Extrait :
La crédulité contemporaine a su, par ailleurs, maximiser les possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information pour augmenter leur audience en permettant notamment d’agréger les différents arguments venant en renfort des théories les plus loufoques. Ces « théories », et l’on verra que ce terme mérite d’être mis entre guillemets, sont soutenues par nombre d’éléments argumentatifs. Le plus souvent, ces arguments sont très fragiles mais leur accumulation donne au tout une impression de solidité. Ce sont ces pseudo-démonstrations par adjonction d’arguments que je propose d’explorer dans cette contribution.
Le recours aux produits « fortéens »
La pensée conspirationniste peut convoquer des arguments parfaitement incohérents entre eux et ne vise pas toujours, au moment où elle se développe, une thèse rendant compte des anomalies qu’elle croit pouvoir déceler dans la version officielle des événements. Ce qui paraît motiver son obsession, c’est de trouver des indices, des incohérences dans les faits et de les accumuler par un travail souvent collectif, mais non coordonné, afin d’aboutir à un appareil argumentatif d’un genre nouveau que je propose de nommer les produits fortéens. En effet, les théories conspirationnistes procèdent le plus souvent par une accumulation parfois un peu aveugle de doutes, ainsi que proposait de le faire Charles Hoy Fort (1874-1932).
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En d’autres termes, le but de Fort était de constituer des « mille-feuilles » argumentatifs. Chacun des étages qui constituaient sa démonstration pouvait être très fragile – il en fait la confession dans le passage cité –, mais le bâtiment serait si haut qu’il en resterait une impression de vérité. Une conclusion du type : « Tout ne peut pas être faux ».
De nombreux ouvrages au vingtième siècle, parmi lesquels certains ont rencontré un immense succès public, peuvent être qualifiés de « fortéens » en ce qu’ils mobilisent des arguments puisant tout à la fois dans l’archéologie, la physique quantique, la sociologie, l’anthropologie, l’histoire, etc. 1 La référence à ces disciplines est plus que désinvolte dans la plupart des cas, mais elle permet de constituer un argumentaire qui paraît vraisemblable au profane, impressionné par une telle culture universelle. Il est difficile de contester terme à terme chacun de ces arguments car ils mobilisent des compétences qu’aucun individu ne possède à lui seul. De sorte que, sans entraîner nécessairement l’adhésion, il reste toujours une impression de trouble lorsqu’on est confronté, sans préparation, à ce type de croyances.