L'autisme n'est pas un «fléau silencieux», affirme la chercheuse autiste Michelle Dawson
Gravel, Pauline - Article du "Devoir" (Montréal) 20 février 2006
Ce portrait accompagne l'article :
- Autistes: l'intelligence autrement
Une équipe de l'Université de Montréal démontre que les méthodes couramment employées pour évaluer l'intelligence des autistes sont inadéquates
Michelle Dawson, une chercheuse autiste, et le Dr Laurent Mottron, professeur au département de psychiatrie de l’Université de Montréal.
Par des faits divers qui ont marqué l'actualité, des hypothèses scientifiques couramment véhiculées et l'acharnement avec lequel maints parents et thérapeutes défendent les interventions comportementales précoces pour les enfants autistiques, Michelle Dawson nous démontre que notre société actuelle accepte encore très peu ceux qui s'écartent de la norme.
Michelle Dawson est chercheuse en neurosciences au Laboratoire d'étude sur les troubles envahissants du développement à l'Hôpital Rivière-des-Prairies. Elle publie des articles dans des revues savantes reconnues. Dotée d'un esprit critique exceptionnellement aiguisé et perspicace, elle décèle rapidement les failles et les contradictions dans les paradigmes expérimentaux de ses collègues, dans les publications et les conférences scientifiques qu'elle lit et écoute. Michelle Dawson est autiste, et c'est en partie pour cette raison qu'elle fait preuve dans ses recherches d'une productivité et d'une créativité remarquables lui permettant même de coiffer au poteau plusieurs de ses collègues, et ce, après seulement trois ans de travail dans le domaine.
Profondément blessée à certains moments de sa vie par le fait qu'on ne voyait chez elle et les autres autistes que des déficits, elle s'est récemment plongée dans les neurosciences afin de prouver que l'autisme n'était pas un «fléau silencieux» comme le titrait la revue L'actualité dans un article paru en 2003 et comme le soutient toujours la Société québécoise de l'autisme. «Personne ne s'était vraiment intéressé à connaître la nature de la déficience intellectuelle des autistes et, de ce fait, à l'intelligence des autistes», souligne-t-elle lors d'une entrevue qu'elle nous accordait à propos d'une publication scientifique sur l'intelligence autiste présentée hier au congrès de l'American Association for the Advancement of Science (AAAS) - voir autre article en page A 4. «Pourquoi toutes les propriétés qui caractérisent l'autisme sont-elles toujours interprétées comme des déficits, alors que les autistes disposent d'habiletés qui peuvent être extraordinaires? Il existe pourtant une variété énorme de comportements et de niveaux de performance au sein de la population humaine. Mais la façon de faire des autistes est toujours considérée comme incorrecte. Même les scientifiques et les sociétés d'autisme ne voient l'autisme qu'en termes de déficits.»
Compte tenu de ce contexte, Michelle Dawson a longtemps pensé du mal d'elle-même. «À force de baigner dans un environnement social qui ne voyait que mes déficits, j'en suis venue à penser que ma tâche consistait à essayer d'être typique, c'est-à-dire d'être comme une personne normale», affirme-t-elle.
Un jour, elle comprend toutefois que toutes les choses qu'elle fait, elle les effectue différemment des autres et que, bien des fois, elle y arrive aussi bien sinon mieux que les personnes dites normales. «Pourquoi une haute performance qui est normalement considérée comme une force dont on ne veut pas se débarrasser était-elle interprétée comme un défaut à corriger?», s'est-elle alors demandé.
Son parcours de vie tout à fait singulier nous montre à quel point la société pratique encore la discrimination à l'égard des marginaux. Michelle Dawson reconnaît d'abord la chance qu'elle a eue de vivre une enfance tranquille au sein d'une famille d'intellectuels et à une époque où l'autisme était encore peu diagnostiqué. Sa mère et son père, un physicien nucléaire réputé, menaient une vie très routinière, comme les autistes la préfèrent. Submergés par les problèmes de santé physique (tuberculose entre autres) de leurs enfants, ses parents n'ont pas remarqué le comportement étrange de Michelle. «J'avais beaucoup de difficulté à faire ma toilette et à m'habiller. J'éprouvais de sérieux problèmes de langage. Comme j'étais entourée de livres, d'encyclopédies et de journaux, j'énonçais des phrases retenues au cours de mes lectures, mais sans vraiment comprendre ce qu'elles voulaient dire. Quand j'essayais de sourire comme les autres, une grimace grotesque apparaissait sur mon visage. J'étais souvent la cible de moqueries. Mais, néanmoins, j'avais de bonnes notes à l'école», se rappelle-t-elle.
À 17 ans, ses parents quittent Edmonton pour le Nouveau-Mexique et la laissent se débrouiller toute seule. Michelle termine son secondaire, mais n'imagine même pas d'aller à l'université tant la logistique qu'implique son inscription la dépasse. Après avoir réussi haut la main l'examen d'embauche d'une banque, elle y travaille quelque temps avant d'être congédiée en raison des bizarreries de son comportement. Elle se distingue ensuite par ses résultats exceptionnels à un cours de dessin industriel dont elle n'obtient malheureusement pas le diplôme faute de se présenter à l'examen oral ne sachant pas comment s'habiller pour l'événement. Puis, après divers petits boulots pénibles, elle est embauchée comme facteur par Postes Canada. Après 11 ans de services irréprochables, Michelle prévient finalement ses supérieurs qu'elle est autiste. C'est alors que commence sa descente aux enfers.
La direction de Postes Canada appuie le portrait catastrophe de l'autisme que leur brosse une psychologue, qui a par la ensuite été accusée de conflit d'intérêts. Elle l'accuse injustement de mille écarts de conduite. Le climat de travail s'envenime et lui rend la vie insoutenable.
Ce n'est en effet que quelques années avant cet événement dévastateur que Michelle Dawson découvre qu'elle est autiste en lisant un article dans une revue à laquelle elle est abonnée. Depuis qu'elle tirait une rémunération convenable de son emploi à Postes Canada, Michelle avait enfin compris que son quotidien était difficile non pas parce qu'elle était pauvre, mais parce qu'elle n'était pas vraiment comme tout le monde. «Je devais déployer toujours beaucoup d'efforts pour communiquer avec les autres et je me blessais moi-même [en pratiquant l'auto-mutilation] quand la confusion induite par mes efforts pour être comme les autres devenait insupportable dans ma tête, confie-t-elle. En 1993, à l'âge de 31 ans, je me suis reconnue parmi ces 30 % d'autistes qui disposent de la parole et qui étaient décrits dans cet article de magazine.» Elle consulte alors sept spécialistes différents qui posent tous le diagnostic d'autisme.
Détermination
Alors que Michelle nous livre son récit d'une voix le plus souvent monocorde sans vraiment entretenir de contact visuel et d'expressions faciales, on est profondément ému par sa détermination à vouloir défendre les autistes et à les faire reconnaître comme des humains à part entière qui ont les mêmes droits et libertés que tous les autres membres de la société.
Sans détenir aucune connaissance en droit, elle a en effet entrepris des poursuites contre son employeur et la fameuse psychologue qui ne présentait l'autisme que comme une calamité. Elle remporte ainsi plusieurs batailles et regagne la confiance de ses collègues tandis que ses clients lui avaient toujours réservé le plus grand respect.
Alors qu'elle effectue ses démarches pour assurer sa défense, Michelle découvre sur Internet qu'elle n'est pas la seule sur cette planète à revendiquer le droit de vivre pleinement et sans entrave sa différence. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, des autistes adultes réclament aussi voix au chapitre.
En 1996, elle apprend dans les médias le meurtre du jeune autiste Charles-Antoine Blais par sa mère. Elle est alors horrifiée par ce qu'elle entend sur cet événement et par le fait que cette mère est ensuite louangée pour le geste qu'elle a commis. Ayant amassé tous les documents sur ce cas de Charles-Antoine, elle se propose d'écrire un livre «pour rendre justice à Charles-Antoine».
En 2004, dans le cadre de la cause Auton, Michelle Dawson prononce à la Cour suprême du Canada son plaidoyer sur les droits de la personne et l'éthique de pratiquer une thérapie comportementale précoce sur les enfants autistiques. La plus haute cour du pays cite finalement son argumentaire dans sa décision de ne pas satisfaire à la requête d'un groupe de parents d'enfants autistes qui réclamaient que «l'intervention comportementale précoce soit jugée médicalement nécessaire» dans l'autisme, et donc payée par le système de santé public.
Si la Cour reconnaissait aux parents que de refuser ces soins aux autistes violait la Charte des droits et libertés, cela voulait donc dire que les individus autistiques ne pouvaient être des humains à part entière que s'ils se soumettaient à une intervention destinée à reproduire en eux les standards que la société définit comme la normalité, explique Michelle Dawson. Et que si les autistes ne subissaient pas ce traitement destiné à les rendre typiques, ils violeraient la Charte. «Par mon intervention à la Cour suprême, j'ai essayé de redonner l'humanité aux autistes», dit-elle.
«Il n'y a pas si longtemps, plusieurs sociétés, scientifiques et parents croyaient qu'il était nécessaire de traiter l'homosexualité par une intervention comportementale précoce, soulève-t-elle. Or, aujourd'hui, on ne dit plus aux homosexuels qu'ils n'auront des droits que s'ils se font traiter pour devenir hétérosexuels. La Charte des droits et libertés ne doit pas tendre à effacer les différences humaines en obligeant les individus qui sont différents à devenir typiques.
«La philosophie de ceux qui défendent la réadaptation est de bâtir une personne dans une coquille vide, car, à leurs yeux, il n'y a personne qui existe dans un autiste, s'indigne Michelle Dawson. On considère qu'il n'y a rien à perdre à tenter une thérapie puisqu'il n'y a rien de pire qu'être autiste. Mais on risque ainsi de perdre les forces des autistes, souligne-t-elle. Les gens décident de ce qui est bon pour nous sans toutefois nous consulter ou même entendre notre point de vue.»
Par ses travaux de recherche, ses interventions juridiques, Michelle Dawson veut nous faire comprendre que bon nombre d'autistes pensent, appréhendent le monde et éprouvent de profondes émotions au même titre que les «normaux», mais que, simplement, ils le font différemment. Elle réclame la reconnaissance et le respect de cette différence.
Michelle dit ne pas «souffrir» d'autisme, elle est autiste, un point c'est tout. «C'est idiot de dire que quelqu'un souffre parce qu'il ne peut pas faire comme les typiques, lance-t-elle. Pourquoi les autistes souffriraient-ils uniquement parce qu'ils ne font pas les choses de la même façon que la plupart d'entre vous?»