Les Tribulations d'une aspergirl | 9 Août 2014

Le syndrome d’Asperger, s’il est sans aucun doute le plus médiatisé des TSA depuis ces dernières années, attire, fascine & intrigue autant qu’il est incompris
La raison principale étant liée à la nature même de ce trouble : à savoir son caractère invisible.
Ainsi, les gens (les personnes croisées au quotidien, mais aussi la quasi-totalité des médecins ou des soignants, bien souvent la famille, les employeurs, les collègues de travail, etc.) ne voyant pas de handicap reconnaissable, clairement identifiable (dans l’idée qu’ils se font du handicap…), ne comprennent pas où se situe le trouble
Se trouver face à un adulte expliquant qu’il est autiste Asperger alors que ce dernier est parfaitement capable de parler, capable d’avoir une conversation avec eux ; regarder comme autiste un adulte dont ils reconnaissent l’intelligence, qui a souvent fait des études, qui a une famille, des enfants, les déroutent complètement.
Une bonne partie en arrivent à nier l’existence même de ce fameux trouble sur un adulte qu’ils pensent connaître, ou en tous cas, à considérer ce diagnostic comme une lubie chez quelqu’un qui leur semble parfaitement “normal”
Or, tant la parole que l’intelligence n’ont absolument rien à voir avec les Troubles du Spectre Autistique.
Mais si l’errance diagnostic s’est considérablement réduite pour les enfants (& c’est tant mieux !!! Les CRA & professionnels libéraux étant plus nombreux & surtout, mieux formés aux particularités du continuum autistique), l’identification des aspies à l’âge adulte demeure toujours compliquée & finalement peu développée.
D’un CRA à l’autre, les protocoles changent, de même que les compétences réelles des psychiatres & psychologues censés être connaisseurs du SA pour poser des diagnostics.
Etre officiellement reconnu(e) comme présentant un autisme Asperger à l’âge adulte relève parfois du tour de force, & nécessite alors une sacrée dose de ténacité & d’endurance
On trouve par exemple ce style de choses très facilement sur le net : “Les 10 Les symptômes clés du syndrome d’Asperger : Reconnaître les signes”
J’avais refusé de relayer cette page, car il s’agit en réalité d’un lien sponsorisé qui ressort un peu partout depuis quelques semaines, & non d’information véritable. Mais très nombreux furent les lecteurs ou les amis à me l’avoir envoyée, en me demandant ce que j’en pensais.
- Voici 10 symptômes classiques du syndrome d’Asperger. Si vous êtes inquiet pour vous-même ou un proche ayant ce syndrome, parlez-en à votre médecin pour des options de dépistage.
- 1. Impossibilité de se faire des amis
Les enfants qui souffrent du syndrome d’Asperger peuvent avoir des difficultés à cultiver des amitiés. Ils ne peuvent pas se connecter avec leurs pairs en raison d’un manque de compétences sociales. Pour eux, il peut être difficile de parler à d’autres enfants ou de participer à des activités de groupes. Cela peut conduire à un certain niveau de frustration, car malgré leur désir de se faire des amis, ils en sont incapables. Cependant, il existe certains cas ou les enfants atteints d’Asperger n’ont aucune envie de faire des amitiés et préfèrent être seuls.
- 2. Mutisme sélectif
Les enfants qui souffrent du syndrome d’Asperger peuvent démontrer un mutisme sélectif. Cela se produit quand ils ne parlent librement qu’avec les personnes autour desquelles ils sont à l’aise, et ne parlent pas du tout aux étrangers. Dans les cas extrêmes, cela peut durer des années. La famille immédiate n’est pas habituellement touchée, car l’enfant se sent à l’aise autour de sa famille, et peut donc communiquer. Le mutisme sélectif apparaît plus souvent à l’école et en public. Certains enfants refusent de parler à qui que ce soit à partir d’un très jeune âge. Cette condition peut disparaître spontanément ou alors peut nécessiter une thérapie.
- 3. Incapacité d’empathie
Les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ont de la peine à exprimer de l’empathie à l’égard des autres. À mesure qu’ils vieillissent, la situation s’empire. Même s’ils peuvent réagir de façon appropriée face aux situations qui affectent les autres, ils ne peuvent cependant pas comprendre réellement pourquoi quelqu’un d’autre éprouverait de la peine. Cela peut être dû au fait qu’au cours de leur enfance, ces patients atteints du Syndrome d’Asperger jouaient sans doute de manière trop brutale et agressive avec leurs pairs, ou avaient l’habitude de dire des choses cruelles sans se rendre compte, que cela pourrait blesser l’autre personne.
- 4. Manque de contact visuel avec les autres
Ceux qui souffrent du syndrome d’Asperger ont du mal à maintenir un contact visuel avec les personnes avec qui ils communiquent. Certains pensent que cette condition est provoquée par un manque de confiance. D’autres disent qu’établir un contact visuel les rendraient très mal à l’aise, et pourrait même être douloureux. Il y a aussi la théorie d’après laquelle les personnes atteintes du syndrome d`Asperger ne réalisent pas combien le contact visuel est important dans la communication sociale.
- 5. Être « actif mais bizarre »
L’idée que les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ne sont pas passionnées est complètement fausse. Un terme commun pour les décrire est « actif mais bizarre ». Ils peuvent devenir très actif socialement, formant quelques amitiés. D’autres peuvent essayer de s’entourer de gens, ce qui leur permet d’avoir beaucoup de connaissances proches, mais pas de profondes amitiés. Cela peut être lié à la façon dont ils sympathisent avec les autres. Les personnes atteintes du syndrome d’Asperger pourraient ne pas montrer d’autres signes extérieurs de cette maladie, mais leur comportement social est un élément clé.
- 6. Manque de loisirs
Les personnes atteintes du syndrome d’Asperger ne s’en sortent pas toujours en milieu scolaire, ceci dû au fait qu’ils manquent d’intérêts dans certaines activités sociales. Au lieu de se socialiser, ils préféreraient jouer à des jeux vidéo, faire du dessin, et plus encore. Ces activités semblent élever leurs esprits et ils y trouvent un grand réconfort. Et lorsqu’ils sont obligés d’interrompre leurs projets, ils peuvent sombrer dans la dépression, de même que si leurs projets ne réussissaient pas. Nourrir ces intérêts chez ces enfants est donc très important pour leur assurer un soutien émotionnel et mental.
- 7. Pratique de routines quotidiennes sur mesure
Les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger ont des routines quotidiennes précises, et lorsqu’on essaie d’interrompre ou de changer leurs horaires/activités, Ils peuvent devenir très irritables. Leurs routines les aident à gérer leur anxiété. Heureusement, la majorité d’entre nous fonctionnent également à base de routine. Si vous soupçonnez que votre enfant souffre du Syndrome d’Asperger, aidez-le à développer une routine quotidienne précise, et cela contribuera énormément à gérer certains de leurs symptômes.
- 8. Interprétations littérales
Un des symptômes du syndrome d’Asperger est l’interprétation littérale de tout ce qui est dit. En d’autres termes, les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger peuvent ne pas comprendre le sarcasme et considèrent comme vrai tout ce que tout le monde dit. L’idée d’après laquelle les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger ne comprennent pas l’humour est erronée. En réalité, ces personnes peuvent être les personnes les plus drôles jamais rencontrées. Et lorsqu’elles se rendent compte de leur erreur d’interprétation littérale, elles ont besoin d’une explication claire afin de comprendre la vraie signification des choses.
- 9. Excellente capacité à reconnaître les formes
Un des symptômes positifs du syndrome d’Asperger est une étonnante capacité à reconnaître des modèles. Leurs cerveaux tentent de donner un sens à leur environnement. Cette capacité peut être évidente dès l’enfance, comme la scolarisation précoce développe les circuits neuronaux de la reconnaissance des formes. Alors que les enfants atteints du Syndrome d’Asperger peuvent trouver le milieu scolaire difficile, les problèmes de configuration comme les mathématiques et l’art peuvent être très enrichissants pour eux. Favoriser ce talent naturel est donc une excellente idée.
- 10. Faible motricité
Les personnes atteintes du Syndrome d’Asperger peuvent avoir des difficultés à contrôler leur motricité globale et fine. Les problèmes moteurs peuvent se manifester par une mauvaise écriture causée par une mauvaise coordination entre l’œil et la main.
Fin de la parenthèse, je disais donc que ces 10 points censés être caractéristiques peuvent correspondre en l‘état à des asperkids (enfants avec syndrome d’Asperger), mais il faut vraiment BEAUCOUP les nuancer à propos des aspies à l’âge adulte !
Le point n° 3 par exemple est vraiment l’idée reçue qui m’insupporte le plus je crois, quand les gens évoquent Asperger.
Tellement répandue qu’il est très usant de sans cesse recadrer, rectifier, répéter. Pour vous donner une idée, elle serait l’équivalent (si on voulait faire un parallèle) avec “les enfants surdoués sont toujours les premiers de la classe”
NON les aspies ne sont pas dépourvus d’empathie, bien au contraire !!! Cessez avec ces bêtises & informez-vous, réellement
Ce billet, “Syndrome d’Asperger, idées reçues sur l’absence d’empathie & la violence“, donnera des clés pour mieux appréhender la question de l’empathie.

Les personnes présentant un SA (qui plus est lorsqu’elles sont doublement exceptionnelles, c’est à dire quand elles ont un haut ou très haut QI couplé au SA) ont de l’empathie.
Elles en ont même souvent beaucoup (trop ! car elle est alors très envahissante), mais elles ne savent pas toujours l’analyser &/ou l’exprimer de manière attendue, dirais-je, par la société.
C’est ça qui est dérangeant pour la plupart des gens. Tout échange implique pour eux un certain nombre de démonstrations ou de politesses, & ce même si leur interlocuteur est dans une forme d’hypocrisie (à noter que cette hypocrisie là est reconnue comme acceptable, pour ne pas dire inévitable & même souhaitable, par la société). Seuls importent les codes & les apparences : il faut montrer. Pas forcément ressentir, mais en tous cas, manifester quelque chose allant dans le sens de ce qui se fait.
Or ces codes sont étrangers aux aspies. Ils ont donc beaucoup de mal à être parmi les gens, n’ayant pas en main, de manière innée, toutes ces règles de vie en communauté.
Il leur faudra donc apprendre comment se comporter pour coller un minimum aux attentes des autres, & comment manifester leurs sentiments de façon adéquate. Comme un étranger qui identifierait & intégrerait au fur & à mesure les us & coutumes d’un pays dans lequel il s’est installé
En outre, il est souvent prêté aux personnes autistes un manque d’émotions du fait de faibles expressions faciales. Mais rien ne pourrait être plus éloigné de la vérité, au moins concernant le SA !!!
Les aspies ont en réalité une très grande sensibilité, & sont même particulièrement susceptibles. Il en faut très peu pour les blesser, le ton d’une conversation ou un simple regard peuvent suffire à les perturber ou les heurter profondément.
En ce qui concerne les expressions du visage, je trouve qu’il est bien difficile en tant qu’aspie de se rendre compte d’une anomalie ou d’un déficit sur ce plan là.
J’ai souvent eu des remarques qui me faisaient me questionner (sur une allure triste sur les photos par exemple), mais sans vraiment comprendre au fond pourquoi on me reprochait de ne pas être plus expressive.
Longtemps je n’ai pas été consciente que mon visage ne correspondait pas forcément à mon émotion de l’instant. Aujourd’hui je sais que je peux effectivement me sentir tout à fait heureuse ou trouver quelque chose totalement hilarant sans que quiconque ne le voit sur mon visage. Mais je suis ainsi, je n’y peux pas grand chose !

Le point n° 4 : le regard ! Voilà une autre grande idée reçue agaçante…
Cela pourra être vrai (dans le sens de flagrant & repérable au premier coup d’œil) sur un enfant ou un ado touché par le syndrome d’Asperger, mais la réalité est que la plupart des aspies savent gérer le “problème” arrivées à l’âge adulte & savent regarder leurs interlocuteurs sans difficulté. Ou en tous cas, au moins, sans que l’autre se rende compte qu’il faut à la personne assise en face de lui (& qui est aspie) faire un effort pour le regarder (effort qui se paiera par un temps d’épuisement, ou un manque d’attention… ou les 2 !).
Et je dirais que ce qui me pèse le plus, à moi, ce n’est pas tant le contact visuel que le contact physique. Regarder ou être regardée m’est beaucoup moins pénible que toucher ou être touchée, si je devais établir un classement.
Le rituel français consistant à se faire la bise par exemple est une chose dont je me passerais volontiers ! Si je le peux (comprendre par là si les circonstances le permettent, c’est à dire sans risquer de froisser les gens en face de moi & sans paraître étrange à leurs yeux) je choisis sans hésitation un simple salut de la main. Mais si je ne peux pas faire autrement, je fais la bise. Bien que cela me coûte intérieurement, je m’y plie.
Car c’est ça le SA : mettre en place des ponts, des stratégies, des petits trucs pour contourner les soucis & vivre du mieux possible malgré des difficultés que peu de gens perçoivent &/ou comprennent. Tout ça de manière intuitive ou, pour certains aspies, de manière aidée (avec des groupes d’habileté sociale notamment).
Mais un adulte aspie ne ressemblera jamais à ce qu’il était étant enfant ! Qu’on se le dise, l’évolution est constante & dans un nombre non négligeable de cas, extrêmement importante (jusqu’à devenir insoupçonnable !)
Ce portrait, défini par les 10 signes évoqués plus haut, n’est donc pas totalement faux ; mais je dirais qu’il colle surtout aux enfants avec SA. Concernant les adultes, il manque sérieusement de nuances & de subtilité…
Ainsi un adulte qui se questionnerait sur le fait d’être aspie & tomberait sur ce profil type ne se reconnaîtrait pas forcément en tous points.
Pour ma part, en étant officiellement diagnostiquée autiste Asperger & THQI & en ayant 35 ans, sur les 10 signes je ne validerais que 6 d’entre eux… & à des degrés très divers (c’est à dire avec de nombreuses nuances). Les n° 1 (difficultés à se lier d’amitié), 2 (mutisme sélectif), 5 (actif, mais bizarre), 6 (manque de loisirs), 7 (routines quotidiennes), 10 (motricité).
On souligne souvent dans les médias la rigidité des aspies, mais il me semble au contraire qu’il faut faire preuve d’une réelle souplesse pour parvenir à décrypter & intégrer ces codes, ces habitudes qui ne sont pas naturels.
Les efforts sont principalement faits dans le sens des personnes avec SA vers la norme. C’est aussi ça le SA : se sentir en marge de tout & de tout le monde. Etre décalé & devoir faire un pas (… un ou plusieurs !) pour chaque petite chose de la vie, sans qui quiconque ne ne remarque ou ne le prenne en compte
Et ce peut être épuisant.
C’est pourquoi, si le diagnostic de syndrome d’Asperger est plus compliqué à poser sur une personne adulte, car il demande plus de finesse & de connaissances de la part de l’équipe de professionnels, il peut réellement être salvateur
Parce qu’il est extrêmement frustrant, angoissant, perturbant d’être sans arrêt dans ces efforts, dans cette adaptation forcée, & par voie de conséquence, dans l’état de fatigue qui en découle tous les soirs (ou après une journée plus oppressante) sans pouvoir en connaître & en comprendre la cause.
Savoir, mettre enfin des mots sur ce qui n’était alors qu’une nébuleuse, être légitime dans cette fatigue parce qu’elle prend soudain tout son sens, revoir son enfance ou ses difficultés encore existantes à la lumière de ce diagnostic est très important. Cela fait du bien, & cela permet aussi de se sentir moins extra-terrestre, après avoir passé 20, 30, 40 ans ou plus à se sentir oublié sur Terre par son vaisseau
Ce sentiment d’apaisement, de libération se retrouve chez tous les adultes diagnostiqués après (généralement) de longs questionnements & donc, de remises en question. Tout n’est cependant pas forcément aussi merveilleux lorsque le diagnostic est posé durant l’adolescence…
En France on comprend encore le SA comme un handicap ; je préfère le regarder comme une particularité. Un pan de la personnalité d’un individu, comme tant d’autres existant & nous rendant unique
Le discours autour de ce trouble chez nous se veut surtout alarmiste & dramatique. En 2014, on parle encore de « sombre réalité », comme dans cet article à propos d’un comédien français récemment mort, ayant révélé être aspie :
- Mais ceci cache une réalité plus sombre encore : Thierry Redler est diagnostiqué bipolaire puis autiste Asperger.
- Quelle chance que je n’ai pas été diagnostiquée à 15 ou 16 ans.
Car honnêtement, je ne sais pas comment j’aurais réagi & géré le choc allant de pair avec ces considérations bien trop lourdes à porter à cet âge-là. Non pas le choc de me découvrir aspie, mais celui de me rendre compte que les autres me regarderaient désormais, pour certains d’entre eux en tous cas, comme une personne handicapée.

Moi je ne me vois pas ainsi, & c’est une des raisons principales de l’existence de ce second blog, après de long mois d’hésitation : refuser cette connotation péjorative intimement liée au syndrome d’Asperger.
Le SA (comme le Haut Potentiel Intellectuel du reste ) n’est pas nécessairement un drame, une faiblesse, un malheur.
Je veux croire qu’il est aussi une force, un plus pouvant se transformer en une énergie positive. Aux Etats-Unis, voici ce que l’on peut dire à quelqu’un qui reçoit un diagnostic de syndrome d’Asperger :
- Congrats ! U’re an ASPIE, it means u’re Awesome, Spectacular, Perfect, Inspirational, and Eligible (for greatness).
N’est-il pas regrettable que cet esprit résolument positif ne parvienne pas à traverser l’Atlantique ?
Tony Attwood (un des grands spécialistes du SA) conseille pourtant aux médecins d’être aussi positifs que possible. Il explique d’ailleurs dans ses conférences que ces derniers devraient toujours commencer par dire: « Félicitations ! Vous avez le syndrome d’Asperger »
http://les-tribulations-dune-aspergirl. ... ge-adulte/