Effet placebo : allié du médecin ou facteur de confusion ?
Les traitements non pharmacologiques liés au mental, comme la méditation pleine conscience, ont le vent en poupe. De quoi reconsidérer et réhabiliter l'effet placebo.
vendredi 4 décembre 2015
La méditation de pleine conscience serait plus efficace qu’un placebo sur la douleur : décryptage
Stéphanie Lavaud -30 'novembre 2015
Winston-Salem, Etats-Unis – Une étude américaine, parue dans Journal of Neuroscience, montre que la pratique de la méditation de pleine conscience entraine un soulagement de la douleur supérieur à celui obtenu par un placebo [1]. Plus intéressant, les examens d’imagerie (angio-IRM anatomique et fonctionnelle) indiquent pour la première fois que la méditation active des zones cérébrales très différentes de celles stimulées par un placebo dans le soulagement de la douleur, ce qui indiquerait qu’il s’agit d’un processus cognitif distinct.
« Nous sommes très surpris par ces résultats, a commenté le chercheur Fadel Zeidan (Neurobiologie et anatomie, Wake Forest Baptist), premier auteur de l’étude, dans un communiqué [2]. Nous nous attendions à observer des chevauchements des régions cérébrales impliquées entre les deux « thérapeutiques » [méditation et placebo] mais notre étude montre que la méditation de pleine conscience agit sur le soulagement de la douleur par des voies qui lui sont bien spécifiques. »
Ces résultats spectaculaires ont suscité l'engouement et ont été repris à grand renfort d’articles dans les médias. Mais si l’idée de s’intéresser en termes d’imagerie à la neuroplasticité cérébrale en réponse à la méditation versus effet placebo est séduisante, l’analyse du protocole de l’étude et la connaissance de la pratique méditative incitent à émettre quelques réserves quant aux résultats obtenus et à l’interprétation qui en est faite. Commentaires du chercheur Antoine Lutz (Inserm, Centre de Recherche en Neurosciences de Lyon) interrogé par Medscape.
75 participants naïfs de toute pratique méditative
« La méditation de pleine conscience a montré à plusieurs reprises qu’elle était capable d’influer sur l’expérience douloureuse au travers d’évaluations cliniques et expérimentales » écrivent les auteurs. Jon Kabat-Zinn, pionnier de l’application de la méditation de pleine conscience en médecine, a d’ailleurs été le premier à en faire la démonstration. Mais les mécanismes sous-jacents sont jusqu’à présent encore mal connus : s’agit-il des mêmes voies et connexions neuronales que lors de l’effet placebo ? Faut-il tenir compte du rôle de facteurs (confondants) propres à l’expérience de la méditation de pleine conscience comme le contexte psychosocial, la capacité d’attention, la respiration, la posture, les croyances associées…? Pour le savoir, Fadel Zeidan et son équipe ont mis au point un protocole assez élaboré comportant une double approche de l’évaluation de la douleur – l’une subjective, par des méthodes de cotations, l’autre objective, grâce à l’imagerie cérébrale.
Au total, 75 participants en bonne santé, sans douleur particulière, et n’ayant jamais fait de méditation de pleine conscience, ont été recrutés et assignés de façon aléatoire à l’un des 4 groupes :
- - Groupe méditation de pleine conscience (MPC) : les participants ont participé à des sessions de 20 minutes réparties sur 4 jours séparés où on leur expliquait les principes de base de la MPC : accueillir ses pensées, ses sentiments et/ou émotions, sans les juger, et se concentrer sur la respiration dès qu’un « évènement » vient perturber cet état;
- Groupe méditation « placebo », selon une méthode validée précédemment par l’équipe de Fadel Zeidan. Ici, les participants sont informés qu’ils sont inclus dans le groupe de méditation de pleine conscience, les conditions (posture, yeux fermés, temps passé : 4 fois 20 min, instructeur) sont les mêmes que celles du groupe décrit ci-dessus mais les conseils sur la pratique de la respiration et les instructions sur l’accueil des pensées et des émotions sans jugement sont absentes ;
- Groupe crème analgésique placebo. Il était précisé aux participants qu’ils prenaient part à un essai testant une nouvelle formulation d’un topique à base de lidocaïne ayant fait la preuve de son effet antalgique ;
- Groupe contrôle. Ici, les participants ont droit à la diffusion audio d’un ouvrage de 1908 intitulé « The natural history and antiquities of Selborne » pendant 4 fois 20 min.
Par ailleurs, de nombreuses précautions ont été prises par les chercheurs pour éliminer au maximum les facteurs confondants (stress de l’IRM, etc).
Méditation de pleine conscience : plus efficace sur la douleur
Au final, aucune différence dans l’évaluation de la dimension intensité ou émotionnelle de la douleur n’a été relevée entre les différents groupes avant toute intervention en réponse aux stimuli thermiques. En revanche, après les 4 jours d’intervention, le groupe « méditation de pleine conscience » a fait aussi mieux que tous les autres groupes sur la réduction de la perception de l’intensité de la douleur et du déplaisir liée à la sensation douloureuse.
Dans le groupe qui a pratiqué la méditation de pleine conscience, l’appréciation de l’intensité de la douleur a diminuté de 27% et celle du ressenti émotionnel de 44% entre la période avant intervention et la période après. En comparaison, la crème placebo soi-disant antalgique a réduit l’intensité douloureuse de 11% et le ressenti émotionnel de 13% (P = 0,032 and P <0,001, respectivement, versus méditation pleine conscience). La méditation placebo a, elle, entrainé une diminution de 9% et 24% respectivement. A l’inverse, le groupe contrôle (celui qui écoutait un enregistrement audio) a rapporté une augmentation de 16 % de l’intensité de la douleur et de 18 % de la sensation douloureuse.
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Des circuits neuronaux différents selon les groupes
En termes d’imagerie, la méditation de pleine conscience semble réduire la douleur en activant des zones du cerveau (cortex cingulaire antérieur et orbito-frontal, cortex insulaire antérieur) associées à l’auto-contrôle de la douleur alors que la crème placebo réduit la douleur en agissant sur les aires de gestion de la douleur (activation du cortex préfrontal dorsolatéral et désactivation du cortex somato-sensoriel secondaire). « Des résultats qui suggèrent que la méditation est un processus actif, une pratique d’ordre cognitif, alors que l’effet placebo relèverait plus d’un processus cognitif passif » analysent les auteurs.
Dans cette étude, la méditation « placebo » a montré l’implication de circuits neuronaux qui se superposent partiellement à ceux observés lors de la méditation de pleine conscience. Néanmoins, des différences apparaissent entre ces deux pratiques cognitives dans la gestion de l’épisode douloureux. « Ce qui est sûr, c’est que la « vraie » méditation de pleine conscience entraine une réduction de l’intensité et du ressenti bien plus grande (27% et 44%, respectivement) que la « fausse » méditation (8% et 27%). Secundo, en présence d’un stimuli douloureux, la méditation « fantôme » se caractérise par une activation plus forte du thalamus, du putamen gauche, du cortex cingulaire postérieur et une désactivation du cortex cingulaire antérieur et du cortex préfontal médian » écrivent les auteurs [1]. Des résultats qui, pris dans leur ensemble, suggèrent que la méditation placebo pourrait avoir réduit la douleur selon un effet relevant plutôt de celui observé avec la relaxation – qui s’accompagne d’un ralentissement de la respiration.
A noter : le thalamus est désactivé pendant la méditation de pleine conscience, alors qu’il l’est dans tous les autres états. Cette région cérébrale fonctionne comme une passerelle qui détermine si l’information sensorielle est autorisée à atteindre les centres cérébraux supérieurs. « En désactivant cette région, la méditation de pleine conscience a permis à ces signaux relayant la douleur de disparaitre » explique le chercheur [2].
Courtes séquences
« Cette étude est la première à montrer que les effets atténuateurs de la douleurs liées à la méditation de pleine conscience passent par des voies très distinctes de celles qui interviennent lors de l’effet placebo ou encore d’une « fausse » méditation de pleine conscience » explique Zeidan.
« Sur la base de nos résultats, nous pensons que des sessions aussi courtes que 4 fois 20 min de méditation de pleine conscience peut améliorer la gestion de la douleur. Néanmoins, étant donné que l’étude a porté sur des volontaires sains, il est trop tôt pour les généraliser à la douleur chronique ».
Pour le chercheur Antoine Lutz qui travaille sur l'impact des thérapies méditatives sur la douleur et la dépression, l’idée de vouloir différencier de façon objective ce qui relève de la croyance d’un effet spécifique de la pratique méditative est « très intéressante », de même que le design de l’étude. Pour autant, il se dit « surpris » d’observer de telles différences entre les différentes interventions surtout sur une pratique de la méditation de 4 fois 20 minutes. Obtenir un tel effet sur la douleur en si peu de temps reflète-t-il vraiment l’acquisition d’une nouvelle compétence cognitive ou simplement un effet d’attente ou bien un effet d’instruction? De même, « les croyances des participants dans les effets thérapeutiques liés aux interventions placebo ou de méditation n’ont pas été suffisamment caractérisées» fait remarquer le chercheur lyonnais. Enfin, « la méditation est plus que de la relaxation mais la posture corporelle décontractée participe de l’effet méditatif, ne chercher à obtenir que l’effet mental de la relaxation – le pourquoi d’une méditation vraie vs une méditation « sham » - est très ambitieux ». Au final, cette étude a le mérite d’exister et de poser de bonnes questions mais elle peine, tout de même, un peu à convaincre et demandera confirmation.
REFERENCES :
1. Zeidan F, Emerson NM, Farris SR, et al. Mindfulness Meditation-Based Pain Relief Employs Different Neural Mechanisms Than Placebo and Sham Mindfulness Meditation-Induced Analgesia. The Journal of Neuroscience, November 18, 2015 : 35(46):15307–15325.
2. Mindfulness Meditation Trumps Placebo in Pain Reduction , Wake Forest Baptist Medical Center, 13/11/2015.