En tant que patiente diagnostiquée sur le tard et ayant bien préparé ma démarche de diagnostic, j'ai constaté des écarts parfois significatifs entre la façon dont le compte-rendu de mon évaluation me décrit et ce que je suis réellement. J'y vois l'effet de biais cognitifs et notamment, pour l'équipe en charge du diagnostic, de biais de confirmation (c'est-à-dire un tri des informations qui s'opère en faveur des représentations pré-existantes), ainsi que du manque de temps dont dispose le personnel hospitalier. Or ceci est problématique dès lors que ces résultats sont exploités dans le cadre d'études, ce qui a été le cas pour ma propre démarche de diagnostic. Je souhaite donc partager mon témoignage à la fois pour alerter là-dessus et savoir si d'autres personnes parmi vous ont fait des constats similaires.
Tout d'abord, au stade de la demande de diagnostic, le court questionnaire à remplir ne me donnait pas beaucoup matière à évoquer des traits autistiques, mon développement ayant été normal. J'ai alors saisi la possibilité qui était offerte aux patient-e-s d'ajouter des observations sur papier libre pour rédiger un long document analysant, dans les différentes domaines (caractéristiques de ma communication, intégration des codes sociaux, sensibilité, etc.) d'un côté les éléments de mon fonctionnement pouvant se raccrocher à des traits autistiques et de l'autre les caractéristiques allant dans le sens inverse.
Malgré ma volonté d'avoir ainsi une approche la plus objective possible, le jour de l'entretien avec la psychologue, quand cette dernière m'a interrogée sur ma motricité globale, j'ai répondu que j'avais tendance à me cogner et à faire de faux gestes mais que par ailleurs j'avais fait de la danse pendant longtemps et me débrouillais bien dans cette discipline. A ce stade déjà, les éléments donnés étaient déséquilibrés : d'une part, j'avais probablement surestimé ma propension à me cogner (d'après mon mari, je n'ai pas de spécificité à ce niveau-là, contrairement à un ami à lui qui d'ailleurs n'est pas autiste!), d'autre part je n'avais pas dit que j'avais appris à faire du vélo en une journée, qu'étant jeune je grimpais comme un chat en escalade ou à la corde à noeuds, que j'étais performante en lancer de disque ou pour des jeux de balles à deux (ping-pong etc.), ni que c'était notamment de la danse classique que j'avais pratiqué, ce qui nécessite tout de même une grande maîtrise kinesthésique ! Un certain nombre de ces éléments non mentionnés lors de l'entretien figuraient cependant dans le document préparé en amont que je mentionne plus haut. Las : la rubrique « neurodéveloppement » qualifie ma motricité globale de « compliquée », ne retenant que ma propension à me cogner et mes faux gestes. Le compte-rendu est d'ailleurs contradictoire puisque pour la partie « échelle de Vineland », basée sur un entretien entre la même psychologue et mon mari, il est écrit : « La motricité (fine et globale) seraient des points forts chez la patiente [oui, c'est écrit ainsi...] »
Par ailleurs, le compte-rendu comporte plusieurs passages où les éléments que j'avais exposés lors des entretiens (un avec une psychologue et un autre avec une psychiatre, en plus de l'évaluation ADOS) ont été mal recombinés au point de déformer les choses. Par exemple, la psychologue m'avait demandé à quoi je jouais dans mon enfance. Il se trouve que je jouais à tous types de jeux et qu'avec ma meilleure copine nous jouions souvent à des jeux où nous étions les personnages d'une histoire inventée par nous-mêmes. Mais j'avais précisé que c'était davantage ma copine qui prenait l'initiative de ce type de jeux et que l'on faisait aussi des jeux de société que j'appréciais beaucoup, notamment Trivial Pursuit. J'avais ajouté que vers l'âge de 9 ans je m'étais mise à utiliser un puzzle dont chaque pièce correspondait à un département français de façon tout à fait atypique : je m'obligeais à reconnaître, dans l'ordre (Ain, Aisne, etc.), les pièces posées face cachée et à réciter mentalement les préfectures et sous-préfectures avant de les retourner. Ces explications se sont traduites par le commentaire suivant dans le compte-rendu du bilan : « Au niveau du jeu, la patiente rapporte une préférence pour les jeux intellectuels comme reconnaître les formes de départements de France à partir de leur silhouette. ». Or non seulement cette phrase n'a pas à être au présent puisque l'exemple donné concerne mon enfance mais de plus, j'ai apprécié des jeux très diversifiés dans mon enfance, certains n'ayant rien « d'intellectuels » ni de solitaire, comme les jeux de cours d'école que j'avais pratiqué au même titre que les autres enfants (et je l'avais précisé lors de l'entretien).
Je termine ce témoignage par un point plus problématique encore. Il se trouve que les problèmes écologiques me préoccupent depuis l'enfance, que je milite depuis longtemps dans ce domaine (impliquant y compris des prises de responsabilités dans des associations) et que je suis concernée par l'éco-anxiété. Ainsi, lorsque la psychiatre m'a demandé si j'avais des angoisses, le premier facteur d'angoisse que j'ai mentionné est le réchauffement climatique. Ensuite, j'ai parlé de mes périodes de ruminations de mauvais souvenirs (c'était malvenu car il ne s'agit pas d'angoisse mais seulement de mal-être) et je pense avoir dit à ce moment-là que le story-board de la BD que j'avais réalisé récemment sur le sujet du réchauffement climatique avait constitué un bon dérivatif contre ces ruminations. Par ailleurs, au cours de l'un des entretiens, j'ai expliqué aussi que le roman d'anticipation que j'avais commencé à écrire (et jamais achevé) était un moyen de sublimer les angoisses que j'avais à propos du réchauffement climatique et plus généralement de la crise écologique (autrement dit imaginer l'avenir du monde me donnait une illusion de contrôle). Or dans le compte-rendu voici comment le sujet de mon anxiété a été restitué : « La patiente affirme être très anxieuse, notamment sur le plan des relations sociales, où elle aurait tendance à ruminer et sur-analyser les situations. Madame identifie ses activités en lien avec l'écologie comme étant son moyen de gestion de l'anxiété. ». Exit donc l'éco-anxiété et au contraire, l'enchaînement des phrases donne à penser que l'écologie serait pour moi une sorte de balle anti-stress ! Non seulement cette idée, en elle-même, me paraît aberrante s'agissant d'un domaine aussi anxiogène que l'écologie mais de plus, cela n'a rien à voir avec ce que j'ai expliqué ! J'ai donc la désagréable impression que mes propos ont été tordus pour les faire rentrer dans un schéma explicatif pré-établi

Que vous inspire mon témoignage ?