Le virtuel soigne pour de vrai
LE MONDE 2 | 28.11.08 (extraits)
Une petite pièce peinte en noir, traversée par deux barres blanches. En leur centre, un cerceau. Le patient, qui s'est glissé dans le cercle, porte un casque avec écran intégré à hauteur des yeux, dont s'échappent deux antennes, capteurs qui détectent ses mouvements de tête. Lentement, souris d'ordinateur en main, il chemine dans une ville virtuelle. Dès qu'il avance, l'image, recalculée en temps réel, respecte son point de vue. L'illusion est parfaite. Il a l'impression de marcher, lui qui ne sort plus de chez lui depuis des mois, terrifié à l'idée de tomber. A tel point qu'avec la souris, il trébuche, au début, lorsqu'il doit enjamber un trottoir un peu haut. Et qu'il rase aussi les murs dans ce monde numérique.
A l'extérieur de la pièce, devant son ordinateur, la psychologue lui suggère de se placer au milieu de la rue. Elle voit ce que son patient voit, peut l'entendre, lui parler, surveiller ses constantes physiologiques. Comment se sent-il ? Peut-il évaluer son niveau d'anxiété, sur une échelle de 0 à 10 ? Qu'il n'hésite pas à lui parler, surtout, si certaines images, certains souvenirs affluent… Peut-il compter les arrêts de bus ? Moment de panique. La voix le rassure. Il ôte le casque, sort du box de réalité virtuelle, regagne tranquillement le bureau de sa thérapeute.
Science-fiction ? Non, vraie consultation à l'hôpital parisien Pitié-Salpêtrière, dans le service du professeur Roland Jouvent, psychiatre, qui dirige également un laboratoire du CNRS, le "centre émotion". (...)
D'autres champs d'application commencent à être explorés. Le traitement de la douleur (lors des chimiothérapies ou des soins aux grands brûlés), grâce au grand pouvoir distractif de l'immersion dans l'image. Le traitement des addictions (alcool, tabac, marijuana), en développant les capacités d'autocontrôle du patient plongé dans un environnement où les tentations sont nombreuses. Au Québec, le laboratoire de cyberpsychologie de l'université de Gatineau met au point les univers virtuels qu'utilisent les cliniques canadiennes spécialisées dans les troubles anxieux. Il s'intéresse également à l'addiction aux jeux et au dépistage des déviances sexuelles. En Italie, on traite virtuellement les troubles de l'image du corps qui génèrent anorexies et boulimies. En Israël, on aide les enfants autistes à entrer en communication avec autrui…
Pénétrons dans la classe virtuelle de l'hôpital Charles-Perrens de Bordeaux. Nous sommes en pédopsychiatrie, dans le service du professeur Manuel Bouvard, qui tente de traiter les déficits de l'attention chez les enfants hyperactifs, souvent en échec scolaire. Le petit patient s'assied à un bureau. Sur sa tête, un casque léger équipé de capteurs qui décèlent ses mouvements. Dans les lunettes, il voit une salle de classe. Un bureau, virtuel cette fois-ci, est placé devant lui, avec crayons et cahiers. D'autres enfants l'entourent. Une enseignante le regarde.
Il a pour consigne de repérer certaines lettres au tableau, mais son attention est régulièrement distraite. Un bus passe derrière la fenêtre, une règle tombe… A la fin de l'exercice, le médecin à ses côtés disposera d'une analyse statistique précise de sa capacité de concentration. Le professeur Bouvard apprécie cette "interface qui améliore l'engagement du sujet dans le système d'évaluation" : "L'informatique fait partie du monde quotidien de l'enfant. On le met donc dans une situation familière, ludique, à laquelle il est bien plus réceptif qu'une évaluation-papier en tête-à-tête avec un médecin. Par ailleurs, on mesure bien plus qu'une réponse après réflexion : une réaction spontanée."
Dans un an, sûrement, l'outil sera utilisé comme traitement, pour entraîner les jeunes patients à maintenir leur attention plus longtemps. "Ils viendront plus volontiers que pour parler à un psy ou repérer des ronds et des triangles sur l'ordinateur. Et comme cet univers est proche du réel, cela devrait améliorer le transfert dans la vraie vie", pense le professeur Bouvard. Dans ses projets, il y a encore un scooter avec visiocasque et guidon à retour de force, pour évaluer les conduites à risques des adolescents dans une ville imaginaire. Et un travail auprès des autistes, dont la perception spatiale est particulière.
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Le virtuel soigne pour de vrai
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