Troisième chapitre - Autisme et parentalité
Dans cet ultime chapitre, nous allons tenter de rendre compte des difficultés éprouvées par les parents d’enfants souffrant de troubles autistiques. En effet, quand bien même « la blessure qu’inflige à ses parents le handicap de l’enfant est d’ordre symbolique (…) être parent d’un enfant handicapé constitue une épreuve qui désorganise tous les repères sur lesquels on s’appuie habituellement dans le processus de la parentalité.».(Korff-Sausse 2007, p.6-29). Nous prendrons appui conjointement sur la littérature scientifique ainsi que sur des extraits d’entretien afin d’étayer notre argumentaire.
a) Le rôle bénéfique des associations
L’impact considérable, que peut avoir la mobilisation des associations, sur l’inscription des problèmes spécifiques à un handicap sur l’agenda public n’est plus à démontrer. L’association de parents : American Society for Autism (ASA) en est une figure emblématique aux Etats-Unis. Toutefois, à la différence du modèle communautaire américain, « l’approche française, qualifiée de sociale, se caractérise par la « sollicitude sociale » mais ce ne sont pas les populations concernées qui façonnent la politique. » (Brigitte Chamak 2010, p.111). Néanmoins, le poids du réseau associatif en France fut déterminant s’agissant de faire naître une identité collective et d’obtenir la reconnaissance officielle de l’autisme comme handicap auprès des pouvoirs publics, notamment par le biais de l’adoption de la loi Chossy du 11 décembre 1996, devenue l'article L 246-1[1] du CASF. Par conséquent, il est difficile de réfuter que, « la force du groupe, lié par des revendications et des actions communes, s’affermit avec l’augmentation de la visibilité́ et de la diffusion de leurs doléances » (B. Chamak 2013, p.231). Il ressort des entretiens que nous avons pu mener, qu’à l’unisson, les parents tiennent des propos dithyrambiques à propos des associations qu’ils fréquentent et ce, quel que soit le temps depuis lequel ils y adhérent :
- « Le docteur du CRA nous dit, venez aux réunions, je fais une réunion une fois par mois avec les parents d’enfants scolarisés, alors on intègre déjà ce groupe là et c’est vrai que ça nous…uffff, ça nous sauve ! Et puis c’est le premier qui me dit vous n’êtes pas responsable ! C’est un trouble neurologique. »
- « Et là quand on me dit, il y a rien de pathologique, tout va bien votre enfant est très bien construit, c’est des choses positives qui font du bien à entendre. ».
- « C’est pour ça je dis il faut aller dans les associations, rencontrer d’autres gens, qui sont passés par où vous êtes passés et vous aurez des infos, y’a que comme ça. C’est important selon vous de s’appuyer sur le tissu associatif ?Ah c’est énorme ! Ouais, parce que y’a qu’eux qui peuvent vraiment nous aider et nous dire…voilà ! » ;
« C’est vrai qu’au fil du temps, les réunions entre parents, ben on a commencé à comprendre, ben même l’autisme de haut niveau je savais pas ce que c’était non plus quoi.» ;
« Et puis quand on allait aux réunions on voyait d’autres parents, on discutait et après ouf quoi ! » ;
« Ben ça apporte du réconfort aussi, un échange énorme, et puis tu partages avec d’autres qui commencent le parcours et ça m’apporte du bien de faire quelque chose pour les autres.»
« En fait, c’est en entendant d’autres parents, que tout doucement, suivant chaque individu, tu commences à faire le deuil de ton enfant parfait, ça se fait à force d’écouter les autres.» ;
« En fin de compte dans les réunions au début tu te sens pas concerné, pas trop, et puis t’écoutes les gens et tu te dis tiens, ils vivent des trucs un peu comme nous.(…) Le seul soutien qu’on ait eu, c’est les associations finalement. (…) Là tu comprends qu’il va falloir se battre mais vraiment ! Et que si tu te bats… tu y arrives.»
- « Tout ça il faut dire, c’est une affaire de rencontres hein !», (…) après c’est le contact, c’est un réseau hein (…), comme c’est les associations qui mettaient en place les formations TEACCH, ben on rencontre d’autres associations sur d’autres régions. C’est donc aux parents de s’approprier les méthodes éducatives ? Ben voilà, c’est ça ! Y’a rien, pas de personnel formé, c’est surtout les associations ! » ;
« Le milieu associatif ça fait beaucoup, ça te sert à t’orienter chez les professionnels, ils savent ceux qui sont mauvais et ceux qui sont bons, donc ça sert pour les bonnes adresses.» ;
« En fin de compte, on se bat pas vraiment contre la différence de notre enfant, on se bat contre un système qui veut nous abandonner. (…) Je me suis rendu compte qu’il faut faire tout soi-même, alors internet t’aide beaucoup, même si y’a plein de bêtises.».
Les moments conviviaux organisés pour réunir les parents sont avant tout axés sur la parole et la verbalisation du vécu. Les échanges nourris peuvent, de notre point de vue, générer parfois un sentiment d’auto-efficacité lénitif, lorsqu’ils comparent les résultats obtenus avec leur enfant auprès d’autres parents, même si, rappelons-le, la finalité première des rencontres parentales repose sur un partage d’expérience et sur la possibilité d’objectiver les difficultés.
b) L’effet libérateur de l’annonce du diagnostic
- « L’enfant handicapé bouscule l’image idéale de l’enfance, que nous nous plaisons à imaginer » (Korff-Sausse 2011, p.. Aussi, rien d’étonnant à ce que les parents nous aient exprimé la nécessité de faire le deuil de l’enfant idéalisé. Ce travail d’acceptation rendu nécessaire, généralement facilité par l’annonce du diagnostic, provoque bien souvent un effet de sidération :
« Le mot autisme me dérangeait, tu essayes de te rassurer comme tu peux. » ;
« Ben, quand on te l’annonce, t’y crois pas. (…) Au départ je le prenais comme si c’était les autres qui avaient raté quelque chose avec mon enfant. En fin de compte, tu essayes de trouver un coupable quand quelque chose ne va pas bien. (…) D’autant plus que dans notre cas, en général, un enfant qui parle, c’est un enfant qui va bien. (…) Ce qu’il faut se dire, c’est que des parents, tu commences à leur dire que leur gamin il a un souci, ils supportent pas d’entendre ça. Ils veulent que leur enfant soit parfait, c’est culturel. » ;
« En plus quand on m’a annoncé que c’était de l’autisme, pfff là je me suis un peu écroulée, ouais ! Parce que j’avais pas compris les troubles du comportement, qu’on m’avait évoqué (…). Et puis c’est vrai que j’avais comme tout un chacun, quand on ne connaît pas, forcément l’autisme ça fait peur. Voilà ! Bon mon mari m’a dit on s’en fout de toute façon, qu’il soit dyspraxique ou autiste, ça reste ton enfant ! Et ça ça m’a fait du bien. C’est vrai que je me suis dit…on s’en fout ! » ;
« Ben au début j’ai pas trop assumé, l’autisme ça a plusieurs niveaux, je crois que je voulais pas y mettre mon enfant, parce que y’en a qui parlent pas ou qui ont un retard mental.».
- « Tout ça, te permet aussi tout doucement de faire le deuil de ton enfant parfait, on a beau donner un problème à ton enfant, toi, tu le vois encore comme l’enfant parfait. Et puis finalement, avec le temps il faut quand même faire le deuil de l’enfant parfait, dans le sens, que notre système souhaiterait aussi quoi. ».
- « Ca a été un soulagement ! Parce qu’au moins on pouvait mettre un nom, et puis on a commencé à se renseigner (…) » ;
« Mais ça a été un soulagement, et puis j’ai senti que ça m’a permis aussi un peu de me reconstruire ».
c) Lorsque le handicap bouscule l’équilibre de la sphère familiale
Etre parent d’un enfant en situation de handicap n’est pas un phénomène isolé ou marginal, notamment dans le cas de l’autisme. Les troubles du spectre de l’autisme, au même titre que n’importe quel handicap, mettent à mal l’équilibre familial. Aussi ne pouvons-nous nier l’authentique « épreuve affective que constituent les troubles, mais aussi leurs effets sur la vie conjugale, l’économie familiale, la fratrie, la santé physique et psychique de l’entourage.» (Beaud et Quentel 2011b, p.132). Dès lors, les retentissements des troubles autistiques sur le processus de parentalité sont indéniables.
Beaucoup de parents souffrent principalement de l’incompréhension que suscite le handicap de leur enfant et ce, qu’il s’agisse de professionnels ou de la sphère relationnelle :
- « Je crois que les autres parents se rendent pas compte, parce que dès qu’on en parle autour de nous… je sais que pour eux c’est pas facile, mais bon. » ;
« On a toujours peur qu’on rejette notre enfant, juste parce qu’on lui colle une étiquette. Par exemple, quand tu téléphones pour faire des soins dentaires chez un dentiste, la réponse que t’as en général, c’est, ah non, ça je fais pas. Rien que le fait de dire, ça verrouille des trucs.» ;
« Le problème, c’est que ça dérange beaucoup de gens, parce que quand tu dis autisme, bon ben voilà, c’est de suite on voit ce qu’il y a de plus mauvais quoi, enfin le côté irrécupérable. (…) Prononcer autisme, je savais que la réaction des gens était pas bonne. » ;
« En fin de compte, y’en a qui comprennent pas trop, des parents avec qui t’es vachement jugé quoi. (…) Les gens qui ne savent pas, ils ne comprennent pas. Dire le handicap, ça peut fermer plein de portes.».
Il ressort de l’ensemble des témoignages recueillis, que la sphère familiale se trouve irrémédiablement bouleversée, pour ne pas dire lésée, par les logiques organisationnelles qu’exige l’accompagnement au quotidien des enfants atteints du syndrome d’Asperger.
Les troubles autistiques nécessitent notamment que les parents s’entourent d’infinies précautions afin de restreindre la mutabilité de l’environnement, qui peut se révéler particulièrement anxiogène. En effet, il n’est pas chose aisée d’envisager de confronter l’enfant à un univers inconnu déstabilisant (un balisage préalable est souvent requis), du fait que les enfants avec autisme ont un besoin impérieux, voire obsessionnel d’immuabilité :
- « Nous on est obligé de prévoir et d’organiser les vacances super à l’avance. (…) Et on a appris à toujours séquencer les choses. Tu peux pas le balancer dans l’inconnu total.» ;
« On est des personnes qui aiment bien rencontrer du monde, par contre avec le handicap, c’est…est-ce que ce qu’on va lui proposer à manger, ça va le faire ? Suivant les endroits où tu vas, t’es obligé de dire mon enfant, il mangera pas ça. ».
- « Ben on vit avec des plannings, notre vie c’est ça, avec les rendez-vous à droite et à gauche, ce qui fait que notre enfant est devenu la priorité première de tout, moi j’ai le sentiment que l’on vit que pour ça quand même.» ;
« Ben ça peut être assez destructeur, parce que ça crée des tensions en permanence.» ;
« Bon, ça fait des dégâts au niveau du couple, ça peut être très douloureux.» ;
« Ah ben le handicap, ça a tout bouleversé hein, c’est pas évident, il y a eu des périodes très dur dans le couple, où on était pas forcément d’accord, ça s’est amélioré quand on a eu le diagnostic. Là on a vraiment commencé à poser les choses. » ;
« Tu te rends compte que c’est à toi de changer et à t’adapter à ton gamin.» ;
« La vie de couple c’est le néant, tout tourne autour de l’enfant. » ;
« Et il y avait des conflits, parce qu’avec les autistes, il y a des crises et ça peut s’apparenter à des caprices, moi je disais que c’était pas des caprices et le papa avait un regard plus masculin, ben il disait, ben si il faut le punir, ça générait des tensions bien sûr. ».
- « Ce qui nous bousille la vie c’est le système, c’est qu’il faut se battre pour avoir des bonnes prises en charge, il faut se battre pour que l’école fasse des efforts et mette en place des choses, c’est toujours à nous d’aller nous battre. » ;
« A l’école, je vois par exemple j’avais des petits mots, est-ce que vous pouvez lui apprendre à faire ceci, et moi je refaisais l’école le soir…, je fais mes barrettes de perles, je fais toute la pédagogie Montesori, je lui ai appris les additions, je faisais tout ça. »
- « Ben tout tourne autour de notre enfant. C’est notre préoccupation première, nous on passe au second plan. Vous vous interdisez des choses ? On s’interdit même pas, naturellement, on y pense même pas (…) Et puis j’ai dû réduire mon temps de travail pour m’occuper de mon enfant. » ;
« Tu dois tout le temps t’adapter, notre enfant pour beaucoup de choses de la vie a besoin d’une béquille, même si au bout d’un moment il peut en enlever. ».
d) Parents et institutions, une relation dyadique épineuse
Etre parent d’un enfant en situation de handicap induit une confrontation permanente avec les institutions et les professionnels, qu’il s’agisse des structures médico-sociales, du secteur médical ou infanto-juvénile, des services publics ou de l’école. Les parents nous ont fait part de leur souffrance, car ils se heurtent bien souvent à de l’incompréhension ou un manque de soutien. Au-delà de ces considérations, il s’avère que les dogmes culpabilisants, toujours adoptés par certains professionnels, semblent également très préjudiciables pour les familles :
- « Après l’épisode des CMPP, les psychologues, j’avais plus du tout envie de les voir (…) on m’a fait comprendre que j’étais néfaste pour mon enfant. » ;
« C’est simple l’orthophoniste du CMPP, j’ai arrêté parce qu’elle m’accusait de coller des symptômes à mon enfant. On a arrêté, on a fait une pause thérapeutique comme on dit.».
- « J’ai essayé un peu la halte-garderie, ça c’est très très mal passé la collectivité, c’était horrible, je l’entendais hurler de l’extérieur, il avait des plaques rouges à force d’hurler.».
- « Je me suis rendu compte à chaque fois que tu rencontres des bons professionnels, qui sont très rares, c’est ceux qui t’écoutent, et ils te laissent parler. Et du coup, ceux qui sont bons, ils sont débordés. Donc ça manque de compétences. » ;
« Mais je disais au pédiatre il a pas un problème aux oreilles ? Il nous disait non, non il aura l’oreille musicale » ;
« Avez vous eu le sentiment qu’on s’appuyait sur votre expertise parentale ? Non, non, on est mis à l’écart, c’est très frustrant, on est pas écouté, notre parole n’a aucune valeur.» ;
« Je me rends compte avec l’orthophoniste. Je lui dis mon enfant fait des progrès et tout, elle est en relation avec une intervenante extérieure que j’emploie, et là la professionnelle nous dit, oui mais elle, elle n’est pas du paramédical. Et là tu te dis là c’est bon quoi, parce qu’il sont du secteur paramédical ils ont la science infuse et ils se remettent pas en question Moi je leur demande juste de travailler en équipe et d’avancer le mieux possible pour le bien être de l’enfant. » ;
« Même si tu as des compétences pour le paramédical, ça n’a aucune valeur.» ;
« Mais on avait demandé à rencontrer l’AVS pour lui expliquer pour notre enfant, et puis ça n’a pas été possible.».
- « Il faut dire que y’a des moments où on se sent seuls (…) Même l’assistante sociale, j’avais des questions, je voulais la voir pour m’aider dans les papiers de la MDPH et elle m’a dit vous avez eu votre diagnostic, vous avez déjà eu un rendez-vous, alors voilà. Parce que quand on a le diagnostic, on a un rendez-vous avec l’assistante sociale pour nous expliquer nos droits et tout ça. Après ça c’est fini ! ».
- « Et puis je suis allé au CMPP et là ça a été l’engrenage, au final ça n’a servi à rien, j’ai rencontré une psychologue, on a fait des bilans, des bilans, des bilans…Et rien, rien du tout, une bilan psy, mais mon enfant était dans un coin et il jouait, et c’était des questions du style : Comment ça se passe à la maison ?, des questions personnelles sur nous, jamais d’échanges, aucun échange avec notre enfant, jamais pris en individuel, au bout d’un moment elle nous a dit, écoutez je peux rien faire pour vous (…)
(…) Puis on a vu un pédopsy, qui le prend en individuel, ça a duré un quart d’heure, puis il nous reçoit et me regarde moi et me dit écoutez Madame, il faudra peut-être relativiser un petit peu, votre gamin parle très bien, tout va bien ! On en attendait beaucoup et rien, et là ça c’est arrêté, plus rien, et les problèmes continuaient à l’école. » ;
« Souvent au CMPP ça dure un an, et puis après on vous dit ça va bien et d’un coup tout s’arrête. Et puis au CMPP rien n’est coordonné il a eu trois psychomot’ différents. (…) On a aucun suivi nous parents, pareil on est là dans le couloir on attend, il vous disent qu’ils ont des réunions d’équipe, mais on n’a jamais de bilan concrets, on a jamais de compte-rendu. Vous n’êtes pas acteurs de la prise en charge ? Non, non !».
- « Je suis beaucoup déçu par les professionnels, avant le médecin, le professionnel de santé, on mettait un peu sur un piédestal, enfin on avait confiance, maintenant, ça n’a plus aucune valeur pour moi. » ;
« Parce que dans le milieu médical, y’a vraiment des charlatans. Qui méconnaissent, et qui ne veulent pas se remettre en question et qui nous font croire des choses. » ;
« Notre enfant il a ramassé aussi, il en a vu des professionnels de santé qui n’ont pas toujours été très sympa avec, qui l’on malmené. L’orthophoniste, tout ce qu’elle m’a vomi comme méchancetés, c’était devant mon enfant, ben oui, il n’est pas con ! Et maintenant il met du temps à accorder sa confiance, c’est difficile.».
A suivre
[1] Toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés bénéficie, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tient compte de ses besoins et difficultés spécifiques.(Code de l’action sociale et des familles - Article L246-1 2016)