Psychiatrie : le rapport qui accuse
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Sarah Chiche
Article publié le 08/06/2011
Le 31 mai dernier, l'Assemblée votait une loi réformant l’hospitalisation d’office, et créant des soins sous contrainte en ambulatoire. Le jour même, un rapport de l'Inspection Générale des Affaires Sociales (IGAS) épinglait une série de graves dysfonctionnements dans la gestion des hôpitaux psychiatriques français. Éclairage et réactions.
Le 31 mai 2011, l'Assemblée nationale votait, par 297 voix contre 191, une loi réformant l'hospitalisation d'office et permettant notamment les soins psychiatriques sans consentement à domicile, par ailleurs qualifiée de « sécuritaire » par de nombreux usagers, leurs familles, des syndicats de psychiatres et autres professionnels de la santé mentale. Or, le matin même, l'Inspection Générale des Affaires Sanitaires (IGAS) rendait public un rapport de 200 pages pointant des « dysfonctionnements systémiques » dans la gestion des hôpitaux psychiatriques français. Les anecdotes rapportées y sont accablantes : ici, c'est un enfant autiste de 11 ans, admis en Guyane dans un établissement pour adultes et que, pour lui éviter de subir des agressions sexuelles d'autres patients, l'on a fait dormir, pendant un an, dans un cage grillagée, en plein cœur du service, avant qu'il intègre enfin une structure pour enfants ; là, ce sont des petites structures, où sont mélangés des « sujets fragiles, parfois âgés, apaisés ou proches de la sortie avec des jeunes entrants en crise souvent violents, des malades hospitalisés sans consentement avec des malades en hospitalisation libre (…)» ; là encore, des larcins, des fugues et des meurtres. Pour un peu, on se croirait dans les descriptions des asiles d'avant Pinel (1). Une peinture de la psychiatrie française jugée inacceptable pour de nombreux professionnels de la santé mentale, à commencer par le Collectif des 39 - composé de soignants, de patients, de familles, de proches et de citoyens - pour qui l'IGAS fait son miel de faits divers isolés dans le but d'« enterrer la psychiatrie de secteur (2). »
« Populisme sensationnel » ?
« Ce rapport de l’IGAS nous indigne ! Il érige le risque zéro et le principe de précaution en valeurs absolues quitte à sacrifier des centaines de milliers de personnes sur l’autel de l’efficacité, réduisant leurs souffrances aux risques qu’ils représentent pour les autres », estime le Collectif, pour qui il s'agit là de « populisme sensationnel ». Si le rapport de l'IGAS souligne que « de tels regroupements [de patients] facilitent les agressions et les homicides et que, en outre, les taux d’occupation avoisinent souvent les 100 %, parfois en raison d’une utilisation peu dynamique des lits », pour le Collectif des 39 « l’enfermement d’un autiste de 11 ans dans un service pour adultes n’est que la réponse désespérée de soignants désespérés par des conditions de travail qui ne cessent de s’aggraver et par l’appauvrissement des moyens mis à la disposition du soin. Elle n’a aucunement valeur d’exemple si ce n’est pour montrer qu’une ambitieuse loi pour la psychiatrie est plus que jamais nécessaire, et qui exclurait tout rafistolage, comme ceux qui nous sont actuellement proposés. »
Une vingtaine de meurtres en cinq ans
En cinq ans, l'IGAS a recensé une vingtaine de meurtres, dont sept en établissement, cinq en sortie d'essai et trois pendant des fugues. En 2009, l'Observatoire national des violences en milieu hospitalier (ONVH) faisait état de 23 agressions sexuelles et quatre viols à l'hôpital psychiatrique. Pour l'IGAS, ces agressions résultent majoritairement d’un « défaut de surveillance ou d’organisation du service » et sont facilitées par la mixité dans les unités fermées, surtout lorsque l'accès aux toilettes et salles de douche est commun. L'organisme recommande donc d'éviter la mixité forcée et de permettre aux adolescents de fermer leur chambre aux autres malades, sans interdire pour autant l’accès aux personnels soignants, à l’aide d’un système de badges, comme dans les hôtels. Enfin, il préconise également d’éviter à tout prix d’accueillir des enfants et des jeunes adolescents dans les services où sont hospitalisés des adultes.
Mais de tels aménagements sont-ils compatibles avec les coupes budgétaires dont pâtit depuis plusieurs années la psychiatrie française ? « Si des passages à l’acte ou des fugues se produisent dans les services, rétorque le Collectif des 39, c’est précisément du fait du climat toujours plus carcéral de nos unités d’hospitalisation entraînant la ruine de toute possibilité d’ambiance chaleureuse et accueillante et aussi de la réduction drastique des moyens et du nombre de lits obligeant les équipes à une « gestion » des patients à « flux tendus ». »
Par ailleurs, le rapport le stipule lui-même : « De par leurs fonctions, les services d'inspection en général, et l'IGAS en particulier, voient plus souvent des services qui fonctionnent mal que ceux qui fonctionnent bien. La proportion de chacune de ces catégories n'est pas connue. L'ensemble des accidents présentés en première partie ne forment pas un échantillon représentatif. Il n'est donc pas possible à partir de quelques cas de tirer des statistiques permettant de généraliser ces constats à l'ensemble des accidents en psychiatrie. L'ensemble des établissements qui ont fait l'objet d'une enquête à la suite d'un accident ne représentent pas non plus un échantillon représentatif. » Dans ce cas, s'insurgent plusieurs opposants à ce rapport, s'il s'agit d'un échantillon « pas représentatif », quelle légitimité lui accorder ? Psychiatre hospitalier, le Docteur Guy Baillon a relevé, dit-il, « quelques perles » dans ce rapport : Ainsi, il y est notamment stipulé que « Le taux des meurtriers malades mentaux dépend aussi du taux de criminalité ambiant : plus la société est violente, moins la place des malades mentaux dans les homicides est importante. Inversement lorsque la société est pacifique, seuls subsistent les meurtres commis par les malades mentaux. » Dans ce cas, souligne le Dr Baillon, « on se dit qu’il ne manque plus que la phrase eugéniste : supprimons les malades mentaux, il y aura moins de crimes. »
Fugues, cannabis et absentéisme
Reste que, pour l'IGAS, les accès aux hôpitaux sont mal aménagés et peu surveillés. En conséquence de quoi, « 8 000 à 14 000 » patients hospitalisés d'office ou à la demande d'un tiers fugueraient chaque année. La plupart du temps, les fugues n'ont pas de conséquences graves et les patients retrouvent le chemin de l'hôpital, pointe l'IGAS, qui note toutefois que cela induit des « ruptures thérapeutiques », c'est-à-dire une difficulté à pouvoir engager et poursuivre un véritable accompagnement de ces patients.
Également montrés du doigt, de fréquents « trafics de cannabis » dans chacun des hôpitaux visités (dans cinq villes françaises). Un produit qui s'avère malheureusement, précise l'IGAS, « un des facteurs contribuant à la survenue ou à la décompensation de certaines psychoses ». C'est indéniable : du fait des visites aux patients, des entrées, des sorties et des permissions, il est souvent bien difficile de faire la chasse aux substances illicites dans les hôpitaux psychiatriques. Mais ce que l'IGAS met en avant dans cette affaire, c'est l'impuissance des directions d'établissements à enrayer ce type de trafic, en vilipendant aussi une « présence médicale manifestement insuffisante dans certains établissements. L’absentéisme des personnels soignants atteint des niveaux inquiétants, les accords de réduction du temps de travail ont été négociés dans certains établissements de façon anormalement libérale et réduisent un temps de travail que viennent grignoter les trop nombreuses pauses des fumeurs ». Et les inspecteurs d'ajouter : « Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas les effectifs de personnels qui font défaut, sauf exception localisée ». Cette remarque, semble-t-il, n'a pas été du goût des soignants qui, ce week-end encore, ont assuré des gardes dans des services en sous-effectif.
(1) Philippe Pinel est un aliéniste français né au XVIIe siècle. Il fut pour l'abolition des chaînes qui liaient les malades mentaux et, plus généralement, pour l'humanisation de leur traitement. On lui doit la première classification des maladies mentales.
(2) La psychiatrie de secteur ou sectorisation en psychiatrie désigne l'organisation administrative gérant la maladie mentale et la répartition des structures de soins de santé mentale. Elle est considérée comme une révolution en regard de l'asile du XIXe siècle et a permis de développer la prise en charge « hors les murs ».