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Le Docteur et les nazis
Le pédiatre Hans Asperger est mondialement connu pour le syndrome qu’il a d'abord diagnostiqué. Le reste de son histoire, à Vienne lors de la Seconde Guerre mondiale, a récemment été mis en lumière.
Par John Donvan et Caren Zucker
Le 19 janvier 2016
Hans Asperger à l’hôpital de Vienne, vers 1940
Lorsque la question a été posée à Lorna Wing en 1993, dans un appel téléphonique transatlantique, elle l’a choquée.
Est-ce que Hans Asperger, jeune homme, était nazi? La question se référait au pédiatre autrichien dont le travail a donné lieu au groupe bien connu des caractéristiques humaines connu comme le syndrome d'Asperger. Lorna Wing était l'influente pédopsychiatre, basée à Londres, reconnue mondialement comme un des principaux experts sur l'autisme, qui avait apporté une reconnaissance internationale du syndrome d'Asperger.
Wing, qui avait aussi une fille autiste, avait écrit sur le travail d'Asperger seulement en 1981, après qu’Asperger lui-même soit déjà mort, quand son mari, qui savait l'allemand, traduisit un article clinique autrichien publié en 1944. Il contenait ses observations de comportements « autistes » - il a utilisé ce mot - chez plusieurs garçons qu'il traitait au cours des années où son pays a été annexé par le Troisième Reich. Au cours de cette période troublée, et pendant des décennies après, Asperger a vécu et travaillé presque exclusivement dans son pays d'origine, et en premier lieu à Vienne, à l'Hôpital pour enfants de l'Université, où il a finalement eu la chaire de pédiatrie. Asperger a écrit en allemand, en créant d'un ensemble de travaux publiés qui, à sa mort en 1980, à 74 ans, était encore presque entièrement inconnu aux États-Unis et en Grande-Bretagne, les pays où l'autisme a ensuite été plus reconnu et le plus étudié. En une décennie, cependant, grâce à l'attention que Lorna Wing lui a apporté, le syndrome d'Asperger, sinon l'homme lui-même, était en voie de renommée mondiale, à la fois comme un diagnostic, et comme une source d'identité personnelle pour beaucoup de ceux à qui il a été donné.
Mais maintenant, en 1993, cet appel téléphonique. Et la question spécifiquement sur l'homme lui-même.
Hans Asperger ... un nazi?
*** Fred Volkmar du Yale Child Study Center se sentait mal à l'aise même en le demandant ce jour-là en 1993. Mais il a cru qu'il le devait, en raison des doutes soulevés sur le caractère d'Asperger. Et une décision devait être prise rapidement sur l'opportunité de rendre hommage à titre posthume à Asperger en nommant une condition d’après lui dans le DSM, le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, la «bible» de la psychiatrie.
Pendant des mois, les experts dirigés par Volkmar se sont intéressés aux études, ont mené des essais sur le terrain, et débattu les uns avec les autres, dans des salles de conférence, par téléphone et par télécopieur, pour savoir si le syndrome d'Asperger méritait une reconnaissance formelle.
Ce serait quelque chose de «nouveau», en ce que çà reconnaîtrait des déficits dans les inter-actions sociales chez des personnes qui, auparavant, avaient été négligées comme ayant besoin d'un soutien ou d'un traitement, en raison de leur bon niveau d’intelligence -même supérieur, ainsi que de leur utilisation du langage souvent précoce et sophistiquée. Certains des garçons Asperger, par exemple, étaient super intelligents, ainsi que créatifs. Dans le même temps, les défis de ces garçons pour se lier socialement étaient profonds. Ils étaient régulièrement victimes d'intimidation, sans amis, et compris à tort comme grossiers ou hostiles, car ils étaient un peu bizarres dans leur intonation (souvent plate ou chantante), qu’ils ne pouvaient maintenir un contact visuel avec d'autres personnes, ou avaient tendance à s’intéresser très profondément à des sujets restreints, souvent tout ce dont ils voulaient parler. Lorna Wing, qui voulait aider les enfants qu'elle soignait à Londres pendant les années 1970 et 1980 qui se comportaient ainsi, a vu un chevauchement important entre ces traits de comportement si préjudiciables aux interactions sociales - traits qu’Asperger avait décrits avec l'adjectif «autiste» - et ceux des enfants avec autisme «classique»: les garçons et les filles, à qui est plus facilement donné le diagnostic d'autisme, qui manifestaient un usage de la parole extrêmement limité, et avaient un QI souvent bien inférieur à la moyenne. Wing a commencé à promouvoir le point de vue, plus populaire de nos jours, que tous les problèmes de ces enfants représentent plusieurs manifestations d'un seul "spectre" de l’autisme. C’était à cette fin qu'elle a ressuscité le travail d'Asperger - moins pour introduire une nouvelle étiquette de diagnostic, que pour illustrer l'étendue et la profondeur de ce spectre.
En 1993, cependant, le syndrome d'Asperger est un candidat sérieux pour être inclus comme diagnostic autonome dans la prochaine révision du DSM. Devant sortir l’année suivante - le livre reconnaîtrait le syndrome d’Asperger comme l'un des «troubles envahissants du développement» - ou non - en attente des conclusions du groupe de travail de Volkmar.
*** Le Yale Child Study Center de Volkmar a été le chef de file de la recherche sur le SA aux Etats-Unis. À un moment donné, une demande de recherche pour des bénévoles avec SA avait donné à Yale une liste de plus de 800 familles et de personnes à travers le pays. À Yale et ailleurs, les cliniciens qui ont trouvé le concept utile et pertinent avaient diagnostiqué le syndrome d'Asperger chez des patients, sans attendre que le DSM vienne sanctionner son utilisation.
Pourtant, il y avait encore de vifs désaccords sur la validité du concept. C’était difficile de savoir si les individus avec ce diagnostic étaient vraiment différents au regard de ceux décrits comme «autiste de haut niveau de fonctionnement», un concept déjà familier et très utilisé. Au-delà de cela, il était évident que les cliniques avaient peaufiné les critères indépendamment, ce qui conduisait à une incohérence répandue dans la façon dont l'étiquette de syndrome d'Asperger était appliquée. Compte tenu de cela, beaucoup ont fait valoir que le syndrome d'Asperger n’était pas un complément nécessaire ou utile dans le lexique des diagnostics.
D'autre part, l'Organisation mondiale de la Santé venait d’approuver le syndrome d’Asperger comme une maladie autonome. D'une plus grande pertinence, Volkmar lui-même était parmi ceux qui étaient convaincus de sa validité, en ayant vu beaucoup de gens à la Child Study Center de Yale dont les symptômes apparaissaient comme justifiant un diagnostic de syndrome d'Asperger. Volkmar, charismatique, convaincant, et consciencieux, serait l'un des arbitres finaux pour savoir si la maladie serait inscrite dans le DSM. Donc, c’était important quand, quelques mois seulement avant que le nouveau manuel sorte, il a décidé d'enquêter sur la question de savoir si Hans Asperger avait été un nazi.
L'antipathie de Schopler peut être comprise comme l'amertume d'un homme qui, enfant, a dû fuir l'Allemagne avec le reste de sa famille juive, et qui est resté soupçonneux de tout adulte - allemand ou autrichien -, dont la carrière en tant que professionnel de la santé avait prospérée pendant l'ère nazie. Il n’y avait pas plus que cela; c’était la culpabilité par association. Mais cela ne l'a pas empêché de lancer une campagne de rumeurs ciblée sur le fait qu’Asperger avait probablement été un sympathisant nazi, sinon un collaborateur ou un membre réel du parti. Plus d'une fois, Schopler a lâché ces insinuations dans la presse, dans les publications qu’il a supervisées, comme le « Journal of Autism and Developmental Disorders ». Là ou ailleurs ¬ il fait ostensiblement référence à l’"intérêt de longue date dans le mouvement de la jeunesse allemande" d'Asperger, faisant allusion à un lien entre Asperger et les Jeunesses hitlériennes. Pourtant, peut-être parce que Schopler a gardé ses allusions subtiles, la plupart des gens qui connaissaient le syndrome d'Asperger dans les années 1990 n’étaient au courant d'aucune controverse sur le passé d'Asperger.
Volkmar, par exemple, n'a rien entendu à ce sujet jusqu'à la fin du processus d'examen du DSM. Mais ce n’est pas Schopler qui l'a porté à son attention. Au cours des essais sur le terrain que Volkmar menait afin de tester les critères proposés pour le syndrome d'Asperger, deux collègues de Yale qu'il tenait en haute estime ont soulevé le sujet. L’un, Donald Cohen, directeur de longue date du Yale Child Study Center, a publié de nombreux ouvrages sur l'autisme. L'autre était une jeune étoile sur le terrain, un clinicien et chercheur nommé Ami Klin. En tant que candidat au doctorat en psychologie à Londres, Klin avait fait sensation avec une étude brillamment conçeu montrant les réponses des enfants touchés par l’autisme aux sons de la voix de leur mère. C’était Cohen qui avait personnellement recruté Klin à Yale en 1989. Les deux hommes formaient une relation étroite mentor-protégé sur la base à la fois d’une fascination pour l'autisme et d’un sens puissant de l'identité juive. Cohen était Juif pratiquant et un étudiant dévoué de l'Holocauste. Klin était né au Brésil, fils de survivants de l'Holocauste, et avait obtenu son diplôme de premier cycle en histoire et en sciences politiques à l'Université hébraïque de Jérusalem.
La question autour de laquelle que les deux hommes tournaient était de savoir si Asperger pouvait avoir été impliqué, d’une façon ou une autre, dans les atrocités médicales attribuées aux nazis qui ont gouverné Vienne. Tous deux savaient que la profession médicale avait déjà elle-même été gênée par son incapacité à poser cette question à propos de plusieurs médecins et chercheurs qui avaient pratiqué sous le Troisième Reich. Les manuels modernes portaient encore des références à des maladies désignées suivant des scientifiques de l'époque nazie dont l'éthique était répugnante, si ce n’est criminelle, comme des neurologues dont des découvertes importantes ont été apportées en disséquant le cerveau des enfants et des adultes assassinés par les nazis. Un Dr. Franz Seitelberger de Vienne avait été membre de la SS, tandis que le professeur Julius Hallervorden de Berlin était connu pour sélectionner ds patients vivants dont il avait l'intention d'étudier le cerveau après leur mort par «euthanasie». Le tristement célèbre Hallervorden dit , «Si vous allez tuer tous ces gens, au moins prenez leur cerveau de telle sorte que le matériau obtienne une certaine utilité. " Pourtant, les termes« maladie de Seitelberger » et « maladie de Hallervorden-Spatz " sont encore apparus dans des publications académiques.
En 1993, Asperger, mort depuis 13 ans, jamais d’une grande présence sur la scène mondiale, était resté une figure peu connue. Uta Frith avait publié un examen superficiel de sa vie et de son travail en 1991, pour accompagner sa traduction de son grand article de 1944. En outre, une conférence qu’Asperger avait donné en Suisse en 1977 était parue en traduction dans la revue d'une organisation de l'autisme britannique en 1979, mais n’avait pas été largement diffusé. En bref, Volkmar ne pouvait obtenir que peu d'information sur Asperger tout seul, et n’avait aucun véritable «expert Asperger" vers lequel se tourner. C’est dans ce contexte qu'il a appelé Lorna Wing, la seule personne qu'il connaissait qui avait rencontré Hans Asperger (une fois, autour d'un thé), et lui a posé la question : « Est-ce que Hans Asperger, jeune homme, était un nazi? »
Lorna Wing haletait. "Hans Asperger, un nazi?» Il pouvait entendre son indignation. Elle a parlé de sa foi catholique profonde et de sa dévotion à vie pour les jeunes.
"Un nazi? Non, "dit Wing. "Non non Non! C’était un homme très religieux. "
Ce fut une courte conversation, mais cela a réglé le problème.
Quelques mois plus tard, le DSM-IV est paru. Quatre-vingt-quatre nouveaux troubles mentaux avaient été proposés pour y être inclus, mais seulement deux l’avaient été. L'un était le trouble bipolaire II. L'autre était le syndrome d'Asperger.
Le premier signe d'avertissement est venu en 1996. Cette année-là, Ami Klin, avec Volkmar et la psychologue Sarah Sparrow, a commencé à mettre sur pied un livre qu'ils prévoyaient de titrer « Le syndrome d'Asperger ». Pourtant Klin ne pouvait toujours pas se débarasser de ses doutes. Et, parce que son nom serait sur la couverture du livre, il a décidé que quelque chose de plus qu'un appel téléphonique à Lorna Wing était nécessaire afin d'établir que les mains d'Asperger étaient propres.
À la fin de 1996, Klin a commencé à écrire aux archives et instituts en Allemagne et en Autriche, à la recherche toute information documentaire ou autre sur le médecin autrichien. Cela a donné peu de choses. Mais alors un professeur à Cologne, en Allemagne, l'a renvoyé à l'historien autrichien Michael Hubenstorf, qui a enseigné à l'Institut d'histoire de la médecine à l'Université libre de Berlin. "Nous aimerions être en mesure d'écrire que c’était un médecin bienveillant dont la principale préoccupation était le bien-être de son patient [sic]," écrit Klin à Hubenstorf. "Mais nous ne sommes pas sûrs de cela."
Hubenstorf a répondu quelques semaines plus tard avec une lettre de quatre pages et un catalogue de cinq pages des affectations de carrière d'Asperger, des promotions et des publications qu'il avait réunis. Les préoccupations de Klin, écrit-il, étaient justifiées. Alors qu'il n’avait trouvé aucune trace de l'appartenance formelle au parti nazi, Hubenstorf a informé Klin que la "carrière médicale [d’Asperger]a été clairement définie dans l’environnement des nationalistes allemands et des nazis ", et qu'il a été régulièrement promu au sein de ce cadre. Il croyait que le médecin avait minimisé ses liens antérieurs aux nazis connus tels que le professeur Hamburger, son mentor ponctuel, dont Hubenstorf écrivait comme "le pédiatre nazi le plus carré de tous."
Aucun »pistolet fumant » n’avait été trouvé, aucune preuve qu’Asperger ait directement participé à des crimes médicaux nazis.
"On ne sait pas jusqu’à quel point c’était un compagnon de route", concluait Hubenstorf. Mais ses conseils à Klin étaient de pécher par excès de prudence. Il a recommandé de ne pas publier "quoi que ce soit avant que le plus grand effort ait été fait pour clarifier le passé du professeur Asperger."
En fin de compte, Klin a choisi de ne pas suivre les conseils de Hubenstorf. Tout bien pesé, il a reconnu qu’aucun « pistolet fumant » n’avait été trouvé, aucune preuve qu’Asperger ait directement participé à des crimes médicaux nazis. Dans l'intervalle, Klin avait reçu une copie de l'avis de décès d’Asperger qui le dépeignait comme un médecin doux, chaleureux, dévoué à la prise en charge des enfants. La fille d'Asperger, Maria Asperger Felder, s’est aussi portée garante de la réputation de son père quand Klin s’est adressé à elle. Elle-même psychiatre, elle a écrit que son père avait été en désaccord avec le déterminisme racial des nazis, qu'il avait été l'ennemi de la souffrance des enfants, et qu'il n'a jamais perdu "son intérêt à vie et sa curiosité pour toutes les créatures vivantes."
Ce fut l'histoire du médecin bienveillant que Klin espérait se révéler la vérité. En 2000, Klin, Volkmar, et Sparrow ont publié « Syndrome d'Asperger », avec un avant-propos de la fille d'Asperger.
L'image de héros a été amplifiée par le psychiatre de Berlin Brita Schirmer, qui en 2002 a attiré l'attention sur d'Asperger "l'humanité [d'Asperger ] et son engagement courageux pour les enfants qui lui avaient confiés à une époque où cela était loin d'être évident, ou sans danger."
En 2007, les psychologues de Dublin Viktoria Lyon et Michael Fitzgerald ont écrit une lettre au « Journal of Autism and Developmental Disorders » qui célébrait Asperger comme un homme qui "a essayé de protéger ces enfants pour qu’ils ne soient pas envoyés dans des camps de concentration pendant la Seconde Guerre mondiale."
Et en 2010, l'historien britannique de l'autisme Adam Feinstein a publié les résultats de son propre reportage à Vienne pour enquêter sur les rumeurs selon lesquelles Asperger était favorable à Hitler. "C’est tout le contraire qui est le plus susceptible d'être le cas," a-t-il conclu.
Ce point de vue sur Asperger reposait sur un certain nombre d'histoires fascinantes. Il a été dit qu'il avait deux fois échappé de justesse à l'arrestation par la Gestapo alors qu'il travaillait à l'hôpital de Vienne, et qu'il avait risqué sa propre sécurité en omettant de déclarer les noms des enfants handicapés aux autorités. Une entrée dans son journal, écrit lors d'une visite en 1934 en Allemagne, semble frissonner à la tourmente nazie qui prend de la vitesse: "Une nation entière va dans une seule direction, fanatiquement, avec une vision rétrécie." Sa foi catholique, et son appartenance à l’organisation de jeunesse de l'Eglise catholique appelée Bund Neuland, ont également été cités comme preuve de son association avec une morale progressiste qui était en contradiction avec l'ordre du jour nazie.
Par-dessus tout, ce point de vue reposait sur des déclarations claires d'Asperger, dès le début de l'ère nazie, défendant le droit des enfants handicapés mentaux à l'appui de la société. Au cours de la conférence de 1938 pendant laquelle il a décrit ses cas autistes pour la première fois, il a déclaré: «Ce qui tombe hors de la ligne, et donc est« anormal », ne doit pas être considéré comme« inférieur ». "
De même, en conclusion de son article de 1944 mieux connu, celui qui a attiré plus tard l'attention de Lorna Wing, il saluait "le devoir [de la profession médicale] de défendre ces enfants avec toute la force de notre personnalité"
Ainsi, il y avait des arguments solides pour considérer Asperger comme un penseur humanitaire et libéral. Il était un portrait optimiste et enthousiasmant qui parlait à la sensibilité moderne. Et il se révélera être gravement compromis.
Traduction à suivre.