Non, je ne caricature pas "beaucoup".
J'étudie la question depuis plus d'une décennie et j'ai été sur le terrain et au contact de nombre de personnes psychiatrisées et de professionnels en santé mentale. Je sais de quoi je parle quand je dis que les psychiatres en France ne sont pas suffisamment formés. J'ai des témoignages à la pelle de diagnostics erronés ou incomplets, de maltraitances, de négligences médicales graves, de rétention d'information, de discriminations, etc. Autant de violations du serment d'Hippocrate.
Théoriquement oui, le corps médical se base sur une expertise des connaissances scientifiques actuelles. Dans la pratique en psychiatrie, tout d'abord un certain nombre de choses ont une validité scientifique bancale. Aujourd'hui on peine à remettre en question des choses qu'on tient pour acquises principalement parce que c'est la règle établie et que ça mettrait mal de dire "ah ben en fait, on se plante depuis plusieurs siècles sur des trucs fondamentaux", et pourtant... Par exemple quand on voit les idées d'Emil Kraepelin et le revival que ça a connu dans les années 80 c'est tout bonnement affolant. Kraepelin était un eugéniste militant qui pensait que l'éducation "appauvrissait la race", et qui préconisait d'enfermer à vie les malades (maniaco-dépressifs par exemple) parce que de toute façon, c'était des incurables dont on ne pouvait rien tirer. La stigmatisation dont souffrent encore aujourd'hui les malades en question (qu'on appelle maintenant bipolaires) est un héritage de ces idées rétrogrades qui font honte à la science : l'idée d'incurabilité persiste dans les associations d'idées.
Pour le suivi régulier des connaissances nouvelles, on repassera, et vu que ce n'est absolument pas encadré / réglementé on peut difficilement s'en étonner : rien n'oblige les psychiatres à actualiser leurs connaissances, à se documenter extensivement sur les dernières découvertes en neurosciences ou en thérapies comportementales, si ce n'est peut-être le qu'en-dira-t-on. Et un certain nombre de choses ne sont pas traduites en français, rien que ça est un frein énorme, tou-te-s les psychiatres ne lisent pas couramment l'anglais. Par ailleurs on peut imaginer qu'un-e psychiatre dans le public surchargé-e de travail aura moins de temps à consacrer à la documentation qu'un-e psychiatre avec un emploi du temps plus souple. Certaines personnes qui pratiquent encore de nos jours ont connu un temps où la psychochirurgie (lobotomie) avait encore cours en France, pour rappel du contexte. Les électrochocs sont toujours pratiqués parce que certain-e-s psychiatres les défendent corps et âme même si les conclusions des études ne sont pas tout à fait satisfaisantes et qu'on pourrait tester un traitement moins invasif qui agit également sur les neurotransmetteurs (le neurofeedback). Et quand on fait part de ces inquiétudes on s'entend dire "nooon, mais la sismothérapie ça fait peur parce qu'on a vu ça dans les films, mais de nos jours, les patient-e-s sont d'accord et c'est fait sous anesthésie générale, et ça marche bien !!". Sauf que plusieurs anesthésies générales par mois c'est quand même extrêmement lourd en soi, les effets secondaires ne sont pas négligeables (troubles de la mémoire, parfois au long terme), et vu la surpopulation et le manque de moyens il y a parfois des bévues de taille : je connais quelqu'un à qui on a oublié de mettre l'objet dans la bouche pour éviter la crispation des mâchoires et qui en a perdu l'usage de sa langue pendant une bonne semaine.
On sait, avec les connaissances scientifiques à notre portée en 2018, que la coercition, la contention et l'isolement ne sont pas des soins mais des actes violents qui risquent de (re)traumatiser des patient-e-s déjà fragilisés. Et pourtant, les faits sont là.
De conséquentes années d'études ne garantissent pas une pratique respectueuse et bienveillante. C'est d'ailleurs une critique que l'on peut porter au corps médical dans son ensemble sur certains points : les médecins ne sont pas formés à rencontrer des patient-e-s traumatisé-e-s, à respecter le consentement de leurs patient-e-s (en 2015 on apprenait que des étudiant-e-s sont
encouragé-e-s à faire des touchers vaginaux/rectaux sur des patient-e-s endormi-e-s à qui on n'a rien demandé !). Pour certaines pathologies rares et chroniques le délai entre les premiers symptômes et le diagnostic est souvent extrêmement long. Bref. Le problème n'est pas exclusif à la psychiatrie mais il est particulièrement criant en psychiatrie.
Je sais que c'est rassurant de se dire "les choses progressent, ce n'est pas parfait mais c'est pas si mal, les gens qui râlent ne veulent pas voir le positif", mais là ce n'est pas un constat réaliste quant à la psychiatrie française. La situation est absolument désastreuse. Si on a de la chance on tombe sur quelqu'un qui ne fait pas plus de mal que de bien et qui pourrait même aider. Mais on peut tout aussi bien se retrouver privé de libertés élémentaires pour le motif qu'on avait la mauvaise tête et qu'on avait tenté de mettre fin à ses jours dans un moment de grand désespoir. Le système permet un déséquilibre de pouvoir beaucoup trop grand pour que les résultats soient corrects : un-e patient-e a très très très peu de recours face à un-e psychiatre maltraitant.
En fait le problème n'est pas seulement de savoir si les psychiatres ont bien les infos, le savoir-faire pour traiter correctement les patient-e-s : le simple fait qu'iels puissent ne pas le faire en relative impunité est une grande partie du problème également.
Cet article sur la psychiatrisation et l'autorité des psychiatres est intéressant :
http://biaise.net/blog/2015/07/22/le-do ... e-reponse/
Cet autre article est un témoignage de comment les choses peuvent se passer en HP :
http://biaise.net/blog/2015/05/01/hopit ... /#more-571
Un autre témoignage de maltraitance en HP :
https://presque-par-accident.blogspot.f ... -soin.html
Et voici quelques articles de presse qui parlent de ça ;
Sur la surpopulation et la maltraitance :
https://www.20minutes.fr/sante/2181339- ... xie-siecle
Sur l'atteinte portée aux libertés des patients :
https://www.la-croix.com/Les-hopitaux-p ... 1100747468
Sur l'interdiction des rapports sexuels en HP (ça corrobore des témoignages que j'ai entendus IRL sur le sujet)
https://www.lemonde.fr/societe/article/ ... _3224.html
Pour aller plus loin sur l'histoire de la psychiatrie et des mouvements antipsychiatriques, le livre "Les antipsychiatries : une histoire" de Jacques Hochmann est pas mal du tout (il dit des conneries sur l'autisme à la fin, mais sinon j'ai trouvé l'ouvrage sérieux et intéressant).