« les psys se confient », quelques bonnes feuilles
Jean-Louis Racca·mercredi 17 février 2016
Quelques bonnes feuilles du livre « les psys se confient », sous la direction de C. André, Odile Jacob, octobre 2015.
http://www.odilejacob.fr/catalogue/psyc ... 132598.php
Je suis tombé par hasard sur ce livre au rayon « librairie » d'un supermarché.
Je trouve le concept intéressant : il s'agit de 22 chapitres dans lesquels autant de psys racontent leurs parcours.
« Choisis » par Christophe André, tous sont des praticiens et chacun d'entre eux a publié, en moyenne, plus de deux ouvrages.
On notera qu'après qu'ils l'aient étudiée et/ou pratiquée (parfois de longues années), presque tous se sont éloignés de la psychanalyse.
Ce dernier point peut être d'une aide précieuse pour argumenter à propos de celle-ci et la remettre à sa juste place : un esprit curieux et honnête (surtout s'il a une opinion positive de Christophe André) pourra, en effet, difficilement balayer d'un revers de main les arguments des psys la remettant en cause au cours de leurs cheminements.
Pour vous donner envie de lire l'ouvrage, je vous donne ici quelques « bonnes feuilles » du chapitre 16, écrit par Didier Pleux : « Histoire d'un « psy révolté »... ».
Didier Pleux, né en 1952, décrit d'abord son enfance et explique comment (« Autour de moi, je vois beaucoup d'injustices et l'idée mûrit : défendre les plus indigents dans cette société du plus fort. ») il se construit progressivement une « conviction humaniste ». Il veut devenir avocat.
« Et quelques années plus tard, le tumulte de Mai 68 conforte les idées de l'adolescent que je suis devenu. Si je suis du côté de la rébellion, je ne suis pas séduit par l'individualisme exacerbé de beaucoup. Sous prétexte d'engagement politique, nombreux sont ceux qui vont épanouir avant tout leur ego et oublier le combat humaniste. Déçu par cette politisation ambiguë, je renonce à m'engager auprès de telle ou telle obédience et je décide de vivre seul mon idéal. Ce sont les études de droit qui, j'en suis persuadé, vont répondre à ces attentes.
« DO IT ! »
Après le baccalauréat et avant de m'inscrire à l'université, j'obtiens une bourse d'études pour passer un an dans une famille américaine et repasser un « bac américain » dans un lycée. (…) J'avais demandé à séjourner au Texas, c'est en Alaska que je vais passer cette année. Nous sommes en 1970, je suis curieux de vivre avec ces « impérialistes » tant décriés dans nos commentaires post-68. J'apprends très vite que tous les américains ne votent pas Nixon, qu'ils ne sont pas tous anticommunistes ou individualiste. Je suis vite fasciné par ce « do it ! » bien anglo-saxon : jusque là, mon humanisme reste conceptuel, intellectuel, je brasse des idées mais, concrètement, rien de bien précis. De la même façon, mes copains restés en France choisisse l'engagement politique, mais leur implication ne dépasse pas la vente de journaux comme Rouge sur les marchés ; au quotidien, peu d'actes réels pour actualiser leurs convictions (...).
A Juneau, capitale de l'Alaska, j'apprends très vite que parler ne suffit pas. (…) Ici, on n'attend pas les subventions, on ne prie pas la Providence pour obtenir gain de cause, on... agit ! Cela me change de ces longues soirées européennes à refaire le monde pour que, au final, j'entende cette même réflexion : "Qu'est-ce qu'on fait ce week-end ?" »
Didier Pleux raconte ensuite qu'il se lance dans des études de droit pour devenir avocat ; il est alors traité de gauchiste par ses camarades d'études !
Il abandonne ce cursus et, après l'armée, il est embauché comme éducateur dans un foyer « dit de semi-liberté » et qui « accueille des adolescents et des jeunes adultes délinquants multirécidivistes, une alternative heureuse à la prison ou à l'hôpital psychiatrique ». Il y restera plus de dix ans, reprenant des études de psycho « pour enrichir la formation d'éducateur spécialisé » qu'il suit en alternance.
« Le taux de réussite de ce foyer est étonnant : après une moyenne de trois années passées dans cet internat, plus de 80 % des jeunes s'insèrent sans difficultés dans la société et ne commettent aucune récidive. Nous sommes dans les années 70 et certaines de mes connaissances « politisées » d'extrême gauche m'assurent que la délinquance n'est que la conséquence de l'exploitation sociale de l'humain par l'humain. Les résultats positifs des « placements en institution » dont je parle n'ont été initiés par aucune révolution maoïste ou autre : nous sommes à l'époque de la cinquième république, de De Gaulle à Giscard. Ce foyer d'accueil prône tout simplement la réinsertion sociale des jeunes délinquants par une réconciliation scolaire, les apprentissages professionnels, les activités sportives ou artistiques, et, surtout, la vie en communauté avec des éducateurs spécialisés engagés qui vivent avec eux deux soirées sur trois et un week-end sur deux. Ces éducateurs « éduquent » : ils accueillent, ils acceptent, ils partagent, ils proposent, ils montrent, ils enseignent, ils réfutent, ils s'opposent, ils sanctionnent… Et quand je sollicite certains camarades étudiants pour nous aider lors d'une activité du dimanche, mes fins analystes sociologues refusent. Prétextant que ce n'est qu'un travail inutile, une goutte d'eau pour résoudre la problématique de la délinquance. Ils ont donc tout compris mais ils ne le font pas.
DIVERGENCES
Au quotidien, je vois pourtant que la majorité des « délinquants » ne sont pas issus des familles les plus défavorisées mais de toutes les classes sociales. Leur dénominateur commun, ils souffrent tous d'une profonde carence éducative et non d'une unique carence sociale.
Dès lors, je me décide à moins fréquenter ces sociologues qui « savent » mais ne font que parler. Je retrouve bien vite, à la faculté de psychologie, les mêmes aberrations. Les doctes professeurs et leurs élèves endoctrinés ne cessent de définir la délinquance comme une carence affective : « le délinquant s'autodétruit et agresse les autres pour compenser son vide intérieur, il n'a jamais été aimé, désiré... »
Là encore, je ne vois rien de tout cela chez nos jeunes « dyssociaux » (…):oui, certains ont connu des abus intolérables, mais la plupart ont vécu une enfance sans réel manque affectif. Ce que j'entends, bien au contraire, c'est le vécu d'enfants rois, qui ont pu faire ce qu'ils voulaient, qui n'ont jamais rencontré d'autorité, qui ne connaissent aucune limite à leur toute-puissance : ils sont régis par leur « principe de plaisir » et rien ni personne ne doit leur barrer la route. Ils signent tous un égocentrisme exacerbé, une quête du plaisir immédiat, un refus de l'effort et des contraintes, un refus du « principe de réalité ». Pour parvenir à leurs fins, il séduisent, manipulent, agressent ou détruisent « l'autre », ils sont dans un rapport humain où autrui est chosifié et n'existe que pour leur bon plaisir. Il s'agit donc pour moi d'une expérience de vie qui ne leur a jamais appris à équilibrer la quête normal du plaisir avec les exigences de la réalité, à harmoniser leurs fantasmes d'ego avec la réalité des autres. Ils n'ont pas appris, ils n'ont pas vu de « modèles », ils sont restés pulsionnels, prisonniers de leur immédiateté, déshumanisant tous les rapports sociaux. C'est notre objectif éducatif : réapprendre soi, mais aussi « autrui » et le « réel ». Mais nous sommes au milieu des années 70… »
Didier Pleux décrit ensuite ses tiraillements entre le vécu au foyer (« je continue de peaufiner l'hypothèse éducative ») et les enseignements reçus en faculté (« La psychanalyse s'est emparée de la psychologie et de l'éducation spécialisée. L'enseignement devient un catéchisme qu'il faut écouter sagement et réciter à chaque examen ou évaluation. (Pour obtenir mon diplôme) J'apprends donc par coeur les origines des carences affectives selon la recette de Freud, Lacan, Bettelheim et Dolto. ».
Mais la psychanalyse atteint désormais le foyer de jeunes délinquants…
« Mais je deviens peu à peu sans m'en rendre compte un « dissident » au sein de mon établissement. L'emprise du courant psychanalytique est à l'oeuvre : ma façon de travailler ne suscite que peu d'intérêt (…) et sous l'influence de deux psychothérapeutes d'obédience psychanalytique, notre foyer de « semi-liberté » va devenir le foyer des hypothèses psys et quitter, subrepticement, et sans doute inconsciemment, le « faire avec » éducatif qui avait jusque-là donné de si bons résultats. Le réel ne compte plus ; il y a désormais un ailleurs que nos chamans vont enseigner à l'équipe éducative : l'essentiel n'est plus la réalité des progrès de nos jeunes au sein des activités et du quotidien, mais bel et bien le fin fond de leur psychisme où les conflits refoulés vont bientôt se régler par l'alchimie des psychothérapies de groupe.
(…)
Une dizaine de jeunes se voyait libre d'exprimer tous leurs fantasmes par le langage, en libre association des paroles ou par des dessins. J'assiste à quelques séances : je n'entends que des insultes à l'égard des psys et observe la réalisation de nombreux dessins pornographiques. Les psys m'expliquent que c'est leur inconscient qui travaille, qui « parle ».
Si ces séances avaient eu un impact positif dans la vie quotidienne du foyer, j'aurais peut-être révisé mes positions ; mais bien au contraire, le climat du foyer devient de plus en plus délétère, les jeunes pris en charge sur un mode de plus en plus psy et beaucoup moins de façon éducative amplifient leurs passages à l'acte, et si les violences contre les adultes référents, jusque-là inconnues, se font jour, les psy tiennent bon (dans leurs convictions).
(...)
Nous ne sommes plus dans le réel, ce jeune délinquant va donc mieux pour le psy, il fait l'objet d'un copieux livre qui explique le bien-fondé de l'approche (pratiquée) pour les délinquants et ce jeune est... incarcéré. Au quotidien je me retrouve de plus en plus isolé, car entre mes hypothèses éducatives qui exigent du travail et les fantaisies des psys, le personnel chavire bien entendu du côté de l'abstrait, de l'intellectuel, comme les étudiants en sociologie d'autrefois.
Je démissionne après 11 années dont 8 formidables, celles de l'époque éducative et les trois dernières ou j'assiste à la destruction de la réalité éducative sous la tutelle des hypothèses psychanalytiques. Je découvre plus tard que toute l'éducation, sous l'influence de Françoise Dolto, va subir le même sort : la « psychanalysation de l'éducation » va engendrer des enfants rois et j'ai déjà sous les yeux, à cette époque, la preuve que l'hypothèse psy est délétère pour les délinquants . Cette pathologie a besoin de réalité, et non de théories jamais validées par le réel, comme l'éducation a besoin d'apprendre le réel à l'enfant et non de le conceptualiser. »
Pour finir, Didier Pleux décrit son intérêt pour l'approche cognitive émotivo-rationnelle d'Albert Ellis ; et sa volonté d'agir encore et toujours pour faire « bouger les lignes » des pratiques thérapeutiques, en reconnaissant qu'en France, la tâche est particulièrement difficile.
« les psys se confient », quelques bonnes feuilles
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Re: « les psys se confient », quelques bonnes feuilles
Je me répète mais tant pis : encore un
livre à recommander aux médiathèques ...
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Re: « les psys se confient », quelques bonnes feuilles
Juste une question: est-ce que la psychanalyse marche sur certaines personnes, pour que les psychanalystes restent convaincus de la validité de leurs pratiques? Parce qu'a priori, si on essaie de mettre en pratique une théorie et que ça marche pas du tout, tout être humain normalement constitué se dirait "ah, il faut peut-être changer de technique".
(Enfin, déjà les politiciens ne le font pas, est-ce que les psychanalystes sont dans la même catégorie ? )
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diag SA avril 2013
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Re: « les psys se confient », quelques bonnes feuilles
Les réponses sont aujourd'hui même chez Franck Ramus ...
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