SESAME N°178 – 2ème trimestre 2011
Les difficultés sociales des personnes autistes vivant en milieu ordinaire
Ils parlent et pourtant le fond de leur pensée nous échappe.
Le philosophe autrichien Wittgenstein disait : « si les lions pouvaient parler, nous ne pourrions les comprendre ».
Nous avons de nombreux exemples de personnes autistes intégrées dans notre société (hauts niveaux ou Asperger).
Deux croyances sont courantes:
- - « s’ils ont un meilleur niveau d’autonomie, ils sont plus heureux »
- « puisqu’ils sont intégrés, ils ont moins de problèmes que les plus déficitaires »
Ces deux réflexions prouvent une méconnaissance des réalités:
- - le niveau d’autonomie n’est en rien corrélé au bonheur (bien-être)
- les problèmes rencontrés sont différents, d’une autre nature, mais ni moindres en nombre ni moindres en gravité.
Quelques exemples qui pourront attirer votre attention et illustrer ce que j’affirme:
1 Enfant de 11 ans, Asperger en 6ème
Très haut niveau en paléontologie, en capacités de dessin. Bonnes compétences dans la plupart des matières mais difficultés avec les consignes collectives. Lenteur à réaliser beaucoup de tâches. Refus de l’AVS pour être « conme les autres ». Déprimé par les notations : un 14 de moyenne le désole car il n’a pas 20 c’est donc qu’il est « mauvais » Dépression grave et déscolarisation fréquente avec souhait de mourir.
2. Adulte 56 ans Asperger diagnostiqué depuis 2 ans,
Marié, 4 enfants dont un Asperger. Chef de service du matériel dans une grande collectivité locale. Professionnellement il donne satisfaction à ses employeurs car d’une grande minutie : son travail est PARFAIT. Par contre il travaille seul : il peut donner des instructions ou des indications (surtout à un collègue), mais il ne s’agit pas de véritable collaboration et encore moins d’un travail d’équipe. Personnellement il est parfaitement heureux tant qu’il est seul et peut vaquer à ses activités (il est très adroit). Mais il ne tolère aucune médiocrité dans son entourage : la perfection est de règle. Sa naïveté est sans limite et il est incapable de protéger ses biens des demandes des prédateurs qui ne manquent pas dans nos sociétés. Très perturbé par ses difficultés relationnelles, il a été rassuré et très satisfait d’être diagnostiqué : sans vouloir se changer en neurotypique, il comprend enfin ce qui lui arrive et l’accepte avec philosophie.
Familialement les difficultés sont nombreuses et toute la responsabilité du couple et des enfants repose sur l’épouse qui doit gérer les relations avec l’entourage, la fragilité de son époux et les relations avec les enfants dont la dernière, adolescente de 13 ans ne comprend pas l’absence affective de son papa.
3. Grand adolescent Asperger 18 ans, fils du précédent.
En terminale pro pour une formation de cuisinier. Lui, contrairement à son père, refuse le diagnostic. Il s’enferme dans les jeux électroniques et n’a guère le sens des réalités. Si on lui dit de se raser, il se donne un coup de rasoir sur une joue et estime avoir terminé. Sa naïveté en fait la proie de copains facétieux.
4. La cinquantaine, professeur de fac,
Il habite en province et va donner ses cours à la fac avec une vieille voiture qui roule par miracle mais qui roule, le reste ne compte pas.
Jusqu’à la mort de sa maman, deux ans auparavant, c’était elle qui s’occupait de lui. Depuis il vit seul dans sa maison, mais sa sœur qui habite à proximité a pris le relais et surveille l’hygiène, l’alimentation, les vêtements de son frère, des problèmes sans importance ni intérêt. Sa maison est envahie d’objets divers et variés pour ne pas dire avariés, ce qui fait qu’il a élu domicile dans la soupente à laquelle on accède (difficilement) par le garage. Dans cette pièce mansardée deux meubles: un lit à deux places et un orgue électronique. L’une des places du lit est occupée par des piles de documents, papiers et livres. L’autre place est libre, c’est là qu’il dort et c’est là qu’il nous fait asseoir. Quant à l’orgue, c’est sa passion (je n’ose pas parler d’intérêt restreint). Il nous explique qu’il possède les logiciels des quinze plus grands orgues du monde et qu’il peut ainsi jouer sur ces fabuleux instruments.
Nous lui demandons son avis sur un CD d’orgue de César Frank. Il nous répond que ce n’est pas son auteur préféré mais qu’il a composé des choses intéressantes. Il nous fait choisir un morceau dudit CD et le met sur le lecteur. Pendant que la musique débute, en moins d’une minute, il se dirige vers une pile de documents, en sort un et l’installe sur le pupitre de l’orgue : c’est la partition de César Frank que nous écoutons. Et il se met à jouer César Frank! Je confirme qu’il ne savait pas pourquoi nous venions le voir ce jour là.
5. Cet ingénieur aéronautique, célibataire de 45 ans, vient nous voir car il a de grosses difficultés avec son employeur chez qui il travaille depuis quinze ans : on lui confiait des études de moteurs de fusées et seul, il les réalisait sans difficultés majeures. Mais depuis quelques mois la donne a changé : ses supérieurs sont maintenant de jeunes cadres qui ne tolèrent pas qu’il travaille seul et lui imposent de travailler « en équipe ». C’est là une chose impossible pour lui, qui le pousse à l’inaction et à la dépression. Diagnostiqué Asperger, nous avons dû lui conseiller de se faire reconnaître travailleur handicapé afin d’avoir un minimum de protection. Ce n’est pas gagné auprès de ses jeunes patrons !
6. Ce comptable de presque 60 ans travaille depuis « toujours » au siège parisien d’une grande société pétrolière. C’est à lui que l’on confie les travaux délicats et méticuleux car on sait que ce sera exécuté de façon parfaite. Délicat et méticuleux sont des termes adaptés à la qualité de son travail, mais certainement pas à la qualité de sa vie privée. Cet homme vit seul, ne se lave pas (sauf quand ses collègues l’y obligent), ne mange que des conserves, conserve les mêmes hardes jusqu’à ce qu’elles n’en puissent plus. Tous les quinze jours ses collègues vont chez lui nettoyer, jeter les boîtes de conserve et les papiers qui s’entassent. Il est d’une naïveté totale et ses collègues lui font croire tout ce qu’ils veulent et ne se privent pas de lui faire des « blagues ». Et lorsque ces derniers tentent de lui expliquer que c’était « une blague », il répond qu’il n’y a pas de fumée sans feu !
7. Un adolescent de 14 ans va en métro au collège tous les matins. Ce jour là, des travaux sur le quai l’empêchent de reconnaître la station habituelle et il remonte dans la rame. Ne reconnaissant aucune station, il recommence la manœuvre jusqu’à la fin de la ligne où il remonte encore dans le wagon. L’employé chargé de contrôler la vacuité des voitures lui demande de sortir, ce qu’il refuse. Devant le refus il appelle les deux vigiles de la station qui forcent le jeune à sortir et devant sa résistance, s’apprêtent à le « tabasser ». Heureusement le chef de station intervient, parvient à convaincre l’adolescent de le suivre jusqu’à son bureau. Il appelle le collège et quelqu’un vient chercher l’élève perdu.
Ces quelques exemples (que nous pourrions multiplier) nous alertent sur plusieurs points.
Les personnes Asperger ou SDI (*) dont nous parlons sont dans une souffrance psychique intense du fait de l’incompréhension et de la mauvaise adaptation de leur entourage humain.
Ces personnes souffrent d’autant plus qu’elle sont confrontées à une pression sociale qui les déshumanise en les traitant en sous-hommes. Leu parcours est donc « correct » pendant le primaire, devient de plus en plus difficile au collège, quasiment impossible au lycée et totalement désocialisant à l’âge adulte.
Souvent ces personnes ne sont pas diagnostiquées et sont exploitées dans le cadre de leur compétences mais considérées comme des débiles mentaux pour leurs difficultés sociales et leu naïveté.
Tous témoignent de la même demande :
- - être reconnus
- ne pas être normalisés
- pour certains : être accompagnés dans le tâches insupportables
- avoir le droit d’être e tranquilles », pouvoir être seuls pour se ressourcer,
- travailler seuls
- être insérés socialement en fonction de se compétences et de ses centres d’intérêt.
Ne les oublions pas, ce n’est pas parce qu’ils sont « intelligents », qu’ils ne souffrent pas.
Jean-Louis AGARD
Sésame Autisme Midi Pyrénées
* (Sans Déficience Intellectuelle dénomination Québecoise de autismes de haut niveau)
SESAME N°178 – 2ème trimestre 2011 pp. 15-16