La différence éventuelle qu'on pourrait trouver entre le milieu carcéral et le monde social plus global, c'est peut-être le nombre de barreaux de chaque échelle. D'après ce que tu racontes, j'ai l'impression que quand on garde une prison, on est soit le plus fort, soit le plus faible, en comparaison avec les détenus. Il n'y a presque que deux places possibles. Tandis que dans la vie en général, on peut être à la fois plus haut placé qu'une personne et plus bas par rapport à une autre. L'objectif tacite étant de grimper le plus haut possible.
Oui, il faut envisager cela comme un code de couleurs restreint jouant dans les contrastes (en l'occurrence, ce sont des valeurs, puisque l'on parle du noir et du blanc, en référence à un univers manichéen ), du moins, en apparence.
Parce qu'en réalité, les confrontations ne représentent pas non plus la prison en général.
Il y a un fond sonore (au propre et au figuré ), un bourdon constant, qui est dans le regard et la pose , un défi à l'autorité, que je représentais, pour parler de mon expérience, parce qu'il y a sans doute besoin, de la part du détenu de sentir qu'il résiste, pour lui permettre d'exister en ce monde.
Et il ne lui est pas simple d'abandonner son personnage, parce qu'il y a un public permanent, scrutateur, qui, de par sa présence, l'empêche d'être vraiment lui même.C'est un cercle vicieux.
Les nuances de gris, dont tu fais état, en termes de nombre de barreaux sur l'échelle sociale, ne peuvent être présentes en un monde aussi tranché et les seules possibilités de grimper un peu, pour rester dans la métaphore, de passer du noir d'encre, vers un gris un peu moins agressif, repose sur une codification dont les leviers sont à la discrétion du juge d'application des peines.
Dans ce qu'on appelle les pré-CAP (commission d'application des peines), les différents acteurs, comme le service social, le personnel de surveillance, sont présents (pour les « matons » cela dépendait des disponibilités du service, mais c 'était fréquent) et leur avis est entendu : un loustic qui joue au dur en cour de promenade, ou en détention générale, mais prend sa plus belle « gueule d'ange », devant ceux qui peuvent le faire sortir, sera ainsi confronté à ses contradictions...
Ce levier invisible, (parmi d'autres moyens) nous permettait de garder une aile à peu prés calme:on en faisait rarement état, car c'était du domaine de l'implicite (mon dieu, je parle de l'implicite, donc je ne peux être asperger!^^) et surtout ruminé par le justiciable.
On savait, on comprenait que cela pesait sur leur comportement et cela nous arrangeait bien, sans plus.
Il y avait d'autres façons de gagner des « bons points », pour attendrir la CAP (cela peut paraître puéril, mais c'est ainsi que cela fonctionne : à la carotte et rarement la force, utilisée pour se défendre d'un pétage de plombs), notamment avec l'assiduité aux cours dispensés par des instituteurs de l'éducation nationale, qui, soit dit en passant, font un boulot formidable.
Le travail dans les ateliers des concessionnaires, permettait de gagner un ticket vers la sortie, via les réductions de peines, les permissions de sortie, etc.
La confrontation était donc présente, mais assez rarement en explosion permanente, qui arrivaient cependant de temps à autre, soit contre le personnel, soit retournée contre lui même.
J'ai vu de drôles de choses, c'est sur.
La différence avec le monde extérieur, c'est l'absence de choix, en fait : tu dois passer par des couloirs sans échappées possibles sur les cotés.