprétation de ce type d’étude populationnelle, tempère Giuseppe Pantaleo. Ce travail a été réalisé à l’aide de tests qui posent d’énormes problèmes de sensibilité, car générant de nombreux faux négatifs. Cela ne nous donne, en outre, aucune information sur le niveau de protection que peuvent conférer les anticorps au sein de la population.»
Les anticorps, mais pas que…
Il est par ailleurs fort possible que d’autres composants du système immunitaire, comme les lymphocytes B et T, puissent continuer à offrir une protection sur le long terme vis-à-vis d’une nouvelle infection, malgré une diminution des anticorps. Ces cellules ont en effet un rôle majeur, car une fois activées, après une première infection, elles ont la capacité de développer une mémoire leur permettant, en cas d’une nouvelle attaque, de se souvenir des caractéristiques de l’agent infectieux et de déployer plus rapidement des anticorps.
Deux études parues dans Cell en juin et en octobre 2020 ont ainsi montré la présence, plusieurs mois après une infection au SARS-CoV-2, de lymphocytes T, dits CD4, chez la totalité des 20 patients étudiés ayant présenté une forme légère ou modérée de la maladie,
mais aussi chez des membres de la famille exposés au virus n’ayant pas développé d’anticorps.
Cette réponse, dite cellulaire, est toutefois encore peu étudiée, car «particulièrement laborieuse à mettre en évidence sur le plan expérimental», comme le souligne le médecin Marc Gozlan
sur son blog Réalités biomédicales. Une réponse immunitaire efficace contre le SARS-CoV-2 ne se résume pas à des taux sériques élevés d’anticorps neutralisants. Loin de là.» Affaire à suivre, donc.