Pikachu dans la guerre du clic entre le gouvernement et les groupes anti-IVG
LE MONDE | 09.08.2016 à 20h28 • Mis à jour le 10.08.2016 à 13h03 | Par Florent Bascoul
Pikachu, le plus célèbre des minimonstres qu’il faut attraper dans le jeu Pokémon Go, est aussi devenu, jeudi 4 août, le personnage principal… d’un site Internet mobile anti-avortement. Sur Sauvezpikachu.com, qui se présente comme un minijeu, l’attachant Pokémon jaune attend un petit, et l’utilisateur peut choisir de refuser sa naissance.
Cette initiative est l’œuvre du groupe Les Survivants, un mouvement de plusieurs centaines de jeunes redonnant vie, ces derniers mois, à un collectif créé à la fin des années 1990. Ils estiment qu’ils avaient « tous une chance sur cinq de ne pas vivre », vu le nombre d’interruptions volontaires de grossesse (IVG) en France. Le groupe exploite les réseaux sociaux et organise des happenings. Sur son site, il reprend les codes du jeu très populaire chez les 15-30 ans, et assène des arguments culpabilisant le visiteur.
Tout en prenant soin de ne pas désigner directement ce site, la ministre de la santé, Marisol Touraine, a réagi, vendredi 5 août, sur Twitter. Dénonçant une « propagande anti-IVG qui a l’air cool », elle a renvoyé les internautes vers le site du gouvernement pour obtenir « une info fiable ».
Cette réponse immédiate est symptomatique de la guerre du clic que se livrent sur Internet anti-IVG et gouvernement, avec pour champ de bataille le tout-puissant moteur de recherche Google. Pour donner des résultats hiérarchisés à la recherche d’un internaute, et classer les sites en fonction de leur pertinence, son algorithme prend en compte un grand nombre de paramètres : l’utilisation d’un mot-clé dans un article, la publication régulière de contenus, la présence d’éléments spécifiques dans le code source d’une page Web…
Campagne de référencement
Pour les recherches Google relatives à la santé publique, un enjeu considérable, le gouvernement doit parfois lutter pour rester en première position des résultats. C’est le cas pour les requêtes liées à l’avortement : ivg.social-sante.gouv.fr (le site officiel du gouvernement) se retrouve de temps en temps détrôné de la première place par ivg.net, un site concurrent qui prétend offrir écoute et conseils, mais tente de décourager les visiteurs de choisir l’avortement. La directrice de la publication du site, Marie Philippe, a écrit un livre, L’IVG, 40 ans après la loi Veil. La face cachée de l’avortement, dans lequel elle estime que la plupart des femmes ayant recours à l’avortement subissent des pressions de leur entourage et du corps médico-social.
A l’automne 2015, après un an de préparation, le ministère de la santé lançait la campagne de mobilisation « IVG, mon corps, mon choix, mon droit », comportant un important volet sur Internet. A grand renfort de relais médiatiques, d’enrichissement éditorial et d’achat de référencement payant, le site est passé de 74 000 visiteurs mensuels, en septembre 2015, à 178 000 en novembre 2015. Mais, malgré tous ces efforts, il a été de nouveau devancé, début 2016, par ivg.net. Ce dernier aurait notamment bénéficié du fait qu’il publie régulièrement de nouveaux contenus.
Depuis, le code du site a été modernisé et a bénéficié d’une «optimisation éditoriale en actualisant régulièrement notre page d’accueil et en diversifiant les contenus », décrit le ministère.
Finalement, la stratégie semble payante, puisque, selon les chiffres d’un audit commandé par le ministère communiqués au Monde, ivg.net, qui détenait 48 % de visibilité sur le Web au début de l’année, n’en est plus qu’à 20 % en juillet. Loin de s’admettre vaincu, le site hostile à l’IVG s’est offert une campagne de référencement payant et arrive encore en tête des résultats de Google avec certaines combinaisons de mots-clés.
Dans cette guerre pour l’information sur l’avortement, tous les acteurs ont compris qu’il faut renouveler sa façon de communiquer (pages Facebook, applications, happenings). A la rentrée, une commission doit se réunir au ministère pour décider de nouvelles initiatives, qui devraient s’appuyer sur des communautés associatives et la presse féminine.
Florent Bascoul
Journaliste au Monde
http://www.lemonde.fr/pixels/article/20 ... 08996.html