Jean-François Amadieu – « DRH, le livre noir »
pp.100-105
La triche lors des recrutements
Les candidats qui répondent à des tests de personnalité sont assez intelligents pour savoir quelles réponses satisferont les employeurs. Puisque les résultats des tests de personnalité vont avoir un effet sur leurs chances d'être embauchés, ils mentent; c'est bien compréhensible. Il suffit en effet de comparer les scores de personnalité de personnes qui répondent sans véritable enjeu et les scores de ceux qui cherchent à obtenir un emploi pour constater la manipulation des tests (11). Pour tous les types d'emplois, les candidats sont plus extravertis, beaucoup plus stables émotionnellement, nettement plus consciencieux et plus ouverts. Les réponses sont évidemment orientées selon les postes: on n'attend pas les mêmes qualités d'un vendeur que d'un comptable.
Et même si les candidats sont prévenus de l'importance de ne pas fausser les résultats, cela ne change pas grand-chose. On a fait le test pour des recrutements de conducteurs de bus. Alors que 57 % des candidats trichent au test de personnalité, si on attire leur attention sur le fait qu'il ne faut pas mentir, la triche diminue, mais peu (39%).
La manipulation est telle - 50 % des candidats ont amélioré leurs traits de personnalité pour décrocher le job recherché (12) - que le véritable classement des candidats aurait été bien différent si ces derniers avaient sincèrement répondu (13). Parmi les candidats finalement retenus, beaucoup n'ont pas la personnalité que l'on croit. Les plus grands et les meilleurs menteurs figurent en effet immanquablement parmi ceux qui ont les meilleurs scores de personnalité : ils donnent l'illusion d'être plus consciencieux ou plus extravertis. Plusieurs études montrent que lors d'un test de recrutement ou d'un test de personnalité, entre 90 et 100% des candidats ayant les meilleurs résultats sont des menteurs (14).
Une évidence ressort : les candidats les moins honnêtes sont favorisés dans les tests de personnalité. Donc, plus le recrutement est sélectif, plus les tricheurs ont de chances d'être recrutés. En période de chômage, si une entreprise ne retient que 5 % des candidats qui se présentent, alors elle a de fortes chances que ce soient les falsificateurs, les moins honnêtes des candidats, qui soient retenus.
Après tout, peu importe que les candidats recrutés n'aient pas les caractéristiques requises, s'ils sont performants, pourrait-on se dire. Mais il n'en est rien : les menteurs ne sont pas aussi performants que prévu. En revanche, ceux qui ont répondu sincèrement aux questions révèlent une personnalité qui peut être réellement source de performance dans le travail. Mais ceux-là, moins attractifs au vu des tests, ne sont pas recrutés.
Les vendeurs de tests expliquent que tous les participants ont tendance à enjoliver un peu leur présentation d'eux-mêmes, de sorte que finalement la comparaison entre les candidats reste valable. Or ce n'est pas le cas. Tous les candidats n'ont pas la même propension à mentir et la même habileté dans la manipulation de leurs réponses (15). Certaisn rougissent en mentant et ne savent pas le faire quand d'autres ont un aplomb extraordinaire. Supposer, comme le font les concepteurs de test et les recruteurs, que tout le monde donne le change, c'est écarter les plus sincères et pousser chacun au mensonge.
Lorsque le test concerne l'intégrité des personnes - souvent quand l'entreprise confiera de l'argent à ses salariés -, le mensonge des candidats devient un problème encore plus aigu. Car ces tests, censés écarter les personnes malhonnêtes, produisent l'effet inverse. Une étude réalisée auprès de prisonniers a montré qu'ils étaient tout à fait capables de fausser les résultats de tests destinés à mesurer la confiance que l'on pouvait leur accorder (16). Les escrocs, c'est bien connu, sont maîtres dans l'art de la dissimulation de leur véritable dessein.
La triche lors du recrutement porte également sur l'expérience professionnelle des candidats. Des universitaires(17) ont voulu mesurer a part de tromperie dans les réponses à des questionnaires de recrutement de type bio data (18), utilisés pour la sélection de plus de dix sept mille candidats à des emplois du gouvernement fédéral am »ricain. Ils ont eu l'idée de se livrer à une petite expérience en introduisant trois questions-pièges dans le questionnaire :
•• « L’année dernière, combien de fois avez-vous demandé des informations au gouvernement concernant un pays étranger au moyen du formulaire INTL-453 ? » (le formulaire n'existe pas) ;
•• « Avez-vous souvent utilisé la technique Wentzel pour résoudre un problème budgétaire?» (la technique a été inventée pour les besoins de l'expérience);
•• « Dans quelle mesure avez-vous utilisé l'approche dyadique de Johnson pour éviter les conflits au sein des équipes de travail?» (cette approche est fictive).
Les candidats ont été informés que leurs réponses seraient peut-être vérifiées et qu'en cas de fraude ils pourraient être ultérieurement licenciés. Malgré ces mises en garde et l'enjeu - il s'agit de décrocher un emploi -, 24% des candidats ont menti au moins une fois, 7% deux fois et 1 % aux trois questions.
Les candidats ont surtout triché pour la question 3, pensant ne pas pouvoir être démasqués. Ils ont moins menti sur la question 1, parce qu’elle est a priori facile à vérifier par le gouvernement, qui peut examiner les demandes officielles faites avec le prétendu formulaire INTL-453. Quant à la question 2, les mensonges sont moins fréquents, parce qu'il était demandé aux candidats pour cette question d'en dire un peu plus sur ce qu'ils avaient fait, ce qui était évidemment plus difficile s'agissant d'une pure invention. Les tricheurs sont donc manifestement nombreux, mais sont-ils par ailleurs de bons ou de mauvais candidats? Les chercheurs ont donc regardé quelles étaient les performances aux différentes épreuves des candidats. En effet, le gouvernement américain ne recrute pas seulement en faisant remplir un questionnaire bio data sur les expériences professionnelles. Un test mesurant les connaissances techniques (en sciences politiques, économie, histoire, géographie, etc.) et un test d'habileté verbale (un aspect important de l'intelligence) sont aussi passés par les candidats. Il est évidemment bien difficile de tricher pour ce dernier test, à la différence des récits de l'expérience professionnelle pour lesquels l'exagération, l'embellissement et le mensonge sont moins détectables. Que constate-t-on ?
Plus un candidat obtient un score élevé au test relatant les expériences professionnelles, plus il s'avère aussi avoir été un menteur pour les trois questions-pièges (qui ne sont pas comptabilisées dans le score au test bio data). Par contre, les menteurs sont beaucoup moins compétents techniquement et moins intelligents, comme l'attestent leurs mauvais résultats aux autres tests. En somme, les plus honnêtes des candidats n'en rajoutent pas sur leurs succès passés et sont également plus qualifiés pour le poste.
En faisant passer questionnaires ou entretiens dans lesquels on demande aux candidats de raconter et détailler ce qu'ils ont fait par le passé, est-on certain de recruter les meilleurs ? Tout porte à penser que cette façon de faire, pourtant si fréquente en France, aboutit à recruter des candidats plus malhonnêtes et de surcroît moins compétents. Car les menteurs se révèlent les plus attractifs lorsqu'ils racontent leur vie professionnelle. Ce problème ne peut être évité qu'en utilisant d'autres tests professionnels ou d'aptitudes.
Pour recruter, la méthode la plus utilisée en France est l'entretien. Or cette technique incite tout naturellement les candidats à se présenter sous leur meilleur jour, donc souvent à mentir. Les candidats omettent certains détails peu flatteurs et en inventent d'autres pour faire bonne impression. Jusqu'à 43 % des candidats utilisent des tactiques pour influencer les impressions du recruteur et 28 à 75 % des candidats reconnaissent mentir durant l'entretien (19).
Les mensonges sur les CV, dans les réponses aux tests et lors des entretiens sont de plus en plus courants. Cette dérive doit être enrayée et les entreprises s'y attachent, par exemple en vérifiant désormais mieux la réalité des diplômes. Mais peut-on reprocher à certains candidats, désarmés par l'ampleur des discriminations, découragés par le piston et conscients d'être face a une loterie, de chercher à enjoliver leur candidature? Il n'est pas étonnant que certains mentent allègrement, puisque, ne l'oublions pas, les questions posées aux candidats sont fréquemment illégales et visent délibérément à les écarter. Pourquoi une femme avouerait-elle songer à avoir des enfants et résider loin de son lieu de travail, chez son concubin? Pourquoi la photo jointe au dossier ainsi que la taille et le poids déclarés seraient-ils fidèles à la réalité pour décrocher un job de standardiste-accueil? Pourquoi un candidat avouerait-il qu'il est divorcé ou qu'il fume? Sommé de répondre à ces questions illégitimes, quiconque aurait la tentation de tordre la réalité.
Un des inconvénients croissants de l'a peu près dans le recrutement, c'est que les menteurs et les fraudeurs passent au travers des mailles du filet et sortent même gagnants des sélections, au détriment de ceux qui sont compétents, mais - malheureusement pour eux - plus honnêtes. Si le recrutement était plus objectif, par exemple avec des tests professionnels, cela arriverait peu. Mais les tris de CV et les entretiens permettent aux candidats malhonnêtes et menteurs d'exceller, montrant ainsi sinon leurs réelles compétences, du moins leur bagout, leur malice ou leur audace. Hélas, les dysfonctionnements des ressources humaines ne se limitent pas au recrutement.
Les déroulements de carrière n'échappent pas à ce sombre bilan . En particulier, la fixation de salaires paraît obéir à une logique bien éloignée des principes méritocratiques.
11 . Scott A. Birkeland et al., «A meta-analytic investigation of job applicant faking on personality measures». International Journal of Selection and Assessment, n" 14(4), 2006, p. 317-335.
12. Chet Robie, Douglas J. Brown et James C. Beaty, «Do people fake on personality inventories? A verbal protocol analysis», Journal of Business and Psychology, volume 21, n° 4, 2007, p. 489-509.
13. Richard L. Griffith, Tom Chmielowski et Yukiko Yoshita, «Do applicants fake ? An examination of the frequency of applicant faking behavior», Personnel Review, n° 36 (3), 2007, p. 341-355.
14. Joseph G. Rosse et al, « Assessing the impact of faking on job performance and counter-productive job behaviors », dans Paul Sackett, New Empirical Research on Social Desirability in Personality Measurement for the I4th Annual Meeting of the Society for Industrial and Organizational Psychology, Atlanta, 1998 ; John J. Donovan, Stephen A. Dwight et Gregory M. Hurtz, «An assessment of the prevalence, severity, and veriability of entry-level applicant faking using the randomized response», Human Performance, n" 16, 2003, p. 81-106.
15. Christopher Winkelspecht, Philip Lewis et Adrian Thomas, «Potential effects of faking on the NEO-PI-R : willingness and ability to fake changes who gets hired in simulated selection decisions », Journal of Business and Psychology, n° 21 (2), 2006, p. 243-259.
16. Steven G. LoBello et Benjamin N. Sims, «Fakability of a commercially produced pre-employment integrity test», Journal of Business and Psychology n° 8 (2), 1993, p. 265-273.
17. Julia Luvashina, Frederick P. Morgeson el Michael A. Campion, «They don't do it often, but they do it well : exploring the relationship beetween applicant mental abilities and faking», International Journal of Selection and Assesment, n° 17 (3) 2009, p. 271 -2X0.
18. Cette technique consiste à poser des questions précises sur les expériences, les compétences et diverses caractéristiques personnelles du candidat.
19. Julia Luvashina et Michael A. Campion, « Measuring faking in the employment interview : development and validation of an interview faking behavior scale », Journal of applied psychology, n° 92 (6). 2006. p. 1638-1656.