Rio Grande ?
«Ce que j’avais construit pendant des années, ils l’ont détruit en dix minutes au nom des JO»
Environ 2600 familles ont été expulsées de leur logement à Rio. Des journalistes brésiliens leur donnent la parole et dénoncent le manque de transparence de la municipalité
Depuis vendredi, les festivités battent leur plein à Rio et les quelque 500 000 touristes attendus pour les Jeux olympiques affluent.
Pour accueillir une telle foule, la ville a fait peau neuve et créé des stades, mais aussi des trams, des métros et une multitude d’infrastructures. Résultat: environ 2600 familles ont été déplacées, expose Courrier International. L’agence brésilienne d’investigation Agência Pùblica publie les témoignages de 100 d’entre elles sur la plateforme «100 histoires. 100 déménagements. 100 maisons détruites par les Jeux olympiques 2016». Selon ce collectif de journalistes, «il n’y a pas de documents officiels sur les expulsions de familles et les destructions massives. Nous avons décidé de les lister.»
Une «violence psychologique et physique»
Malgré un design gai et coloré, la page internet dénonce une réalité autrement plus sombre. De clic en clic, l’internaute accède aux interviews des habitants. «Ils m’ont dit qu’ils allaient lancer la police à notre recherche, qu’ils allaient démolir la maison avec nous dedans», rapporte Eunice dos Santos, un ancien résident de l’Estrada da Boiùna. Originaire du même quartier, Maria da Silva raconte que sa fille a été traumatisée par la destruction subite de sa maison. «Elle a maintenant besoin de traitements psychiatriques», déplore-t-elle.
Tout ce que j’avais construit pendant des années, ils l’ont détruit en 10 minutes à cause des Jeux olympiques
Chaque témoignage est accompagné d’une carte indiquant le quartier d’origine de la personne, l’endroit où elle a été déplacée et l’éventuelle compensation reçue. Si la majorité des familles ont été relogées, environ 500 personnes sont toujours sans logement.
Enardo Dos Santos n’a jamais reçu de compensation pour la destruction de la maison dans laquelle il vivait depuis plus de 30 ans.
Ednardo Dos Santos, Carioca de 55 ans, a été expulsé de la maison dans laquelle il vivait depuis plus de 30 ans. «Ils l’ont écrasée comme si c’était un bout de papier, en laissant les affaires à l’intérieur. Tout ce que j’avais construit pendant des années, ils l’ont détruit en 10 minutes, tout ça à cause des Jeux olympiques.»
La «stratégie de désinformation» de la mairie
Depuis des mois, les reporters brésiliens contactent les familles, retracent leurs histoires et enquêtent sur les procédures de la municipalité de Rio. «Le manque d’information sur les expulsions est une constante», au point que certaines familles apprennent «par des rumeurs sur Internet qu’il va y avoir des démolitions», raconte José Pereira Filho, Brésilien de 52 ans à qui la mairie avait promis un terrain pour continuer à travailler. «Je les ai crus et j’ai été oublié».
D’après les communiqués officiels, seul le quartier de Vila Autódromo a été détruit pour l’aménagement des JO. Les autres destructions seraient dues à des glissements de terrains ou à des inondations. Mais ce n’est pas ce que racontent les habitants de la ville: les militaires ont annoncé aux Cariocas de la plupart des quartiers qu’ils avaient besoin de place pour de nouvelles infrastructures. «Ils m’ont dit qu’ils voulaient construire des parkings pour les JO», rapporte Marco Amtônio, un habitant de Metrô qui a été délogé. Pour les journalistes, la municipalité a adopté une «stratégie de désinformation».
Des menaces constantes
Dans les quartiers construits pour reloger les familles, de nombreux militaires font la ronde. «L’endroit est bien, mais nous sommes trop contrôlés», explique Antonio Jose Zacarias Da Silva, habitant de Jacarepagua. «Il n’y a pas beaucoup de liberté, les enfants ne peuvent pas sortir après 22h.»
Bien que certains déplacés se disent satisfaits de leur nouveau logement, la tension est palpable. «Beaucoup d’habitants ont peur de parler, ou ne veulent pas apparaître sur des photos ou vidéos. Soit parce qu’elles ont été menacées, soit parce qu’elles ont peur de l’être», explique Agência Pública.
Déjà en juin 2015, une vidéo montrant la police agressant les habitants du quartier de Vila Autódromo pendant une démolition circulait sur les réseaux sociaux. Cette scène se déroulait précisément là où se tient aujourd’hui le Parc olympique, le stade le plus fréquenté des JO.