Intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), 10 octobre 2014

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Jean
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Intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), 10 octobre 2014

Message par Jean »

Intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), le 10 octobre 2014

Traduction en français de l’intervention d’Eric LUCAS à l’OMS (Genève), le 10 octobre 2014 (voir contexte et détails ici : http://allianceautiste.org/wp/2014/10/i ... obre-2014/ )

(Je m’appelle Eric LUCAS, je suis un autiste Asperger, c’est un peu difficile pour moi de parler dans cette situation) (…)

Merci beaucoup pour m’avoir donné l’occasion de parler de mon expérience, et aussi pour dire certaines choses au nom des autres autistes comme moi en France, qui m’ont écrit hier pour me demander de vous donner un message très fort (même si ce n’est peut-être pas exactement dans le thème d’aujourd’hui – mais nous les autistes avons rarement l’occasion de nous faire entendre).

Nous voulons vraiment que vous sachiez ceci: nous voulons absolument que les gens comprennent que l’autisme * n’est * PAS * une * maladie *.

Nous sommes neurologiquement différents, profondément différents, comme étant «câblés» d’une manière différente, d’une manière hyper-sensible et hyper-sensée, ce qui bien sûr nous cause de gros problèmes et de la souffrance dans la société actuelle, perçue par nous comme incohérente et injuste.

Le plus gros problème que nous avons en France est que l’autisme est encore officiellement considéré comme quelque chose de médical, et donc c’est l’administration publique MÉDICALE qui est en charge des autistes.
Et pour eux, il semble naturel de les mettre [lapsus!] – de nous mettre dans des hôpitaux ou des institutions.

Mais notre besoin le plus indispensable, est de * D’APPRENDRE * LA SOCIÉTÉ *, d’apprendre à vivre avec la société. (Avec vous).
C’est ce que avons vraiment besoin d’apprendre. Et, si possible, avec de la compassion et de l’amour de la part des personnes «normales». Pas du rejet ni de la peur.

Par conséquent, nous mettre dans des établissements médicaux apparaît comme un total, un incroyable non-sens. Beaucoup de personnes autistes et leurs familles en France sont vraiment DÉSESPÉRÉES parce qu’elles savent qu’il existe des lois et des conventions internationales qui sont bonnes pour nous (les autistes) -particulièrement contre l’institutionnalisation- mais rien n’est appliqué (en France), et tous les services de l’Etat semblent être d’accord (ensemble) pour les ignorer, ou faire semblant de les ignorer (on ne sait pas).

Nous avons vraiment le sentiment d’être une sorte de «carburant» pour l’industrie médicale ou médico-sociale, qui bénéficie de notre système de sécurité sociale très généreux (en France) ((Je suis désolé de vous dire ça, mais c’est ce que nous ressentons)), et tout cela ressemble à un lobby très puissant.

Je parle d’un sujet (l’hospitalisation) que je connais bien pour avoir été détenu contre ma volonté dans un hôpital psychiatrique pendant 15 mois en France, mais dont je ne devrais rien savoir car j’étais là-bas en raison de l’erreur des médecins publics, ce qui est malheureusement une situation courante en ce qui concerne les autistes.
Quand j’étais là-bas, je n’ai remarqué aucune amélioration chez mes co-détenus, et j’ai pensé qu’ils seraient mieux dans d’autres endroits, comme des fermes (avec sécurité) ou quelque chose de plus SAIN, plus HUMAIN, surtout au vu du prix fou d’une journée d’hôpital.

Les autistes sont exclus de la société normale, LIBRE, et isolés (ségrégués) dans des endroits spéciaux, où ils peuvent apprendre à vivre avec d’autres personnes handicapées SEULEMENT, et aussi où les plus jeunes imiteront les autres, ce qui les privera finalement de toute chance de comprendre comment vivre «à l’extérieur», avec le reste de la société (la société libre).

Nous avons besoin d’ÉDUCATION (qui est vitale), pas d’être SOIGNÉS (ce qui de toute façon ne marche pas).

Les médecins ne m’ont rien appris pendant mon séjour, et (je suis désolé de dire cela, mais c’est la vérité) je n’ai trouvé aucun intérêt dans les relations avec mes co-détenus.
Quand vous êtes là-bas, vous sentez vraiment très profondément le fait que vous êtes «en-dessous» des autres, des «normaux», qui ont le droit de vivre et de se déplacer librement, mais pas vous. Vous ressentez une sorte de HONTE.

En ce moment à Lyon il y a le cas d’un garçon nommé Timothée, un garçon autiste de 15 ans très calme : il vit PAISIBLEMENT avec sa famille, avec beaucoup d’attentions (de soin), et il était dans une école classique (ordinaire), où il était très heureux d’être «comme les autres», jusqu’à récemment, mais l’administration française est maintenant (en ce moment même) en train d’essayer de l’envoyer dans une institution, où il va certainement se sentir comme un humain de seconde classe (un garçon de seconde classe), et où il va manquer de tout l’amour et de toute l’attention de sa famille.
Même ses camarades de classe, qui l’aiment tous, sont tristes (c’est vrai, j’ai vu cela).

Quand j’avais 6 et 7 ans, j’étais dans une institution ; je n’ai jamais pu savoir pourquoi. Ma mère dit que «les médecins lui ont dit que ce serait mieux pour moi». Je suis désolé de dire ça, mais, là-bas, j’ai seulement appris à détester vivre avec les autres (à détester la vie avec les autres). (Je suis désolé).
Heureusement, les choses vont mieux maintenant, mais ce séjour a été si terrible pour moi que je me souviens bien que chaque dimanche soir quand ma mère me conduisait là-bas, pendant tout le trajet (plus de trente minutes), je pleurais, et que j’ai demandé de nombreuses fois d’arrêter cela.
J’ai redécouvert cette partie de ma vie, qui était comme enterrée, avec honte, et beaucoup de souffrance.

Merci.

Eric LUCAS (Autiste Asperger)
contact@allianceautiste.org

N.B. J’ai oublié de parler d’une chose importante : les ADAPTATIONS que nous sommes en droit d’attendre (et pas seulement l’éducation). J’étais un peu obnubilé par la problématique « éducation vs. médical » (par rapport à l’affaire Timothée).
Mais j’en ai parlé dans un email ultérieur à M. YASAMI.
père autiste d'une fille autiste "Asperger" de 41 ans