"Le Goût des merveilles" : un film au goût amer. L'autisme en France n'est pas une comédie
Publié le 22-12-2015 - Par Hugo Horiot Comédien, réalisateur, écrivain
LE PLUS. Dans "Le Goût des merveilles", en salles depuis le 16 décembre, Benjamin Lavernhe, pensionnaire de la Comédie Française, incarne Pierre, autiste Asperger. Une thématique rare au cinéma français, mais malheureusement encore mal traitée, regrette Hugo Horiot, qui a lui-même a été un enfant autiste Asperger.
Édité et parrainé par Rozenn Le Carboulec
86% des Français ne considèrent pas la recherche concernant l’autisme comme une priorité. 37% des Français pensent, à tort, que l’autisme est un trouble d’ordre psychologique. En France, 650.000 personnes se trouvent dans le spectre autistique. En France, seuls 10% des adultes autistes sont diagnostiqués et 80% des enfants autistes sont déscolarisés, contrairement à de nombreux pays dans le monde où ils sont, pour la plus part, à l’école.
Concernant la façon dont les autistes sont représentés au cinéma ou à la télévision, de nombreux personnages se situant dans le spectre autistique figurent, souvent en premier rôle, dans diverses productions étrangères : "Mozart and the whale", "As good as it gets", "Adam", "The story of Luke", "Social network", "Temple Grandin", "Sherlock", "Rain Man", "The girl with the dragon tattoo", "All about Steve", "True Detective (saison 2)", "Prison Break"...
À l’image de la méconnaissance de la France concernant l’autisme, la représentation de personnages porteurs du syndrome est relativement absente des productions audiovisuelles françaises.
"Le Goût des Merveilles" : encore des clichés sur l'autisme
Aujourd’hui, en France, l’autisme se trouve à l’affiche au cinéma, dans la comédie romantique "Le Goût des Merveilles".
Ceci est plutôt une bonne chose, la représentation ou la référence à l’autisme (1% de la population) étant généralement absentes du cinéma français.
Toutefois, et c’est bien dommage, l’interprétation de l’acteur Benjamin Lavernhe, pensionnaire à la Comédie Française, ne sort pas vraiment des clichés et n’apporte aucune vision nouvelle de l’autisme, se limitant à quelques gros traits, censés représenter une idée figée de l’apparence de ce syndrome, bien encrée dans les lieux communs. Parallélisme des membres et raideur du corps, ton monocorde, l’acteur se cantonne ainsi à une limitation, l’empêchant d’explorer diverses palettes, couleurs et épaisseurs potentielles de son personnage.
Benjamin Lavernhe aurait dû consulter d'autres chercheurs
Benjamin Lavernhe s’en est référé, entre autres, aux travaux de Tremple Grandin, et de Josef Schovanec, personnalités autistes célèbres et incontournables, qui apportent un témoignage et un éclairage précieux concernant le spectre autistique.
On regrettera néanmoins, concernant le regard des chercheurs, que la principale référence de l’acteur (du moins, la seule citée en interview), ne soit autre que la psychologue psychanalyste Chantal Lheureux-Davidse, qui ne prend quasiment pas en compte
les avancées scientifiques en la matière. Madame Chantal Lheureux-Davise figure également dans la
Liste noire des formations sur l’autisme 2014/2015.
En effet, dans son
diplôme universitaire, sont encore étudiées des notions comme "L’autisme à carapace. Angoisses de vidage, d’intrusion, d’anéantissement, d’effondrement. Vécus d’arrachement" ou bien "Articulation des soins pour le bébé à risque autistique en lien avec la famille". Or c’est bien cette vision de l’autisme, s’en référant toujours aux travaux de Bettelheim et aux croyances psychanalytiques, qui engendre les 50 retard de notre pays concernant l’accompagnement de l’autisme.
Ces croyances donnent d’ailleurs lieux, dans certains cas extrême et sous couvert de recherche clinique, au pires des dérives, telles que le "packing".
J’aurais été ravi, si j’avais été sollicité, d’orienter l’acteur vers les travaux de chercheurs compétents et reconnus concernant l’autisme, prenant en compte les avancées scientifiques et prompts à mettre à jour leurs connaissances à la lumière de la communauté scientifique internationale tels
Jaqueline Nadel, le Docteur
Éric Lemonnier ou encore le
Dr Monica Zilbovicius.
La réalité de l'autisme en France n'a rien d'une comédie
Néanmoins, on peut noter que le personnage se trouve en constant danger d’enfermement, en raison de sa différence incomprise et méconnue.
La présence de l’univers judiciaire (hasard ou volonté du scénariste ?) est en effet plus que pertinente pour rendre compte de la réalité que doivent affronter, en France, les dizaines de milliers de familles concernée par l’autisme.
En même temps que de (nombreuses ?) personnes iront voir cette comédie romantique dédiée à l’autisme et à la différence,
Maryna Z. mère de Timothée D., autiste, arrêtée jeudi 17 décembre par la police irlandaise, suite à une demande de la police française passera probablement les fêtes de Noël sous les verrous. Celle-ci, comme tant d’autres, n’avait pas trouvé d’autre alternative que de fuir la France avec son fils, afin de lui éviter un retour certain à l’hôpital psychiatrique. Conséquence directe d’une décision de justice, pour ne pas dire une erreur judiciaire, qui malgré le communiqué de presse de l’Onu adressé à la France, persistait à demander à cette mère d’institutionnaliser son enfant.
Aussi, à tous ceux qui iront voir ce film et qui, je l’espère, passeront un agréable moment, n’oubliez pas ceci : la réalité de l’autisme en France n’a rien d’une comédie et s’apparente encore moins aux merveilles.