Franck Ramus : Pourquoi l’hypothèse neurodéveloppementale s’impose pour l’autisme
Propos recueillis par Jean-François Marmion
Article publié le 04/04/2012 - Le Cercle Psy
Comment expliquer l’autisme ? L’hypothèse la plus crédible aux yeux de la communauté scientifique internationale pointe diverses anomalies dans la structure et le fonctionnement du cerveau des personnes autistes. Mais de nombreuses zones d’ombre persistent. Explications de Franck Ramus, directeur de recherches au CNRS, au Laboratoire de Sciences Cognitives et Psycholinguistique de l’Ecole Normale Supérieure, qui réagit par ailleurs à la polémique sur la prise en charge psychanalytique de l’autisme.
Que sait-on aujourd’hui de la structure et du fonctionnement du cerveau des personnes autistes ?
Des observations ont été faites à plusieurs niveaux de description. Le résultat le plus connu porte sur la croissance du cerveau : à la naissance, il est plutôt un peu plus petit que la moyenne, mais sa croissance est anormalement rapide. Vers deux ans, il est devenu plus gros que la moyenne. On ne connaît pas les mécanismes sous-jacents. Il y a plusieurs hypothèses : augmentation anormale du nombre de synapses ou de dendrites, défaut de l’élagage des synapses… Il est très difficile de les tester. Indépendamment du volume, on a repéré des propriétés microscopiques. Les études de dissection, basées sur des dons de cerveaux, montrent un cortège d’anomalies de différents ordres affectant de multiples régions, le cervelet notamment. Mais les cerveaux disséqués ainsi sont peu nombreux, les données sont donc limitées. Ce qui plus abordable, quoique avec une résolution bien moindre, c’est l’imagerie cérébrale, à la fois anatomique et fonctionnelle. Elle montre que selon les régions il y a plus ou moins de matière grise que chez les personnes témoins, et que la connectivité, via la matière blanche, est atypique. On observe aussi une sous-activation de certaines régions impliquées dans la perception, en particulier celle des stimuli sociaux comme les visages ou les voix, ou encore dans la théorie de l’esprit, c’est-à-dire la capacité d’attribuer des états mentaux à autrui. L’organisation du cortex cérébral est différente. Mais attention : tout ce qu’on observe à l’IRM, en particulier les activations fonctionnelles, montre que les cerveaux des personnes autistes fonctionnent différemment, mais cela n’établit jamais la cause. C’est pour cette raison que les données de croissance cérébrale précoce et de dissection ont un poids très important quand on parle de causalité : les phénomènes observés au microscope peuvent être parfois précisément datés dans les étapes précoces du développement cérébral, quelquefois même in utero. Sur la base de ces données, on peut se permettre d’affirmer qu’effectivement une déviation extrêmement précoce du développement cérébral exclut d’autres hypothèses, alors que celles obtenues à l’IRM n’excluent aucune cause.
Peut-on savoir si ces dysfonctionnements surviennent dès la grossesse ?
Ca dépend. Les perturbations de la migration neuronale, par exemple, se déroulent chez l’humain entre 12 et 24 semaines de gestation uniquement. D’autres malformations peuvent être plus ou moins bien datées, quelquefois avant la naissance, quelquefois après. La trajectoire de croissance du cerveau des enfants autistes n’est pas établie de façon extrêmement précise, mais semble dévier dès la naissance, autant qu’on puisse en juger. Mais tout cela est hétérogène entre les personnes autistes : les observations varient avec chaque cerveau.
Il n’y a pas de signe prédictif biologique indiquant qu’un enfant va développer l’autisme ?
Non, absolument pas. Si on arrivait à mesurer toutes les propriétés pertinentes du cerveau après la naissance d’un enfant, on pourrait, à la limite, calculer une probabilité que cet enfant devienne autiste. Mais la précision du calcul serait à l'heure actuelle trop faible pour avoir de l’intérêt.
Parlons des causes possibles. Les malformations cérébrales observables dès la grossesse sont-elles d’origine génétique ?
Il y a plusieurs manières d’aborder la question. Les études de jumeaux suggèrent une part très prépondérante de facteurs génétiques, ce qui n’exclut pas pour autant des causes environnementales. Il est effectivement prouvé que certains facteurs environnementaux augmentent la susceptibilité à l’autisme, par exemple l’exposition prénatale à des toxiques comme la thalidomide ou l’acide valproïque, ou à des infections virales comme la rubéole ou le mégalocytovirus. La souffrance à la naissance, avec un manque d’oxygène dans certaines parties du cerveau, le poids de naissance, sont aussi des facteurs qui ont au moins une influence modérée sur la probabilité de devenir autiste. Ils accroissent les problèmes du développement du cerveau de manière générale, et en particulier la susceptibilité à l’autisme. Mais les déclenchent-ils, c’est très difficile à dire. On n’est jamais capable de le dire, pour un individu précis. Ce qu’on peut faire de mieux, c’est d’effectuer des statistiques sur des groupes.
On ne peut pas espérer trouver aujourd’hui « le » gène de l’autisme. Celui-ci impliquerait plutôt une constellation de gènes très variés ?
C’est vrai dans toute la génétique psychiatrique, qui de manière générale ne répond pas à la logique de la génétique mendélienne, mais plutôt à celle des maladies génétiques complexes (telles que le diabète, l'hypertension artérielle…). Une multitude de gènes influencent la susceptibilité à chacun des troubles. Et ce qu’on trouve varie d’un patient à l’autre. Il y a d’ailleurs plusieurs types de mécanismes génétiques, d'une part les effets cumulés d’une combinaison de nombreux gènes présents dans une version défavorable (que l’on appelle les allèles de susceptibilité), d'autre part, plus rarement, des mutations délétères de certains gènes qui ont alors un impact plus important sur la synthèse ou la fonction des protéines. Une seule mutation sur le mauvais gène peut entraîner une série de troubles. Mais une mutation peut se trouver sur un gène chez un patient, sur un autre gène chez un autre. Même si elle est dans le même gène, ce n’est pas exactement le même endroit de la séquence qui a été muté d’un patient à l’autre. C’est aussi ce qui rend les recherches très difficiles. En quelque sorte, on en arrive à ce que les généticiens appellent des mutations privées : chaque patient a sa propre mutation. Malgré tout, des analyses de grandes populations permettent de remarquer que ce sont souvent les mêmes gènes qui reviennent, et convergent vers certaines fonctions physiologiques. Thomas Bourgeron, de l’Institut Pasteur, a par exemple trouvé des mutations dans la neuroligine 3 et la neuroligine 4, ce qui a été répliqué dans d’autres études : ces protéines sont impliquées dans l’adhésion synaptique entre les neurones pré et post-synaptiques, et la formation même des synapses au cours du développement. Plusieurs altérations de gènes liés aux neuroligines ont également été identifiées par des équipes indépendantes. Tout cela converge vers des mécanismes moléculaires très voisins, qui font que les synapses se forment d'une manière anormale, ce qui a certainement quelque chose à voir avec la croissance anormale du cerveau.
Mais si cette hypothèse génétique n’exclut pas l’influence de facteurs environnementaux, exclut-elle l’hypothèse psychanalytique ?
Il est difficile de savoir ce qu’est l’hypothèse psychanalytique, puisque l’hypothèse standard portait sur le rôle de la mère, mais que maintenant tous les psychanalystes disent qu’ils n’y croient plus. On ne sait plus trop à quoi ils croient, c'est d'ailleurs l'objet de la série de questions que j'ai posées à la CIPPA (Coordination Internationale entre Psychothérapeutes Psychanalystes s'occupant de personnes avec Autisme ). Dans les cas où une étiologie claire est identifiée, la mère n'y est évidemment pour rien, ni quoi que ce soit dans l'environnement familial. Néanmoins les psychanalystes semblent entretenir l'idée que le mécanisme causatif pourrait être une combinaison d'une vulnérabilité génétique et d'une mauvaise attitude de la mère en réponse au comportement anormal de son bébé. Dans ce cas, on peut tester l’hypothèse : nous disposons de données épidémiologiques sur les enfants autistes, les caractéristiques des pères, des mères, leurs attitudes, leurs maladies, etc. A-t-on observé des tendances statistiques confirmant que les mères avec telle attitude ont plus de risques d’avoir des enfants autistes ? Les mères dépressives pendant la grossesse ou après la naissance courent-elles aussi ce risque ? Aucune donnée publiée ne permet de l'affirmer. Les hypothèses psychanalytiques traditionnelles ont donc été testées, et rien n’est venu les confirmer. Un facteur comme la dépression peut bien avoir une influence sur le développement de l’enfant, et peut constituer un facteur de risque pour d’autres troubles du développement comme les troubles émotionnels, du comportement, de l’attention, etc. Mais jusqu'à preuve du contraire, pas pour l’autisme.
A défaut d’influer sur le génome lui-même, l’attitude de la mère peut-elle influer sur l’expression de certains gènes ?
On suppose que c’est effectivement le mécanisme principal de l’effet de la dépression maternelle sur certains troubles du développement, soit in utero avec des hormones sécrétées par la mère qui vont influencer la physiologie du nourrisson via l’expression de certains gènes dans ses neurones, soit d’une façon plus sociale et comportementale qui va être internalisée par l’enfant. C’est bien identifié chez la souris, et on a toutes raisons de penser que ça doit aussi exister chez l’humain. On a donc des données compatibles avec l’hypothèse de l’influence maternelle sur certains troubles du développement… mais pas sur l’autisme !
Mais les psychanalystes pourraient vous rétorquer que puisqu’on n’a pas trouvé « le » gène de l’autisme ni « la » cause de ce trouble, l’hypothèse neurodéveloppementale n’est pas absolument prouvée.
Il y a quand même beaucoup de données convergentes, qui ont un poids énorme à des niveaux différents de description : celui du génome, des cellules, du cerveau… Evidemment, le scénario est très incomplet. Mais en face, qu’est-ce qu’on a comme éléments en faveur de l’influence de la mère ? Zéro. Absolument zéro. Pas une seule étude à l’appui. Quand il s’agit de se prononcer pour l’hypothèse la plus probable, il n’y a donc pas un seul instant d’hésitation.
Que vous inspire la polémique récurrente sur la prise en charge psychanalytique de l’autisme ? A-t-on franchi un cap avec la polémique liée au Mur et le rapport de la Haute Autorité de Santé prenant des distances relatives avec la psychanalyse ?
Oui, on est certainement à un tournant, surtout dans les médias. Ils étaient jusqu’à présent extrêmement frileux dans leurs critiques de la psychanalyse, aussi bien lors du rapport sur les psychothérapies de 2004 que lors du Livre noir de la psychanalyse en 2005. A chaque fois, beaucoup étouffaient l’affaire, même s’il se trouvait quelques journalistes courageux comme Laurent Joffrin dans le Nouvel Observateur. Avec Le Mur et le procès intenté à Sophie Robert, on a l’impression que les médias ont levé le couvercle et commencé à fournir un traitement un peu plus équilibré du débat (peut-être parce que cet évènement touche à la liberté d'expression chère aux journalistes). En parallèle, les associations de parents d’enfants autistes ont fait preuve d'une détermination sans faille depuis de nombreuses années. C’est elles qui ont agi sur les pouvoirs publics pour provoquer les plans autisme successifs, et qui ont saisi la HAS. Via la problématique de l’autisme, toutes les données défavorables à la psychanalyse sont mises sur le tapis. On est au point de basculement où tout le monde semble prendre conscience qu’il faut rénover la psychologie et la psychiatrie, et passer dans l’ère de la médecine basée sur les preuves.
Le rapport de la HAS reconnaît une meilleure efficacité des prises en charge comportementales, mais ne condamne pas explicitement la psychanalyse.
On sait que chaque mot a été négocié. Ca peut sembler un point sémantique très important, mais en réalité peu importe que le rapport évoque la psychanalyse comme « non consensuelle » au lieu de « non consensuelle ou non recommandée ». La question cruciale est de savoir ce qui va se passer sur le terrain, où les soignants pourraient se permettre d’ignorer totalement les recommandations de la HAS (voir d'ailleurs l'appel à la désobéissance du collectif des 39). L’Etat doit se donner les moyens de les faire appliquer, assurer une remise à jour de la formation de tous les professionnels, prendre l’initiative d’évaluer les pratiques. C’est autre chose que de faire la revue de la littérature scientifique. La limite du travail de la HAS est celle-ci : comment condamner une pratique pour laquelle on n’a pas de données ? Le plus grand reproche qu’on peut faire à la psychanalyse, c’est de ne jamais avoir fait de la recherche, ne jamais avoir ne serait-ce qu’adhéré à la démarche scientifique. La plupart des psychanalystes n’ont produit aucune donnée permettant d’évaluer leur travail. Ils rejettent même l’idée d’évaluation. Quand on veut comparer l’efficacité des méthodes, il n’y a donc rien à comparer. Les psychanalystes peuvent toujours dire que les méthodes d’évaluation ne sont pas adaptées à ce qu’ils font, mais qui peut être dupe ?…
Faudrait-il aller jusqu’à l’interdiction de la psychanalyse pour la prise en charge de l’autisme, comme le préconise le député Daniel Fasquelle ?
Non. Je lui ai d’ailleurs adressé une lettre que je reproduis sur mon blog : l’intention est peut-être bonne, mais la méthode n’est pas du tout adaptée. Ce n’est pas au parlement de dire quels sont les bons traitements pour l’autisme, pas plus que ce n’est à lui de dire ce qu’est l’Histoire avec des lois mémorielles. Faire voter les députés là-dessus serait complètement absurde. En revanche, il est parfaitement du ressort de l’Etat de se soucier que les citoyens aient accès à des traitements médicaux et des thérapies validés scientifiquement. La bonne démarche serait de créer une agence nationale d’évaluation des psychothérapies pour vérifier que les pratiques des professionnels de santé sont conformes aux données scientifiques. Autrement dit, les députés n’ont pas à se prononcer directement sur telle ou telle thérapie, mais doivent mettre en place des structures missionnées pour cela.
Puisqu’il a déjà fallu des années pour obtenir une loi définissant le seul titre de psychothérapeute, on peut penser que ce projet serait difficilement réalisable…
S’il a fallu six ans pour que paraisse le décret d’application de l’amendement Accoyer, c’est notamment à cause du lobbying effréné des psychanalystes. Je pense que ça fait partie des choses qui sont en train de basculer. Leur influence à la fois médiatique et politique s’effrite. On ne peut pas imaginer qu’ils vont encore très longtemps pouvoir s’opposer à l’évaluation et à la nécessité de se baser sur des données scientifiques. Comment peut-on encore défendre une position pareille ? C’est assez incroyable. Il faut vraiment que les politiques n’aient aucune culture scientifique pour accepter ce genre de chose, alors même qu’ils ont des exigences très différentes dans tout le reste de la médecine : il ne serait pas question d’une telle démarche pour le cancer ou Alzheimer.
Avec la Fédération Française des Dys, vous avez publié une tribune expliquant que l’autisme n’est pas le seul trouble concerné par l’influence de la psychanalyse. Espérez-vous que les associations représentant différents patients prennent le relai, et que la bataille de l’autisme ne soit qu’un prologue à un mouvement plus vaste contre la psychanalyse ?
Tout à fait. En tout cas, contre la psychanalyse là où sa présence est illégitime. Ce qui fait déjà pas mal d’endroits… Un psychiatre d’adultes, par exemple, va vous dire que beaucoup trop de patients avec TOC sont encore pris en charge par des psychanalystes qui n’ont rien compris à leurs troubles, qui ne les traitent pas, et leur font perdre beaucoup de temps (alors même que la HAS a publié des recommandations et des arbres décisionnels très clairs sur la prise en charge des TOC). Même si c’est aujourd’hui relativement bien fléché, il fut une époque où les psychanalystes s’avisaient de prendre en charge des patients schizophrènes... Le rapport Inserm de 2004 indiquait que la psychanalyse n’avait une certaine efficacité que pour certains troubles de la personnalité. On ne va jamais éradiquer la psychanalyse, ce ne serait un objectif ni réaliste ni forcément souhaitable. Mais ce qui est crucial, c’est que les gens avec de véritables maladies, pour lesquels d'autres thérapies sont efficaces, même si aucune n’est la panacée, aient accès à des soins validés. Pour eux, être prisonnier des psychanalystes sur le divan pendant des années ne mène à rien. Mais si d'autres personnes, sans être vraiment malades, ont du vague à l’âme et éprouvent le besoin de parler à quelqu'un, libre à elles de choisir un psychanalyste pour cela. En somme, les psychanalystes doivent clarifier leurs prétentions et agir en conséquence : soit ils revendiquent le fait de soigner des personnes avec de véritables troubles mentaux ou psychiques, auquel cas leurs thérapies doivent être évaluées et validées scientifiquement ou disparaître ; soit, abandonnant toute prétention à soigner des maladies, ils se replient sur les adultes en bonne santé qui veulent parler, auquel cas ils doivent le dire très clairement aux patients et à leurs familles. L'ambiguïté sur ce sujet n'est pas acceptable.
Avec son approche dimensionnelle, le DSM 5 devrait bouleverser la définition même de l’autisme en considérant ses différentes formes possibles comme un continuum. Qu’en pensez-vous ?
Toutes les définitions des classifications internationales sont appelées à évoluer avec nos connaissances. Ce qui fait leur valeur, c’est justement qu’elles ne sont pas figées au fil de notre compréhension des mécanismes pathologiques. On s’aperçoit que certains cas sont fondamentalement différents alors qu’on les confondait, on met à jour des points communs insoupçonnés entre des pathologies… Evidemment, chaque fois qu’on rediscute des définitions, on voit qu’elles sont imparfaites, qu’elles ont des limites, mais on opère une concertation très large, on consulte toutes les données scientifiques disponibles, et on a toutes les raisons de penser que ce qui sera produit dans la nouvelle version sera plus compatible avec les connaissances. L'approche dimensionnelle résulte clairement de la prise en compte de toutes les recherches effectuées depuis le DSM IV. Je n'ai pas pour autant l'impression que cela change radicalement les critères diagnostiques de l'autisme.
Vous êtes l’un des fondateurs du Kollectif du 7 janvier. En quoi consiste-t-il ?
A l’origine, il réunissait les auteurs d’un Science et pseudo-sciences sur la psychanalyse, qui ont ensuite soutenu Sophie Robert. Il s’est élargi à des chercheurs, des représentants d’associations de familles, des professionnels de santé… Leur point commun est de vouloir une psychologie et une psychiatrie fondées sur les preuves. Et de faire connaître leur position, de manière très large. Les psychanalystes monopolisent tellement le débat médiatique, dans la presse mais aussi avec des communiqués réguliers comme ceux du Collectif des 39 ou du Syndicat des psychiatres français, que les citoyens peuvent avoir l’impression qu’il n’y a que ce point de vue, et que tous les psychiatres défendent la psychanalyse. Alors que c’est totalement faux : la proportion des psychanalystes est décroissante, simplement les non psychanalystes peinent à s’exprimer publiquement parce qu’ils sont très soumis au bon vouloir des psychanalystes pour leur promotion et leur recrutement. Il y a une espèce de terrorisme des psychanalystes qui fait que les autres ont peur de parler ouvertement.
Vous récoltez d’ailleurs des témoignages de ces non psychanalystes qui ont peur de s’exprimer. Que vous racontent-ils ?
Des jeunes internes en psychiatrie sont menacés qu’on ne valide pas leur stage, parce qu’ils s’avisent d’évaluer leurs patients pour savoir comment les prendre en charge, comme si c’était criminel. Selon leur chef de service, ils sont soumis à diverses pressions dans leur pratique. Pour trouver un clinicat, c’est la même chose : il faut être bien avec un chef de service qui va bien vouloir les accueillir, donc il ne faut pas être détecté comme une brebis galeuse qui va faire du grabuge. Les postes, ensuite, sont attribués par des comités d’experts où les psychanalystes sont encore dominants. Les non psychanalystes n’ont jamais totalement les mains liées, mais ont à cœur de ne jamais se griller auprès de leurs pairs. Du coup, prendre position publiquement contre la psychanalyse est impensable pour 99 % des psychiatres. Ceux qui pratiquent des bilans dans des centres de ressource autisme voient des enfants se présenter après des années d’errance diagnostique dans un institut médico-éducatif ou un centre d’action médico-sociale précoce, où les psychiatres n’ont jamais offert de diagnostic, ou en ont donné un inapproprié. De nouveaux psychiatres corrigent donc le mauvais diagnostic, réorientent les prises en charge, font des recommandations, mais ils sont obligés de conserver des relations relativement bonnes avec leurs confrères de toutes obédiences, de manière à assurer un lien entre les différents lieux de prise en charge et faire passer des messages vers les équipes thérapeutiques. Il leur faut donc éviter de se fâcher avec leurs collègues, pour préserver des solutions d’accueil pour les enfants. Il est temps qu’ils parlent, même anonymement. Des témoignages commencent d’ailleurs à être rassemblés sur le
site d'Autiste en France.