Dans la foulée de cette conférence, nombreux articles sur le robot NAO.
Le visage humain des robots
LE MONDE | 05.12.2014
Les robots sortent des laboratoires, des usines, des salles d’opération, pour nous aider au quotidien, auprès des enfants autistes ou encore dans les salles de classe.
Par Pascale Krémer Journaliste au Monde
Le dialogue, avec nous, aura été bref : « Bon, maintenant, vous allez arrêter de me poser des questions idiotes. » . Quelques instants plus tôt, Nao, le robot, avait eu davantage de talent pour captiver Angel, petit bonhomme autiste dont l’attention, sans cesse, s’échappe. Comme on se met à hauteur d’un copain, l’enfant s’est assis, jambes recroquevillées, face à ce concentré de technologie au physique de héros de dessin animé. Une demi-heure durant, il l’a écouté poser des questions, patientant à chaque fois jusqu’au « bip » final pour lui répondre, lui confiant même son tracas secret du moment. « Je suis tombé de vélo, voilà ».
Depuis septembre, la fédération d’associations Autistes sans frontière (ASF), qui lutte pour l’intégration en milieu ordinaire des enfants autistes, expérimente en Vendée, à Saint-Vincent-sur-Jard, l’usage d’un robot humanoïde de la société française Aldebaran. L’impact de Nao sur Angel, 10 ans, qui souffre d’un syndrome d’Asperger, « impressionne » déjà la présidente d’ASF-85, Estelle Malherbe. « Le seul fait qu’il se taise quand Nao questionne, alors qu’il interrompt constamment tout le monde, d’habitude, dans une sorte de monologue permanent, c’est énorme ! ».
"Pepper", le robot d'accueil d'Aldebaran Robotics, mesure 1,20 mètre pour 28 kg. Il se déplace sur ses roulettes à une vitesse maximale de 3 km/h. Il sera commercialisé au grand public à partir de février 2015. "Pepper", le robot d'accueil d'Aldebaran Robotics, mesure 1,20 mètre pour 28 kg. Il se déplace sur ses roulettes à une vitesse maximale de 3 km/h. Il sera commercialisé au grand public à partir de février 2015. | Mouna El Mokhtari
Posé sur une table, Nao se trémousse désormais en musique. Sa gestuelle, si humaine, est troublante. Une petite Chloé lâche immédiatement la tablette numérique sur laquelle elle s’agaçait à chercher l’image de ce qu’elle ne peut exprimer. Elle s’approche et s’apaise. À ses côtés Marius, 6 ans, qui ne parle pas du tout. Il observe la danse, rit de bon cœur, applaudit sans attendre d’imiter ses voisins. Encore une première ! À Nao et à lui seul, certains de ces enfants acceptent de donner la main pour faire quelques pas, de prodiguer une bise ou une caresse. Ils imitent sa danse, devinent les émotions qu’il simule, montrent les cartes qui correspondent aux noms d’animaux qu’il énonce…
« Nao les motive. Ils font pour lui des efforts qu’ils ne feraient pas avec nous », a repéré la présidente, qui constate combien ce gros jouet aux formes rondes et fonctionnement immuable (hormis les bugs encore fréquents) rassure les enfants autistes. Spectaculairement enthousiaste dans ses encouragements, c’est un bel outil pédagogique de rééducation à l’autonomie, surtout pas un substitut à l’éducateur, tient-elle à préciser, anticipant les critiques sur la « robotisation » des enfants. Aux vues de ces premiers résultats, Klesia, un groupe de protection sociale, a collecté en son sein de quoi offrir cinq Nao (compter environ 5 000 euros pièce) à différentes structures accompagnant les enfants autistes.
Une bise ou une caresse
Créée en 2005, Aldebaran, start-up française désormais aux mains d’un opérateur télécoms japonais (Softbank), est le spécialiste des robots humanoïdes de service à la personne. Elle a écoulé six mille Nao auprès de professionnels, dans soixante-dix pays - USA, Japon et Chine en tête. D’ici un an, promis, le grand public aussi y aura droit. Mais déjà, en France, Nao s’est frayé un chemin dans certaines salles de classe de l’académie de Versailles : depuis un peu plus d’un an, elle met ses cinq robots à disposition de tout établissement désireux d’initier, sans les rebuter, ses élèves à la programmation informatique.
Le responsable du numérique éducatif de l’académie, Franck Dubois, raconte cette scène « jamais vue en 20 ans d’enseignement ! ». Des élèves de quatrième qui oublient la récré. Si, si, jure-t-il, cela s’est passé tout récemment dans un collège de Sèvres. Il avait apporté Nao. « Au départ, les élèves étaient assis normalement, puis ils sont venus s’accroupir tout près de moi. Ils sont restés « scotchés » durant une heure. » Fascinés par les subtilités du codage, des capteurs et autres actionneurs nécessaires à la bonne marche de l’humanoïde qui, habilement programmé, peut réciter une poésie dans telle ou telle langue, avec intonations et gestuelle ad hoc.
En 2016 apparaîtra Roméo, assez fort pour aider à se relever ou à marcher
Dans cette course au robot, la région Rhône-Alpes a préféré la télé-présence efficace d’un Beam au physique avantageux de Nao. Beam est commercialisé (à 2000 euros) ces jours-ci par la société française Awabot. Une plateforme mobile, à hauteur d’homme, dotée d’un écran, d’une caméra, de micros et haut-parleurs, que l’élève alité peut commander à distance, avec les flèches de son clavier d’ordinateur. Cet avatar sur roues lui permet de suivre les cours mais aussi ses camarades en récréation ou à la cantine. « Participer à ces temps non-éducatifs permet le maintien des liens de sociabilité. Cela compte pour le moral », pense-t-on au Conseil régional. Trois robots Beam ont été achetés en septembre. L’une des premières utilisations, dans un lycée de Bourg-en-Bresse (Ain), a montré l’extrême rapidité avec laquelle les élèves oublient que la voix tentant de répondre aux questions du prof de maths émane d’un robot.
Nao, robot de compagnie, mesure 58 cm pour 5,4 kg. Nao, robot de compagnie, mesure 58 cm pour 5,4 kg. | Mouna El Mokhtari
Visiter un musée ou un salon, se rendre dans une filiale à l’étranger, virtuellement et sans efforts, tel est notre futur immédiat dessiné par Bruno Bonnell, l’heureux créateur d’Awabot, il y a un an. Lui, déjà, envoie son robot quand il est invité dans une conférence. « Lorsque chaque foyer sera doté de son robot de télé-présence, nous pourrons échanger à distance sans être bloqués devant l’ordinateur. Nous pourrons convier une personne âgée à nous suivre en balade, par exemple. Et aussi exercer sur elle une surveillance à domicile. »
Certes, Nao joue les guides au musée du terroir de Marseille, les chroniqueurs télé dans « Salut les terriens ! », les compagnons de route sur un bateau du Vendée Globe challenge. Et Pepper, son grand frère dans la famille Aldebaran, accueille, au Japon, les visiteurs dans des dizaines de boutiques Softbank et bientôt Nescafé. Mais le devenir commercial de ces robots passe davantage par le vieillissement de la population que par le rajeunissement des stratégies de communication.
Ils sont restés « scotchés »
Pour maintenir à domicile des millions de personnes âgées dépendantes, le gouvernement japonais envisage de leur louer, bientôt, un robot d’assistance quelques euros par mois. Trois maisons de retraite belges utilisent déjà Nao comme répétiteur pour la mémoire, entraîneur sportif et animateur enjoué. En février 2015, Pepper, plus grand que Nao, mobile et doté d’un écran, sera vendu au grand public - 1 500 euros, prix qui triplera sans doute avec le coût de l’abonnement pour les applications nécessaires à son fonctionnement, la formation et la maintenance.
Pepper, à en croire le directeur de la recherche d’Aldebaran, Rodolphe Gelin, pourra « ouvrir une porte pour aller chercher les lunettes ou un verre d’eau dans la pièce à côté, suivre partout la personne âgée, lui rappeler de prendre ses médicaments, être son interface numérique unique et assurer le lien avec la famille en téléphonant ou envoyant un mail… » En 2016 apparaîtra Roméo, 1,40 mètre pour 50 kg, assez fort pour aider à se relever ou à marcher. La suite ? C’est peut-être Angel, rééduqué par Nao, qui l’inventera.
Nao est utilisé par les développeurs et les enseignants. 6 000 exemplaires de Nao ont été vendu dans 70 pays à travers le monde. Nao est utilisé par les développeurs et les enseignants. 6 000 exemplaires de Nao ont été vendu dans 70 pays à travers le monde. | Mouna El Mokhtari
http://www.lemonde.fr/m-perso/article/2 ... 97916.html