Acte I.
Auto-diagnostic.
Tout commence à la lecture d'un article que je n'ai malheureusement pas été en mesure de retrouver en ligne. Y est relaté l'histoire d'une jeune femme, qui s'est découverte
Aspie, et des changements induits dans sa vie (copain, boulot ...). De mémoire, elle avait fait 120 sur 200 à l'
Aspie Quiz et dans la foulée de ma lecture, je me pique de répondre à ce même questionnaire. Par curiosité.
Record battu: 164.
Le PDF conservé et horodaté dit mars 2016 et j'ai à ce moment-là déjà passé les 40 barreaux. Vieux motard que j'aimais. Au-delà du score, c'est l'impression prégnante que les questions posées racontent mon ressenti de vie avec une rare pertinence.
Ravi de ma découverte, j'enjoins mes collègues de travail à suivre mon exemple. Et là, entre celui qui se dit pas assez intelligent pour faire des tests en ligne, celui qui dit ne pas avoir compris toutes les questions et celui qui atteint 40 sur 200, grosse sensation de décalage. :–(
Acte II. Expectative.
Quelques mois plus tard, j'apprends dans
La différence invisible l'existence de
CRA à même de poser un diagnostic. L'idée d'avoir une confirmation clinique me tente car — de ce que j'en ai compris à l'époque — l'Aspie mobilise son intelligence pour faire semblant d'être comme les autres. Au bout d'un moment, ça a dû devenir une seconde habitude, à l'instar de la
doublepensée orwellienne. En outre je suis — entre autres défauts — snob en cela que ça me ferait mal de sacrifier à une tendance à la mode.
D'aucunes dans mon entourage familial me font part de leurs remarques qui doivent se vouloir constructives en m'assénant « mais non, t'es pas autiste » (m'épargnant cependant le
cliché oscarisé) ou bien encore « tu cherches ce diagnostic pour avoir une excuse pour ne plus faire aucun effort » (toujours agréable de se sentir soutenu).
Las, pour prétendre à une évaluation en CRA, il me faut une lettre de recommandation d'un médecin, psy de préférence. Mon thérapeute de l'époque ne croit pas en mon auto-diagnostic. J'ai dû faire montre de trop de loquacité lors de nos entrevues. Il rédige tout de même mon laissez-passer me permettant de m'inscrire sur liste d'attente.
Et l'attente est longue, on sent bien que les lignes budgétaires sont affectées à d'autres spécialités. :–( Après des mois et des mois sans nouvelle, un appel au secrétariat m'apprend que le centre va fermer et me renvoie sur un autre, plus loin mais avec moins d'attente. Normalement. Repartant évidemment de zéro dans la liste d'attente. Ô, joie.
Acte III.
Interviews.
Vient enfin le jour du pré-entretien avec un psychiatre. J'ai préparé une liste des traits qui me semblent correspondre, remplissant deux feuilles A4 recto verso de souvenirs. Sans pour autant avoir trop cherché à approfondir le sujet avant l'évaluation; connaissant ma tendance à l'
hypocondrie. Apparemment rien que le fait d'établir une telle liste et de l'organiser est déjà assez typique de mon atypisme.
L'évaluation proprement dite se fait avec une spécialiste ès TSA sur deux demi-journées, regroupées sur une seule car le centre n'est pas exactement la porte à côté. Les questions s'enchaînent. Peu à peu je prends confiance dans la relation qui s'installe avec la praticienne. Je peux être moi-même, à fond, sans
masque. C'est le but, non ? Et en face, je ne suis ni jugé, ni moqué, ni rejeté. Je découvre que ça peut exister. Du coup je tombe une à une les pièces de mon armure sociale et je me sens tout léger à la fin de la journée. Agréable autant que dangereux, il y a comme un goût de reviens-y, doux-amer car hautement non reproductible.
Acte IV. Obtention.
Suite à l'évaluation, délibération du jury. Les diagnostics sont posés de manière collégiale, m'apprend-on (dans l'idée d'éviter les biais, j'imagine). Ajoutant qu'il y a toujours au moins une voix dissonante dans le groupe de spécialistes, pour pointer tel ou tel détail pouvant amener doute légitime.
En novembre 2019 à la restitution, on me fait pourtant savoir que le débat sur mon dossier a tourné court. Tout le monde est tombé d'accord immédiatement. Je dois être quelque chose comme un archétype d'Aspie. Qui plus est cumulard HPI (hétérogène, alors ça ne compte pas pour moi). Que ne suis-je demi-
elfe-
nain quadri-classé ?
À mon grand regret, cela n'ouvre aucunement droit à une carte. Les
PMR disposent de places de parking adaptées pour tenter de contrebalancer une inadéquation évidente à
tout un chacun. Par contre avec un
TSA, esquiver une soirée avec une justification par trop fallacieuse, se voit aussitôt taxé de goujaterie.
Acte V. Utilité.
Qu'est-ce que ça a changé à ma vie ? L'impression d'avoir vécu un épisode de
Dr House: un seul diagnostic explique tous les symptômes. 100+
hit combo !
Ma mise à l'écart quasi systématique des groupes au sein desquels j'ai en vain tenté de m'intégrer (parfois au chausse-pied), paria même parmi les parias.
Mon
apathique empathie qui ne relève pas de la psychopathie, je suis tout bêtement cancre en
théorie de l'esprit. Ouf !
Mes sempiternels et éreintants travaux conscients d'analyse des situations et des réactions (toujours avec un temps de retard, souvent trop tard).
Mes
troubles de conduite alimentaire dont on m'a fait remarquer à la restitution la logique de restriction à une unique couleur.
Ma préférence pour les couleurs
sombres et sobres au grand désespoir de ma mère lors de mon adolescence.
Ma
gouaille ampoulée étayée de figures de style; qui à si peu saurait chaloir même
sivi çava dévéchivire gravave.
Mon algorithme de reconnaissance faciale cafi de
bugs (et là, on place
prosopagnosie, sur
mot compte triple).
Ma
prosodie alternative surgissant lorsque la fatigue me submerge.
J'en passe et des meilleures.
J'ai au moins maintenant accepté de me ménager pour durer.
Ne pas chercher à rattraper les marathoniens de la neurotypie en m'essoufflant en sprints arythmiques.